Mgr Pierre d’Ornellas, archevêque de Rennes et responsable du groupe de travail bioéthique de la conférence des évêques de France, publie une tribune dans Le Télégramme :
À la Toussaint, beaucoup se recueillent sur la tombe de leurs proches. La foi chrétienne apporte sa vive lumière : les morts sont « vivants » auprès de Dieu, sauvés par son infinie tendresse.
Il n’empêche que le débat sur la fin de vie est toujours opportun, tant ce sujet touche l‘intime de l’être humain, avec sa légitime peur de souffrir et sa conception de l’au-delà de sa mort. Ce débat existe depuis des lustres : « Comment bien mourir ? »
Depuis 50 ans, nous avons vu l’émergence des soins palliatifs, et la loi de juin 1999 qui précise que tout citoyen a droit à de tels soins. Hélas, l’État n’a pas rempli ses obligations ! Il doit impérativement développer ces soins « avant toute réforme », alerte le CCNE. Ceux-ci « sont essentiels à la médecine », a déclaré le Conseil de l’Europe.
Puis la loi de mars 2002. Le patient avec sa liberté est placé au cœur de la problématique du soin : il prend « avec le professionnel de santé » les décisions le concernant. Ce « avec » est capital : il dit une « alliance », selon Paul Ricœur. Tel est le pacte de soins entre médecin et patient, même quand ce dernier, vivant, ne pourra plus s’exprimer car, selon cette loi, il peut désigner une « personne de confiance » pour qu’elle parle alors en son nom.
Enfin, les lois d’avril 2005 qui interdit l’obstination déraisonnable, et de février 2016 qui encadre la sédation profonde et continue jusqu’au décès, dans l’unique intention, quand il n’y a plus d’autres moyens, d’apaiser le patient, et non de procurer sa mort.
Voilà une vision renouvelée du soin, où prime l’accompagnement du patient dans sa globalité et sa singularité. Exit la toute puissance de la médecine qui se considérait en échec quand la mort survenait ! La mort fait partie de la vie. Accompagner la personne en fin de vie, à court ou moyen terme, de telle sorte qu’elle ne souffre pas et soit la plus apaisée possible fait partie intégrante du soin.
Ce progrès est dû à une juste compréhension de l’être humain : la relation lui est indispensable. Grâce à elle, il peut jusqu’au bout vivre en liberté et être respecté dans sa dignité, recevoir chaque instant, même modeste, comme un moment précieux à vivre. Les soins palliatifs offrent à chacun, aussi faible soit-il, la possibilité de « rester un vivant jusqu’à la mort » (Paul Ricœur). Merci à ces soignants qui, chaque jour, le permettent.
Réformer la loi sans agir pour que ces soins soient proposés à tous, serait une grave erreur. Légaliser l’euthanasie ou le suicide assisté, serait une régression, car cela avaliserait une vision réductrice de l’être humain, en se focalisant sur son autonomie et sa liberté individuelle, oubliant la relation et méconnaissant notre nécessaire interdépendance en raison de notre commune finitude.
Provoquer la mort de son semblable n’est pas un soin. Hippocrate l’atteste hier comme aujourd’hui. Ce n’est pas non plus un acte de fraternité puisque cela brise définitivement la relation. Demander la mort n’est pas une liberté individuelle car elle engage la liberté de l’autre, convoqué pour supprimer la vie. Avoir la possibilité d’une telle suppression, c’est corrompre le soin car il est impossible à une équipe soignante de dire en même temps à la personne soignée : je t’accompagnerai jusqu’au bout et je peux te faire mourir.
Le progrès, c’est d’assumer collectivement que nous sommes mortels, et que nos vulnérabilités nous appellent à la fraternité qui, grâce aux soignants et aux aidants, soutient chacun sur son chemin de vie jusqu’à sa mort. Voilà le beau projet de société au cœur du débat !