Le père Bernard Lorenzato, chapelain de Notre-Dame de la Garde à Marseille, étudie depuis longtemps l’apport théologique et l’héritage des théologiens provençaux des premiers siècles de la chrétienté; après avoir donné des cours à ce sujet, il leur a consacré un livre et un édito sur le site du diocèse de Marseille :
Les Pères de l’Église, nos frères aînés dans la foi, n’ont pas seulement vécu en Orient, mais aussi en Occident. Si nous connaissons les noms des plus grands comme Cyprien, Basile, Ambroise et Augustin, d’autres, moins connus du grand public, ont cependant été des témoins de leur époque, en particulier à Marseille et en Provence.
Sancti et conversi
Au Vᵉ siècle, c’est l’époque du réveil de l’idéal évangélique. Il s’agit d’un courant rencontré chez des personnes sui se retirent dans des lieux spirituels ou dans leurs propres domaines pour vivre une conversion radicale à un christianisme plus fervent pouvant aller jusqu’à la vie religieuse. Ils sont appelés : « sancti » (les saints) et « conversi » (les convertis). Mariés ou non, ils sont attirés par la vie monacale. Certains iront vivre dans le voisinage des moines comme à Saint-Victor et à Lérins, d’autres auprès des évêques comme Proculus, évêque de Marseille de 380 à 430. Il avait créé un centre spirituel dans des bâtiments proches de la cathédrale.
Jean Cassien et Salvien, deux formes de spiritualité
Né vers 360 à l’embouchure du Danube Cassien, après avoir reçu une éducation classique, entreprend un voyage en Égypte dans le but de connaître la vie des moines, en particulier ceux de la Thébaïde. Vers 399, il se rend à Constantinople auprès de Jean Chrysostome et en 404, après l’exil de ce dernier, il s’installe à Rome, y reste une dizaine d’années, puis arrive à Marseille accueilli par l’évêque Proculus favorable au monachisme. C’est là qu’il fonde le monastère Saint-Victor et rédige pour ses moines et ceux de la région ses ouvrages : les Institutions et les Conférences. Il meurt vers 435. Sa spiritualité concerne en priorité les moines. Le monastère est pour Cassien le lieu favorable pour faire son salut. Salvien trouvera cette position exclusive. Pour Cassien, le moine doit extirper les vices et planter les vertus pour accéder à la vie contemplative et à la pureté du cœur. Dans ses entretiens sur la prière, il donne un commentaire sur le verset 2 du psaume 69 : « Dieu, viens à mon aide » : « Voici ce modèle destiné à vous instruire, cette formule de prière que vous cherchez. Ce n’est pas sans raison que ce court verset a été choisi particulièrement de tout le corps des Écritures. Il s’adapte à tous les états et convient à toutes les sortes de tentations. On y trouve l’appel à Dieu, une humble et pieuse confession. »
Prosper d’Aquitaine (390-455), un laïc lettré, ami et défenseur de saint Augustin venu s’installer à Marseille en 426, devient l’adversaire farouche de Cassien. Vers 432, il rédige un traité intitulé Contre l’auteur des Conférences dans lequel il reproche à Cassien d’accorder un rôle secondaire à la grâce. À quoi sert l’effort de l’ascèse si tout revient à la grâce ? s’interrogeaient les moines. Tout en affirmant que toute vie spirituelle vient de Dieu, Cassien écrit que les religieux mettent tout de même en actes leur liberté et leur volonté. Aux attaques de Prosper d’Aquitaine, Cassien ne fit aucune réponse.
