Malgré les mauvais résultats, le Vatican insiste sur un semblant de dialogue qui provoque davantage de persécutions pour les catholiques chinois.
Le Saint-Siège qui implore une certaine reconnaissance, le gouvernement chinois qui va droit au but. C’est l’impression qui se dégage des paroles creuses qui ont accompagné l’annonce du renouvellement pour quatre ans de l’accord secret entre la Chine et le Vatican sur la nomination des évêques et l’administration de l’Eglise catholique en Chine.
Le renouvellement de l’accord – signé pour la première fois en 2018, puis reconduit deux ans après – était acquis après les déclarations des derniers mois, notamment du secrétaire d’État Pietro Parolin, dans lesquelles le Saint-Siège a montré à chaque occasion sa détermination à poursuivre sa coopération avec le régime communiste, en dépit d’un bilan peu positif. Et c’était considéré comme acquis après les occasions créées par le pape François pour faire l’éloge de la Chine – « une promesse et une espérance pour l’Église » – et de l’attitude du gouvernement de Pékin à l’égard de l’Église (« Je suis content des dialogues avec la Chine, le résultat est bon ») : des déclarations faites lors de son voyage de retour de l’Asie du Sud-Est en septembre.
Ce qui n’était pas acquis, en revanche, c’était la durée de l’accord. Jusqu’à il y a quelques mois, il était acquis que le troisième renouvellement serait le dernier, mais la fermeture de Pékin à toute concession a poussé le Saint-Siège à freiner des quatre fers et à proposer un nouveau renouvellement de deux ans. Le gouvernement chinois a alors relancé pour quatre ans, il semblait qu’un accord final serait conclu pour trois ans, mais c’est Pékin qui l’a emporté.
Rappelons que le cardinal Parolin, le 22 mai dernier, en marge d’une conférence organisée à Rome pour commémorer le 100e anniversaire du Conseil de Shanghai, avait déclaré qu’il espérait que l’accord « serait amélioré sur certains points », sans toutefois préciser lesquels. Il avait également fixé comme objectif au Vatican « de pouvoir avoir une présence stable en Chine, même si elle n’a pas, dans un premier temps, la forme d’une représentation pontificale, d’une nonciature apostolique… ». Pékin a répondu à ces deux demandes.
Dire qu’il y a des points à améliorer est toutefois un euphémisme, car si l’objectif du Saint-Siège est l’unité de l’Église chinoise et sa liberté, il faut reconnaître que six années d’accords secrets ont éloigné l’objectif plutôt que de l’approcher. Les résultats concernant les nominations d’évêques (qui ont d’ailleurs eu lieu même sans accords secrets) ont été misérables : seuls neuf évêques ont été nommés en six ans, alors que plus de 30 diocèses restent non couverts (un tiers du total). En outre, ces nominations ont donné l’impression de suivre le scénario selon lequel Pékin décide et le Vatican approuve. Et à certaines occasions, le gouvernement de Pékin a même « oublié » de prévenir le Saint-Siège : le cas le plus sensationnel a eu lieu en avril 2023, lorsque le régime chinois a nommé Monseigneur Shen Bin évêque de Shanghai, le transférant du diocèse de Haimen. Un coup dur difficilement digéré par les autorités vaticanes, et ce n’est qu’au bout de trois mois que le pape François a approuvé cette nomination, tandis que le cardinal Parolin a appelé les autorités de Pékin à un « dialogue sincère ».
Mais le Vatican a aussi accepté de facto la nouvelle géographie des diocèses chinois décidée unilatéralement par Pékin. Deux cas ont été emblématiques à cet égard : en novembre 2022, les autorités chinoises ont nommé Monseigneur John Peng Weizhao évêque auxiliaire de Jianxi, un diocèse créé par Pékin à l’insu du Saint-Siège, qui a dû faire bonne figure. Et en janvier dernier, Monseigneur Antonio Sun Wenjun a été nommé évêque de Weifang, un diocèse également créé par les autorités chinoises mais cette fois avec l’accord (obligatoire) du Pape. Selon la géographie de l’Eglise chinoise décidée par le gouvernement de Pékin, il y aurait 104 diocèses contre les 147 circonscriptions ecclésiastiques (qui comprennent aussi les préfectures et les administrations ecclésiastiques) traditionnellement reconnues par le Saint-Siège.
À ces maigres résultats, tous déséquilibrés en faveur de Pékin, il convient d’ajouter que les accords ont abouti à la reconnaissance de facto de l’Association patriotique des catholiques chinois, qui est l’organe créé et contrôlé par le parti communiste et auquel appartiennent évidemment les deux évêques chinois présents au synode sur la synodalité qui se déroule actuellement au Vatican. La reconnaissance de l’Association patriotique et l’invitation du Vatican à y adhérer ont eu pour effet collatéral et évident d’accroître la persécution de ceux qui refusent de se soumettre au parti, ce dont nous avons fait état à plusieurs reprises.
Il y a quelques jours, l’Institut américain Hudson a publié un rapport témoignant des persécutions subies par dix évêques à la suite de l’accord sino-vatican. Dix évêques catholiques persécutés en Chine, tel est le titre du rapport rédigé par Nina Shea, une chercheuse réputée qui se consacre à la défense de la liberté religieuse depuis des décennies. Le rapport montre que la situation des dix évêques examinés n’est que la partie émergée de l’iceberg d’une persécution qui s’est intensifiée depuis les accords avec le Vatican signés en 2018 et qui touche des millions de catholiques chinois.
Une persécution qui risque de s’intensifier grâce au silence du Saint-Siège, plus soucieux de maintenir de bonnes relations avec Pékin que de défendre les catholiques chinois. Silence absolu également sur la situation à Hong Kong, où l’Église est de plus en plus contrôlée par le régime communiste, grâce aussi à la nouvelle loi sur la sécurité nationale qui a déjà provoqué l’arrestation de nombreux catholiques, dont le plus célèbre est l’éditeur Jimmy Lai. Silence enfin pour l’attitude de plus en plus agressive dans la zone Asie-Pacifique, à commencer par les grandes manœuvres militaires répétées contre l’île de Taïwan : une menace supplémentaire pour la paix mondiale totalement ignorée dans les messages du pape.
Enfin, il faut également noter que cet accord corrompt le « vocabulaire » catholique. Pour justifier la « sinisation » de l’Église imposée par le président chinois Xi Jinping, on a désormais tendance à utiliser ce mot comme synonyme d’inculturation. Une terrible mystification, répétée non par hasard par l’un des évêques chinois présents au Synode, Monseigneur Yang Yongqiang, qui a réitéré dans son discours son adhésion « à la direction de la sinisation du catholicisme », qui n’est autre que la soumission de l’Église aux directives du Parti communiste. Il suffit de lire le « Plan quinquennal pour la sinisation du catholicisme en Chine (2023-2027) », approuvé le 14 décembre par la Conférence des évêques catholiques et l’Association des patriotes.
Un prix cher payé par le Saint-Siège pour maintenir un semblant de dialogue avec la Chine. Et rien n’indique qu’il en sera autrement dans les quatre années à venir.