Dans une tribune publiée dans Le Figaro, l’évêque de Nanterre, Mgr Rougé, appelle à ne pas se tromper de diagnostic sur la crise de l’Eglise, laquelle est d’abord et avant tout une crise de foi :
[…] S’il suffisait de se débarrasser des évêques pour que l’Église retrouve sa vigueur et sa splendeur, il faudrait de fait ne pas hésiter un instant.
« Quel Français est encore capable de citer le nom de l’archevêque de Paris ? de Lyon (le primat des Gaules !) ? , interroge Jean de Saint-Chéron. Le discours épiscopal n’a plus le moindre poids dans la sphère publique. » La fécondité de la vie de qui que ce soit se mesure-t-elle à sa notoriété mondaine ? La mission des évêques consiste-t-elle à accumuler des followers et des likes ? « Le bruit ne fait pas de bien et le bien ne fait pas de bruit » , disait saint François de Sales, grand rénovateur de l’Église au XVIIe siècle.
Quant à Guillaume Cuchet, dont les ouvrages récents sur les évolutions sociologiques de l’Église au XXe siècle sont décapants mais stimulants, il accomplit l’exploit significatif de dédier toute une tribune au catholicisme sans citer une seule fois le nom de Jésus-Christ. Il est vrai qu’une des thèses qu’il distille à longueur de conférences est que la grande « tendance baissière » du christianisme depuis les Lumières est liée à « l’épuisement de son mythe fondateur ».
Voilà qui, en creux, met en lumière la question essentielle pour le présent et pour l’avenir des chrétiens, et qui prend une force particulière en ce temps de Noël : Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, mort et ressuscité, Seigneur et Sauveur, est-il bel et bien reconnu comme la « Lumière des nations » (Luc 2, 32), « le Chemin, la Vérité et la Vie » (Jean 14, 6) ? L’Église en elle-même – son organisation, son ampleur, ses échecs, ses réussites, son influence – n’a aucun intérêt, même pour un homme d’Église, en dehors de sa relation à Jésus-Christ. Le drame des abus est, pour une bonne part, l’expression d’une sorte de reniement de Jésus-Christ. Qui s’attache à suivre, profondément, quotidiennement, humblement, Jésus-Christ ne peut pas porter atteinte à l’un de ces plus petits qui sont les siens (Matthieu 25, 40). Qui se met vraiment à l’école du « Maître intérieur » de saint Augustin ne peut pas ne pas cultiver la droiture de vie, la bienveillance, le courage, le service. Qui fait l’expérience authentique de la liberté que donne Jésus-Christ ne peut pas commettre les abus spirituels qui, presque immanquablement, mènent aux abus sexuels.
Toutes les époques de déclin de l’Église ont été des époques de déclin de la foi et de l’amour en Jésus-Christ. Pensons, par exemple, au XVIIIe siècle où libertins et abbés de cour ont partagé les mêmes vanités et les mêmes turpitudes, dans le laisser-aller de la foi et de la charité. A contrario, toutes les époques de renouveau de l’Église ont été des époques de ferveur et d’approfondissement christologiques.
Comment ne pas évoquer saint Bernard, par exemple, le grand réformateur de l’Église et de la société au XIIe siècle, le héros de l’aventure cistercienne, le chantre de l’humanité de Jésus-Christ ? C’est la profondeur, et parfois l’intransigeance, de sa foi qui a fait de lui un maître spirituel pour son temps, un lutteur contre toutes sortes d’abus à l’intérieur comme en dehors de l’Église, un conseiller des princes, juste et bienfaisant.
Il n’y a pas d’autre chemin à suivre pour l’Église aujourd’hui que Jésus-Christ. Ce chemin passe sans doute, comme le suggère Guillaume Cuchet à sa manière, par une meilleure coopération des hommes et des femmes, des états de vie, des générations, des histoires et des sensibilités spirituelles ou liturgiques. Mais cette qualité nouvelle de considération mutuelle de tous ne peut provenir que d’une relation approfondie de chacun avec Jésus-Christ. Trop d’attitudes, de déclarations, de prises de position, sur le plan local comme au plan universel même parfois, de la part de clercs comme de laïcs éventuellement critiques, semblent aujourd’hui trop ecclésiastiques et pas assez ecclésiales, trop politiques et pas assez théologales, détachées de Jésus-Christ, formulées en définitive comme si le Christ n’existait pas. Il n’y a pourtant pas d’autre renaissance possible pour l’Église que l’accueil renouvelé de la Nativité.