Extrait de la lettre d’information de Jean-Marie Guénois dans Le Figaro, Dieu seul le sait :
[…] Évolution structurelle affaiblissant la centrale romaine, bouillonnements de créativité pastorale aux périphéries, «synode sur la synodalité», tout est réuni pour que l’Église catholique connaisse dans les mois et années à venir des divisions spectaculaires sur les questions de société notamment mais aussi sur ce que doit être l’Église catholique, son identité. Le tout au détriment de son unité.
Car le pape François veut une Église en état synodale permanent en tout lieu et à tous les niveaux. Il l’a confirmé à plusieurs reprises cet été et en cette rentrée.
Pour connaître sa pensée profonde il faut souvent aller la chercher chez les… jésuites. C’est chez eux qu’il se livre quand il est en voyage, comme s’il était en famille. Il leur donne du temps et de l’importance en les visitant systématiquement. Ce qui donne à penser sur l’influence des jésuites sur ce pontificat.
Interrogé par ses confrères jésuites canadiens à Québec, le 29 juillet au matin, notamment sur la question synodale voici ce que François leur a confié. La citation est longue mais elle mérite publication car ce sujet va dominer les mois qui viennent. La traduction est réalisée par le site officiel mondial des jésuites dont nous publions cet extrait sans correction :
« Cela me dérange que l’adjectif «synodal » soit utilisé comme si c’était la recette de dernière minute pour l’Église. Quand on dit «Église synodale», l’expression est redondante : l’Église est synodale, ou elle n’est pas Église. C’est pourquoi nous en sommes venus à un Synode sur la synodalité : pour le réaffirmer. Nous pouvons certainement dire que l’Église en Occident avait perdu sa tradition synodale. L’Église d’Orient l’a conservé. Certes, nous pouvons discuter des manières de vivre la synodalité. Paul VI a créé le Secrétariat du Synode des évêques parce qu’il voulait avancer sur cette question. Synode après synode, nous avons avancé, timidement, en nous améliorant, en comprenant mieux, en mûrissant.
En 2001, j’ai été rapporteur pour le Synode des évêques. Je remplaçais le cardinal Egan qui, en raison de la tragédie des Twin Towers, avait dû retourner à New York, dans son diocèse. Je me souviens que les avis étaient recueillis et envoyés au Secrétariat général. Donc, je collectais le matériel et le soumettais ensuite au vote. Le secrétaire du Synode venait me voir, lisait le matériel et me disait de retirer telle ou telle chose. Il y avait des choses qu’il ne considérait pas appropriées et il les censurait. Il y a eu, en somme, une présélection du matériel. On n’a pas compris ce qu’est un Synode. À la fin du dernier Synode, dans l’enquête sur les sujets à aborder lors du suivant, les deux premiers étaient le sacerdoce et la synodalité. J’ai compris qu’il faut réfléchir sur la théologie de la synodalité pour faire un pas décisif en avant.
Il me semble fondamental de répéter – comme je le fais souvent – que le synode n’est pas une réunion politique ni une commission de décisions parlementaires. C’est l’expression de l’Église dont le protagoniste est l’Esprit Saint. Si l’Esprit Saint est absent, il n’y a pas non plus de synode. Il peut y avoir une démocratie, un parlement, un débat, mais il n’y a pas de «synode». Si vous voulez lire le meilleur livre de théologie sur le synode, relisez les Actes des Apôtres. On peut y voir clairement que le protagoniste est le Saint-Esprit. C’est ce qui est vécu dans le synode : l’action de l’Esprit. La dynamique du discernement se produit. On fait l’expérience, par exemple, que parfois on va vite avec une idée, on se dispute, et puis il se passe quelque chose qui ramène les choses ensemble, qui les harmonise de manière créative. C’est pourquoi j’aime préciser que le synode n’est pas un vote, une confrontation dialectique d’une majorité et d’une minorité. Le risque est aussi de perdre la vue d’ensemble, le sens des choses.
C’est ce qui s’est produit avec la réduction des thèmes du synode à une question particulière. Le Synode sur la famille, par exemple. Elle aurait été organisée pour donner la communion aux divorcés remariés. Pourtant, dans l’Exhortation post-synodale, il n’y a qu’une note sur ce thème, car tout le reste est constitué de réflexions sur le thème de la famille, comme par exemple sur le catéchuménat familial. Il y a donc tellement de richesse : on ne peut pas se concentrer dans l’entonnoir d’une seule question. Je le répète : si l’Église est telle, alors elle est synodale. Il en est ainsi depuis le début. »
«Un pas décisif en avant»
Le pape François explique clairement que l’état normal de l’Église est d’être « synodale », « l’Église est synodale, ou elle n’est pas Église », que le synode en cours – il est en phase continentale, dans un an, en octobre 2023, il sera en phase finale à Rome – sur la synodalité va marquer « un pas décisif en avant ».
Le 11 août dernier, François est une nouvelle fois revenu sur la synodalité dans l’Église. Il répondait aux questions de la télévision portugaise TVI qui a diffusé l’entretien le 5 septembre.
Une occasion pour lui d’insister sur la méthode propre du synode fondée sur le « discernement » car le synode « n’est pas un parlement » mais un processus qui suit une « théologie du chemin », a-t-il affirmé.
Il a d’ailleurs rappelé l’importance de l’un de ses discours sur le sujet prononcé le 17 octobre 2015 à l’occasion du 50° anniversaire de la création par Paul VI, au Vatican, du secrétariat pour le synode où François expliquait effectivement et très précisément sa vision de la synodalité. Je vous invite à le relire si vous voulez avoir l’exposé le plus synthétique qu’il ait jamais fait sur le sujet.
L’une des clés de cette méthode, disait-il devant la caméra portugaise, est le « discernement », propre aux jésuites, qui permettrait « l’harmonie » dans la « diversité » tout en reconnaissant la difficulté : « dans tous les processus il y a ceux qui se sentent bien avec le processus, ceux qui veulent aller plus loin, et ceux qui restent plus en arrière ». D’où l’importance d’éviter une « guerre ecclésiastique » en s’appuyant sur « l’Esprit Saint qui donne les moyens de faire mûrir l’Église » que ceux qui « avancent en courant » et ceux qui « reculent », les « réticents au changement », pour vivre une « théologie du chemin » à dimension «universelle» .
Car continuait-il « le cléricalisme, qui est une perversion, enlève cette universalité au pasteur et en fait le pasteur d’un secteur ou d’une modalité pastorale » quand certains disent : « Ici, je commande et vous obéissez ». Pour François « l’harmonie » n’est pas « l’ordre » : « l’ordre se trouve dans un cimetière ; tout est en ordre, mais il n’y a pas de vie. Dans l’harmonie, il y a la vie et c’est ce que fait le Saint-Esprit ». Ajoutant : « Parfois, il y a des gens qui disent : ‘Je suis très religieux, très croyant, je défends les valeurs chrétiennes’, mais ils sont incapables de vivre en harmonie avec l’Église et il leur manque l’Esprit Saint ». Ils sont dans une « idéologie religieuse ».
Le cardinal Mario Grech a été chargé par le pape François de coordonner la préparation du synode sur la synodalité. Dans une interview récente, accordée au magazine catholique America , dirigé par les jésuites, il confie le 22 septembre dernier, à propos des cahiers de propositions qui remontent des différentes Églises pour préparer le document de travail du prochain synode : « je vois émerger une Église différente (…) parce qu’une Église est synodale ou elle n’existe pas ».