Dans la dernière lettre aux Amis du Monastère du Barroux, Dom Louis-Marie, abbé, évoque la publication d’un recueil de correspondance de Dom Gérard, fondateur de l’abbaye, et la reprise de l’abbaye Notre-Dazme de Bellefontaine (49) au printemps prochain à la suite du départ ces dernières semaines des trappistes. Une nouvelle fondation du Barroux qui sera menée par le Père Cyrille qui en deviendra le prieur.
Deux bonnes nouvelles
Avant d’évoquer la nouvelle que vous connaissez tous, permettez-moi de partager d’abord une grande joie : nous venons de publier la correspondance entre Jean et Hubert Calvet, Dom Gérard et André Charlier. Cette précieuse découverte a été faite par Paulin Calvet, fils d’Hubert, explorant les archives de son père. D’abord destinée à un cercle familial et amical restreint, cette correspondance a suscité un tel enthousiasme parmi les proches de notre fondateur que, d’un commun accord avec Paulin, nous avons décidé d’en élargir la diffusion à un public plus vaste.
Le Père Louis-Marie de Blignières souhaitait ardemment cette publication, et il avait rédigé un éloge soulignant la maturité spirituelle dont jouissait Dom Gérard dès ses premiers pas dans la vie monastique. Nous espérons que ces lettres offriront aux lecteurs un véritable élan pour la vie intérieure, en leur permettant de découvrir, de l’intérieur, l’âme de notre fondateur et premier abbé, et ainsi de mieux comprendre les fondements spirituels de nos trois communautés.
Il est essentiel de se rappeler que tous les combats d’ici-bas ne trouvent leur légitimité que s’ils sont enracinés dans un désir de Dieu, et donc dans une authentique vie intérieure. Dom Gérard, dans sa correspondance, nous y ramène sans cesse, à travers ses joies, ses luttes, et surtout cette humilité profonde qui donne la persévérance. La vie intérieure, en un mot, c’est Jésus vivant en nous, et nous vivant en lui et de lui, selon la pédagogie de l’Église et la richesse de sa grande liturgie.
À la lecture de ces lettres, j’ai retrouvé cette flamme qui animait l’âme de Dom Gérard — une lumière intérieure qui éclaire la nature, la force et la rectitude fondamentale de son œuvre, transmise comme un héritage vivant, enraciné dans une tradition profonde.
J’ai évoqué les trois communautés issues de la fondation de Bédoin en 1970, œuvre de Dom Gérard. Aujourd’hui, nous sommes un peu plus d’une centaine de moines et de moniales. Je n’ai pas osé écrire « quatre communautés », mais — si Dieu le veut — nous enverrons bientôt douze moines dans les Mauges, dans le diocèse d’Angers, à l’abbaye trappiste de Bellefontaine. Aussi, permettez-moi de vous partager un petit événement qui m’a profondément touché.
Mgr Delmas m’a invité, en compagnie du Père Samuel de Bellefontaine et du Père Thomas de la Trappe, à participer au conseil presbytéral du diocèse. Plusieurs aspects de notre identité y ont été abordés. Avec simplicité et vérité, je leur ai confié que leur discernement serait pour moi un signe de la volonté du Seigneur. Et que, s’ils estimaient que le projet ne convenait pas, je l’accepterais en toute liberté intérieure. Cependant les membres du conseil presbytéral ont donné leur accord.
Alors que la fondation de Sainte-Marie de la Garde avait nécessité de nombreuses visites dans divers diocèses, souvent accompagnées d’efforts et de démarches prolongées, l’accueil dans le diocèse d’Angers s’est fait dans une grande paix, sans la moindre tension. Certains diront que les temps ont changé, que la fermeture de nombreuses communautés religieuses a laissé peu de place aux idéologies. Pour ma part, je préfère y voir la main de Dieu, qui continue de conduire le monde, d’appeler, et d’ouvrir des portes — Lui qui a fendu la mer Rouge et qui a roulé la lourde pierre du tombeau du Christ.
Il n’en demeure pas moins que cette fondation reste un sacrifice, elle oblige à poser un acte de foi et d’espérance. Envoyer douze moines n’est pas une décision légère. Parmi ceux qui rejoindront Bellefontaine, trois laisseront en Provence une sœur, moniale à l’abbaye de Notre-Dame de l’Annonciation. Et nous verrons partir des Frères très chers, dont la présence était précieuse. Voltaire affirmait que les moines se côtoient sans se connaître, vivent sans s’aimer et meurent sans se regretter. Quelle bêtise venimeuse !
En concluant cet éditorial, je voudrais adresser un salut fraternel à la communauté de Bellefontaine, qui vit ce départ de son abbaye avec une profonde douleur. Le Frère Benjamin, qui avait un temps envisagé de rester avec nous, a finalement choisi de demeurer auprès de ses frères. À 101 ans, il aura passé soixante-dix-sept années à Bellefontaine — une fidélité bouleversante. Nous sommes allés rendre visite à la communauté, seuls ou en petits groupes. En septembre, nous étions une vingtaine, et nous avons eu la grâce de chanter notre premier office dans la magnifique abbatiale, à l’acoustique plus feutrée que celle du Barroux. Nous avons parcouru tous les lieux importants du monastère, tous admirablement entretenus. Il est évident que la communauté aimait profondément son abbaye et son histoire.
C’est pourquoi nous prendrons humblement le relais, dans le respect de ceux qui nous ont précédés. Et nous ferons tout pour nous enraciner dans cette terre, pour la plus grande gloire de Dieu et le salut des âmes.
† F. Louis-Marie, o. s. b., abbé
