Les Cahiers Saint Raphaël sont une publication de l’ACIM (Association catholique des infirmières, médecins et professionnels de santé) qui répond aux questions que posent les grands problèmes contemporains d’éthique médicale.
Voici l’éditorial du numéro 162, particulièrement d’actualité
soulager souvent, consoler toujours… Cette phrase célèbre est attribuée tantôt à Louis Pasteur, tantôt à Ambroise Paré, tantôt à Hippocrate. Elle montre bien que le soin palliatif n’est pas une invention moderne. L’obtention de la guérison semble même être un objectif exceptionnel. L’histoire du soin palliatif commence avec l’histoire de la médecine. N’oublions pas que la mortalité est de 100% dans l’espèce humaine. Le soin médical peut tout au plus prolonger la vie ou améliorer sa qualité. Les soins que l’on appelle aujourd’hui palliatifs n’ont pas comme vocation première la guérison d’une pathologie grave risquant d’emporter le malade. Quand la maladie est incurable, ils ont pour objet de soulager mais sans agir sur la cause de ce mal. C’est fréquent en médecine ; stricto sensu le paracétamol est un soin palliatif. L’origine du mot palliatif renvoie au manteau (pallium) pour dire qu’on recouvre un mal sans le faire disparaître. En quelque sorte, on met la poussière sous le tapis. En France, la formalisation de ce type de soin date de 1987 avec la première ouverture d’une unité de soins palliatifs par le docteur Maurice Abiven[1]. Leur émergence fait suite à une réflexion médicale essayant de trouver un juste milieu entre, d’une part, la médicalisation à outrance de la fin de vie ou obstination déraisonnable témoignant d’un refus de l’échec médical et, d’autre part, l’euthanasie hypocrite qui se pratique depuis longtemps par le biais du tristement célèbre « cocktait lytique ». Aujourd’hui, d’après la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), l’objectif recherché est de « soulager les douleurs physiques et les autres symptômes, mais aussi de prendre en compte la souffrance psychique, sociale et spirituelle ». Bien entendu cela doit se faire dans le respect de certaines règles morales développées dans ce numéro des Cahiers, notamment par l’utilisation proportionnée de la sédation. La pratique de la loi Léonetti 2, revendiquée par la SFAP, risque d’entraîner des débordements si la sédation profonde jusqu’au décès est utilisée sans discernement.
Aujourd’hui, après l’opposition acharnement thérapeutique contre euthanasie qui a accouché de la formalisation des soins palliatifs, la culture de mort revient à la charge en proposant de façon très perverse une loi traitant à la fois des soins palliatifs et du suicide assisté, ou de l’aide active à mourir, version adoucie – dans le mot mais pas dans la chose – de l’euthanasie. Les deux mesures étant liées dans le projet de loi, si on veut la première il faudrait accepter la deuxième. Il y a une grande malice à vouloir associer dans le même texte de loi ces deux pratiques que tout oppose. Claire Fourcade, présidente de la SFAP le dit clairement et crûment : « Donner la mort n’est pas un soin ». Donner la mort, c’est surtout arrêter de prendre soin. Elle dénonce également la rupture du pacte de confiance soignant-soigné. Peut-on continuer à regarder de la même façon le professionnel de santé qui s’occupe de nous si l’on sait que demain il peut devenir notre bourreau[2]. Il faut savoir également que la plupart des patients qui rentrent dans un service de soins palliatifs avec une demande d’euthanasie abandonnent cette dernière dès lors qu’ils peuvent bénéficier d’une prise en charge de qualité. Pour ces raisons, la très grande majorité des professionnels de santé refuse aujourd’hui d’être impliquée à titre personnel dans le mécanisme de l’euthanasie. Il est très important d’obtenir que le monde de la santé soit tenu à l’écart de cette pratique plutôt que d’accepter une clause de conscience qui tiendra jusqu’à ce que le fait de se donner la mort soit reconnu comme un droit fondamental ou constitutionnel au nom de la sacro-sainte liberté de choix. Et c’est là l’objectif parfaitement avoué de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), association qui milite en France, depuis longtemps, pour l’euthanasie et dont le président actuel Jonathan Denis a déclaré : « Dès lors que le principe même de l’aide active aura été voté, le front des anti-choix aura été brisé et nous pourrons enfin avancer rapidement et faire évoluer la loi vers ce que nous souhaitons tous : une loi du libre choix ». À moyen terme la résistance du personnel soignant risque de s’émousser. Cela sera plus simple et demandera moins d’implication personnelle de mettre en route une procédure d’euthanasie que d’assister le mourant jusqu’à la fin. Lorsque la pente est glissante, ce sont toujours les lois de la pesanteur qui s’appliquent. Tout cela nous indique à coup sûr que si l’on transgresse l’interdit de tuer, même de façon minimaliste, toutes les dérives revendiquées sans complexe par les tenants de la culture de mort ne manqueront pas d’arriver. On peut le constater en Belgique et au Canada qui ont légalisé l’euthanasie depuis longtemps. On l’a vu pour la loi Veil.
