Reçu d’un lecteur belge de Riposte catholique:
La Belgique est entrée en carême. Certes, assez tard, samedi 14 mars seulement, mais mieux vaut tard que jamais. Les évêques de la conférence épiscopale ont écrit une belle lettre pastorale et c’est chose faite: tous les cafés, bars, restaurants, cinémas et discothèques du royaume sont fermés. Voilà un beau geste de pénitence!
Euh, excusez-moi… je m’emmêle un peu les pinceaux. En fait, c’est le gouvernement qui a imposé cette fermeture des débits de boissons et lieux de divertissement. Les évêques, eux, ont appelé “à vivre ce carême comme un temps (…) de partage fraternel, et d’une plus grande attention à autrui“. Je vous avoue qu’en voyant ces termes à connotation “humaniste”, j’avais pensé qu’il s’agissait justement du communiqué du gouvernement, ou de la croix rouge. Les “successeurs des apôtres” n’ont même pas pensé à saisir la balle au bond pour souligner que cette fermeture des bars et lieux d’amusement était une occasion providentielle de faire pénitence en carême.
Il faut avouer que ce texte épiscopal décrit tout de même aussi le carême comme un “temps de prière, de conversion“. Il n’empêche que, dans l’ensemble, on est frappé par sa pauvreté, son indigence et son manque de sens du surnaturel.
Ainsi, pas la moindre réflexion sur la maladie comme occasion de pénitence et de conversion. De même, les épiscopes s’empressent d’annoncer l’arrêt des cérémonies liturgiques publiques mais ne rappellent nulle part à leurs diocésains l’obligation de sanctifier le dimanche en tout état de cause (point pourtant fréquemment oublié), ni ne les invitent à s’unir aux messes que les prêtres continueront à célébrer privatim, pour implorer de Dieu le pardon de nos péchés et la fin de l’épidémie. Où est la prise de conscience de ces bergers au sujet des grâces infinies découlant du Saint Sacrifice? À vrai dire, je suis peut-être trop naïf car combien de prêtres célèbrent encore l’eucharistie sine populo, vu que la messe est désormais conçue essentiellement comme un rassemblement au lieu d’être le sacrifice du calvaire offert à Dieu le Père?
Certains ont qualifié de “prudence naturelle” la suspension des célébrations liturgiques publiques. Voire… On comprend bien que, en saine doctrine, la grâce présuppose l’ordre naturel et s’appuie sur lui mais, dans ce cas-ci, je n’aperçois justement que l’humain (trop humain, comme aurait dit Nietzsche) et j’ai beaucoup de mal à voir où est le surnaturel. Une saine articulation du naturel et du surnaturel aurait consisté, si l’on admet la nécessité de suspendre les offices publics (Renaissance Catholique a fourni une intéressante réflexion à ce sujet), à impérer des messes votives ou au moins des oraisons votives. De tout cela, pas un seul mot sous la plume de la conférence épiscopale. Pourtant, même si l’on admet l’opportunité d’interrompre les actes publics du culte, il aurait suffi de demander aux fidèles de s’unir à de telles messes votives célébrées massivement privatim par les prêtres, voire de faire télédiffuser de telles messes célébrées par les évêques dans leurs cathédrales. Mais non, vous dis-je, rien de tout cela: nos épiscopes sont muets et n’expriment aucune vision surnaturelle de cette épidémie. La sainte Écriture ne manque pourtant pas d’épisodes pertinents. Et l’exemple de leurs prédécesseurs, lors de la pandémie de grippe espagnole (1918-1919), aurait pu aussi les inspirer mais, encore une fois, rien de rien: c’est le désert surnaturel, c’est une vision aplatie, terriblement appauvrie et purement naturelle qui prévaut. “Si le sel s’affadit, avec quoi le salera-t-on? Il n’est plus bon qu’à être jeté dehors et à être foulé aux pieds par les gens“. C’est d’ailleurs ce qui se passe, comme on va le voir plus bas.
Entre l’attitude des évêques il y a un siècle, lors de la grippe espagnole, et celle d’aujourd’hui, il y a un monde. Et il y a aussi un concile œcuménique. Affirmer que cette perte de vision surnaturelle n’aurait rien à voir avec Vatican II n’est pas sérieux. Bien sûr, les causes de la “profanation” de l’Église sont complexes mais l’esprit de Gaudium et Spes est passé par là, de même que celui de Populorum Progressio, où Paul VI qualifiait l’Église de “rerum humanarum peritissima” (“experte en humanité”). Est également passée par là une liturgie aplatie, affadie, dont il est facile de pointer “les applications abusives” mais qui a bel et bien éliminé, le plus officiellement du monde, de son missel le terme “anima” et qui a supprimé quasiment toutes les occurrences du mot “jejunium” (jeûne) des textes liturgiques du carême. Le poisson pourrit par la tête. Felix qui potuit rerum cognoscere causas…
J’ai d’ailleurs été frappé, lors de l’annonce des mesures gouvernementales, par cet éditorial de La Libre Belgique (un des plus grands quotidiens du royaume): Francis Van de Woestyne s’y lamente que les Belges soient condamnés à passer “trois semaines, sans bar, sans restaurant (…), sans faire la fête entre copains“. Mais oui, M. Van de Woestyne, ça fait partie du carême et ça dure même six semaines. Quand on sait que La Libre Belgique était autrefois un journal à l’identité catholique affirmée… Et on comprend encore mieux la liquéfaction du clergé belge quand on sait aussi qu’il reste massivement abonné à ce journal, qui offre désormais des tribunes à la “courageuse” (sic) Simone Veil pour parler de l’avortement. “Pauvre Belgique“, comme disait Baudelaire…
En bref, c’est le gouvernement qui a mis en œuvre le carême, tandis que nos évêques prônaient une vision purement “humaine” de la pandémie. Jusqu’où est tombée notre Église? Jerusalem, Jerusalem, convertere ad Dominum Deum tuum!
