Extrait de la lettre des Veilleurs de Paris, sur la faillite post-conciliaire, en chiffres :
La joie de Noël ne peut cacher que notre catholicisme est en ruine, pour le dommage d’un grand nombre d’âmes.
Vous savez que j’aime à répéter : « ils » (les catholiques libéraux) ont perdu, « nous » (les catholiques intégraux) n’avons pas gagné. Vatican II devait rajeunir, rénover, revitaliser l’Église. Mais au moment même où le « nouveau printemps » a été en quelque sorte décrété, imposé, en 1965, lorsque s’achevait le Concile, le navire a commencé à faire eau de partout.
Je ne reviendrai pas sur les analyses désormais bien connues de Guillaume Cuchet dans Comment notre monde a cessé d’être chrétien, anatomie d’un effondrement (Seuil, 2018), qui décrit comment un vent, un ouragan de liberté religieuse interne a soufflé sur l’Église justement à partir de 1965 : chute de la pratique, des vocations, des catéchismes. Je retiendrai pour ma part deux éléments que Paul VI, le pape de cette « rénovation » a vécu comme des bombes lui explosant à la figure au moment même où il la mettait en œuvre : les départs sacerdotaux et la réforme liturgique ratée.
À la fin du Concile, il y avait 65.000 prêtres en France, il y en a 12.000 aujourd’hui. Effondrement du nombre des vocations, mais aussi départs nombreux de prêtres renonçant à leurs engagements pour se marier. Ainsi, dans les années 1970, 32.000 prêtres du monde entier ont quitté le sacerdoce : une hémorragie jamais vue depuis la Réforme protestante et, en France, depuis la Révolution. Ensuite les départs ont continué chaque année, moindrement, mais il faut dire qu’il y a beaucoup moins de prêtres : en France, 15 départs par an, pour une petite centaine d’ordinations.
Au point que, par des normes qu’il édicta en 1970, Paul VI, pour éviter que les prêtres ayant « quitté » ne restassent dans le péché, rendit plus simple et facile l’accord de rescrits de réduction à l’état laïc avec dispense du célibat. Le peuple chrétien a vécu cela comme un grand affaissement religieux : la religion s’ouvrait au monde, les prêtres rejoignaient le monde. Au lieu de l’extraordinaire relèvement du recrutement du clergé et de sa formation théologique et spirituelle, que l’Église avait connu après le concile de Trente, le post-Vatican II s’est ouvert d’emblée dans un climat de faillite de l’encadrement du catholicisme.
Quant à la réforme liturgique, dont le même Paul VI pensait qu’elle apparaîtrait comme merveilleusement attirante pour les hommes de ce temps, dans sa première phase, de 1964 à 1969 (autels retournés, langue vulgaire, communion debout), elle provoqua l’étonnement des fidèles (« on nous change la religion ! »), et des critiques très vives dès la publication d’un nouveau missel, en 1969, sur ses étonnants trous d’air théologiques. Le Bref Examen Critique des cardinaux Ottaviani et Bacci fut suivi d’une foule de publications qui sonnaient le tocsin, lesquelles accompagnaient l’organisation d’un monde « réfractaire », de curés et religieux, puis de prêtres de Mgr Lefebvre, et ensuite d’autres fraternités, refusant la messe nouvelle et célébrant toujours la messe traditionnelle.
Pour sa réforme qu’il estimait radieuse, Paul VI attendait les félicitations du monde de la culture contemporaine. Qui s’en désintéressa complètement ou la considéra comme un four complet. Le romancier Julien Gracq, observateur extérieur issu d’un milieu laïque, constatait navré que le protestantisme « paraît soudain – à côté de cette agape dépouillée et intimiste – moelleux, orchestré, étoffé. [Ce à quoi Huysmans s’est converti], c’est tout ce que l’Église vient de larguer. On peut d’ailleurs penser que les conversions d’écrivains et d’artistes vont se faire très rares (Julien Gracq, « Œuvres complètes », Pléiade, II, p. 290-291).
Ainsi, la réforme liturgique, qui est le cœur ou en tout cas la vitrine de la réforme de l’Église, a paru essoufflée et à côté de la plaque depuis le commencement. Aujourd’hui, elle est en plus démodée, comme les HLM de bêton des années 1970. Et ses responsables doivent par ailleurs, plus que jamais grâce aux agacements du pape François et son Traditionis custodes, gérer la confrontation avec une opposition traditionnelle indéracinable, laquelle avec une liturgie comme éternelle, missionne, draine les vocations, attire les jeunes.
Bref, la bataille, perdue au moment où elle était engagée, a viré au désastre : on est passé en France de 25 % de pratiquants à l’époque du Concile à 1,5 % soixante ans après. Organisez donc une retraite en bon ordre, disent les troupes aux généraux ! 42% des 766 prêtres interrogés par l’enquête auprès des prêtres de l’Ifor pour L’Observatoire Français du Catholicisme publiée le 6 novembre dernier estiment qu’il est prioritaire de « faire la paix liturgique et de régler de façon apaisée et durable les querelles et incompréhensions avec le monde traditionnel » (et 38% en outre estiment que c’est important).
Pour autant, il n’est toujours pas question d’examen de conscience, de rectification de route. Et cependant, le pape François parlait d’or lorsqu’il disait dans Evangelii gaudium que « l’évangélisation joyeuse se fait beauté dans la liturgie ». Et encore : « L’Église évangélise et s’évangélise elle-même par la beauté de la liturgie, laquelle est aussi célébration de l’activité évangélisatrice et source d’une impulsion renouvelée à se donner. »
Mais s’il est clair que le dessein de Paul VI a échoué, rien n’a été fait, tout reste à faire pour entamer une vraie restauration, et d’abord une restauration du culte divin. Il y va de tout. Pie XII ne disait-il pas dans Mediator Dei que la sainte liturgie est ordonnée à rendre à Dieu le culte qui lui revient et à assurer le salut des hommes ?