Il n’est donc pas possible de mettre dans le même panier l’élimination du patient et le développement de vrais soins palliatifs prenant en compte les souffrances corporelles, psychologiques et spirituelles du patient. Comment faire confiance à un gouvernement ultralibéral et amoral qui nous présente ce « pack euthanasie – soins palliatifs » quand on sait que le premier est un facteur d’économie[3] et le second un facteur d’augmentation des dépenses. On peut imaginer la pression psychologique qui pèsera sur les patients en fin de vie qui ne pourront pas s’empêcher de penser, surtout si on le leur suggère : « J’embête tout le monde, je ne sers à rien, je coûte très cher à la société… ». Ceux qui seraient tentés de prendre le pack complet pour avoir l’amélioration des soins palliatifs risquent, au bout du compte, de n’avoir que l’euthanasie. Et les soins palliatifs existant déjà, y a‑t-il vraiment besoin d’une loi pour augmenter le nombre de services en capacité de les prodiguer ? Il s’agit plutôt d’un prétexte du cynisme macronien pour faire passer la pilule de mort. La seule solution viable est, si l’on peut dire, le respect absolu du « Tu ne tueras pas » inscrit dans la conscience humaine. Non à l’euthanasie et oui à de vrais soins palliatifs dans le respect de la morale catholique !
Toutes ces raisons naturelles de s’opposer à l’euthanasie, les lecteurs des Cahiers Saint-Raphaël les connaissent déjà. Malheureusement vous et moi, les paroissiens ordinaires du bout du banc, avons peu de poids face au gouvernement et aux lobbys « thanactivistes » qui introduisent ou aggravent les lois les plus immorales les unes après les autres. Pouvons-nous cependant faire quelque chose ? Je crois que oui. Nous pouvons, à notre niveau, si notre devoir d’état nous en laisse le temps, apporter notre petite pierre à l’édifice des soins palliatifs. Peut-être pas pour les soins du corps, pour ceux d’entre nous qui ne sont pas professionnels de santé, mais certainement pour les soins d’ordre psychologique et spirituel. N’oublions pas qu’au delà des soins du corps, il y a l’éternité qui nous attend et nous pouvons essayer d’aider le mourant à affronter la mort car « les souffrances du temps présent sont sans proportion avec la gloire à venir qui sera manifestée en nous »[4]. La visite des malades et des vieillards, souvent isolés en maison de retraite, est une œuvre de miséricorde corporelle qui ne demande pas des qualités physiques ou intellectuelles hors du commun. Il faut juste passer par-dessus une appréhension naturelle mais avec un sourire, de la gentillesse et la grâce de Dieu cela ne peut que bien se passer. La solitude de la fin de vie est une lourde épreuve qui peut être adoucie par l’écoute, de petites attentions et distractions qui aideront d’abord à ne pas céder au désespoir mais aussi à l’acceptation et l’offrande des souffrances. Les grands discours ne sont pas utiles. Il faudra juste savoir proposer une aide spirituelle au moment opportun : prier avec le malade et suggérer la visite du prêtre avant que la sédation ne lui fasse perdre conscience, Pie XII le rappelle bien[5]. Il faut également l’encourager à régler ses affaires temporelles[6]. Le médecin et le visiteur de malade chrétiens peuvent beaucoup pour aider à faire une bonne mort. Le témoignage lu récemment d’une femme médecin atteinte d’un cancer incurable dont elle connaissait le pronostic et qu’elle a trainé pendant quatre ans est éclairant. Affirmant la progression spirituelle que ce temps lui a permis, elle écrit : « N’était-ce pas beau à vivre tout cela ? » « Plutôt qu’une aide active à mourir, donnez-nous une aide active à vivre ». Et cette fin de vie conditionne notre éternité comme le suggère ce dicton populaire qui dit qu’on meurt comme on a vécu.
Docteur Philippe de Geofroy