Qui s’étonnera d’ailleurs qu’une Église qui se roule dans la fange du naturalisme soit frappée par le bras séculier? La Jérusalem déchue sur laquelle pleurait Jérémie n’avait-elle pas été livrée à ses ennemis? Ainsi, avant même le confinement général imposé par le gouvernement national, certains bourgmestres (maires) avaient déjà prétendu imposer la suspension des cérémonies publiques dans les églises de leurs communes respectives. Sans la moindre réaction épiscopale, bien entendu. Si la Providence se sert de tout, même d’un gouvernement en affaires courantes depuis plus de 400 jours, pour imposer le carême, il se sert aussi du pouvoir laïc pour châtier les clercs défaillants. C’est ce qu’on voit par exemple en matière de pédophilie cléricale; c’est ce qu’on voit aussi dans cette affaire de carême. En 2016, après les attentats terroristes, le bourgmestre d’Etterbeek, une des 19 communes qui composent Bruxelles, avait prétendu appliquer aux églises de sa commune les mesures de confinement et d’interdiction de rassemblement – c’est-à-dire en pratique interdire l’exercice du culte. Il faut dire que le personnage, vraisemblablement de la loge, ne cache pas son anti-christianisme. Toutefois, il avait été obligé de reculer sur ce point. 4 ans plus tard, c’est chose faite: l’autorité communale peut se permettre, sans retour de crosse épiscopale, d’interdire les offices religieux. Pourquoi se priver, puisque les évêques eux-mêmes en rajoutent? Ils ont en effet décrété l’arrêt de tous les baptêmes.
Tiens, il me semblait avoir appris au catéchisme que le baptême est “le premier et le plus nécessaire des sacrements“… Depuis quand peut-on priver un nouveau-né de la grâce surnaturelle, indispensable au salut? Les nourrissons seraient fondés à crier: “Évêque, c’est par toi que je meurs“. On pourrait comprendre que les diocèses demandent aux prêtres et diacres de baptiser uniquement en présence des parents et parrains mais jeter l’interdit sur le baptême, voilà qui doit laisser pantois… tout baptisé. Nos évêques ont-ils encore conscience de ce qu’est le baptême, ou bien le conçoivent-ils seulement comme une coutume traditionnelle qui est l’occasion d’une fête de famille? Cette crise sanitaire était justement l’occasion de rappeler la vraie conception du baptême, comme sacrement – et sacrement fondamental et indispensable – et non comme réunion de famille. Dans le pire des cas, le communiqué de Cathobel-Kerknet aurait dû demander aux parents d’ondoyer eux-mêmes leurs enfants. Mais non, nos mitrés ne rappellent pas aux parents l’obligation de baptiser “quam primum“. Foulant aux pieds le droit canonique, ils préfèrent prendre le risque de priver des enfants de la vision béatifique. Pauvre Église, pauvre Belgique…
Il y a dix ans, dans ces colonnes, Vini Ganimara avait publié une longue série d’article sur la Belgique (post)catholique, en laissant clairement entendre que l’Église dans ce pays glisserait dans un coma irréversible si la nomination de Mgr Léonard à Malines était conçue comme un sommet indépassable plutôt que comme une étape obligée d’une véritable restauration. Mgr Léonard est en effet un évêque très moyennement “modéré” (comme l’ont confirmé ses années comme primat), aux visées nullement restaurationistes, et admirateur avoué du cardinal Lustiger et de son séminaire. Eh bien, les nominations épiscopales sous Benoît XVI comme sous François ayant été ce que nous savons, dix ans plus tard nous y sommes: l’Église qui fut en Belgique est morte, achevée par le virus coronarien. Parce, Domine, parce populo tuo!
Pour votre info, la Libre Belgique n’est plus depuis plus de 20 ans catholique. L’église de Belgique n’est absolument pas morte, malgré les envahisseurs de l’ancien rite.
Breuche, que La Libre Belgique ne soit plus catholique, c’est justement ce que dit cet article. Mais pour vous, c’est peut-être un titre de gloire… Quant aux “envahisseurs” de l’ancien rite, c’est tout gentil et mignon de cracher votre mépris et votre haine mais ce sont à peu près les seuls dont les églises soient pleines. Le reste, si vous dites que ce n’est “absolument pas mort”, soit vous n’avez jamais mis les pieds dans une église en Belgique, soit vous êtes fou, soit vous êtes aveugle. “Oculos habent et non videbunt”.