Né vers 400 dans la région de Trèves, Salvien et son épouse Palladia, attirés par la vie des moines de Lérins arrivent en Provence. En 426, tous deux se retirent sur l’île voisine, appelée aujourd’hui Sainte-Marguerite. Ils vivent dans la continence et participent au mouvement des « sancti » et « conversi ». D’un commun accord avec Palladia, Salvien se retire au monastère de Lérins. Quelques années après Proculus 1 l’accueille dans le clergé marseillais et l’ordonne prêtre en 429. Dans la cité phocéenne il fait la connaissance de Cassien. Il meurt vers 470. Par opposition à Cassien, la spiritualité de Salvien ne s’adresse pas aux moines, mais aux laïcs. Dans son livre sur L’Église, il exhorte les chrétiens à la conversion en insistant sur le fait que la sainteté n’est pas réservée à une élite, notamment les moines, mais que tous les chrétiens y sont appelés. Salvien se démarque ainsi de Cassien pour qui les moines sont la véritable Église. Dans son œuvre Le Gouvernement de Dieu, il reproche aux chrétiens leur lenteur à mettre en pratique l’Évangile face aux païens qui eux vivent droitement selon la raison et le cœur.
Gennade, prêtre et canoniste
Prêtre marseillais, Gennade appartient quelques temps au monastère fondé par Jean Cassien. Son œuvre la plus importante est son livre Des hommes illustres, publié de 467 à 480. Il s’agit de 101 notices, où on puise toutes sortes de renseignements sur la plupart des évêques et écrivains ecclésiastiques de la Provence en ce temps-là. On lui attribue Les Statuts de l’Église ancienne, un code de droit canonique.
Paulin de Pella (376-459), poète
Originaire de Pella, en Macédoine, Paulin est le petit-fils du poète Ausone (310-395). Il apprend auprès de lui l’art de la poésie. Une grande partie de sa vie se passe à Bordeaux puis, vers la fin de sa vie, après la mort de sa femme, il se retire à Marseille sur un reste de domaine familial. Suivant les conseils de saint Paul, il vit continuellement dans l’action de grâces. Ainsi, à 83 ans, il « dit » sa vie dans un poème autobiographique, L’Eucharisticos : confession de la vie de l’auteur, confession de sa foi, confession de la louange de Dieu : « Je me décidais à m’établir à Marseille. Dans cette ville où de nombreuses saintes personnes m’étaient chères, je possédais une petite propriété, qui était un bien de famille… c’était une maison située en ville, avec un jardin attenant et, lieu de refuge pour ma solitude, un petit lopin de terre qui n’était pas sans porter de vigne ni d’arbres fruitiers, mais dont le sol n’était pas propre à la culture. »
Ces Pères du Vᵉ siècle, ont fait et font encore la gloire de l’Église de Dieu qui est à Marseille.
Bernard Lorenzato
en Provence, on compte aussi Saint Maxime de Riez et Saint Faust de Riez
saint Maxime (né à Châteauredon), le deuxième abbé de Lérins, premier évêque de Riez, de 435 à 460, et saint Fauste, abbé de ce même monastère, deuxième évêque de Riez, de 460 à 485.
Le rôle de ces évêques fut très important dans l’histoire de leur Église et de l’Église. ils ont puisé dans la richesse de leur intériorité spirituelle et théologique, héritage de leur vie monastique, pour édifier leurs fidèles. Ils ont été de grands prédicateurs (voir les sermons de Fauste, ses lettres et ses opuscules). Ils ont participé à la vie de l’Église (Maxime a participé aux conciles d’Orange et de Vaison; il fut en relation avec le pape saint Léon. Fauste a participé aux débats théologiques sur la nature et la grâce et sur l’Esprit-Saint; il a été accueilli par le pape saint Hilaire). Ils ont été confrontés durement aux problèmes de leur temps, en particulier l’invasion par les barbares (Fauste fut exilé par un roi des Wisigoths). Ils ont lutté pour maintenir la cohésion et l’autorité de leur Église.
Merci de faire connaître cet héritage si négligé d’une foi française qui a une histoire sur notre territoire et qui est malheureusement bien trop ignorée de tant de catholiques ! Ces trésors spirituels, notamment Cassien, sont pourtant parfaitement accessibles, stimulant et bénéfiques pour garder ou même redonner sa saveur perdue au sel catholique français. Il ne s’agit pas ici de querelles de rites mais bien d’Evangile et de l’appel à le vivre vraiment, a marcher avec exigence personnelle dans la sequella Christi ! Bonne fête de l’Assomption à tous !