Le média catholique canadien francophone Présence Infos publie une lettre ouverte d’un collectif qui appelle à l’élaboration de politiques citoyennes et publiques de sauvetage d’un patrimoine religieux actuellement à l’image de la chrétienté au Québec : en deshérence et en danger de mort . Cependant, pour être reprises par les communautés et les collectivités, les églises doivent, selon ce collectif, renoncer à leur vocation religieuse.
“Portes ouvertes, un groupe récemment constitué, se préoccupe de la dégradation actuelle des églises, touchées par des défis nouveaux, dans un contexte où l’entretien des bâtiments devient de plus en plus difficile. Son objectif est de mieux comprendre la situation des églises, de faire avancer la réflexion et de contribuer à des alliances larges autour de valeurs communautaires. Le groupe a remis aux médias une lettre ouverte qui demande une «réflexion collective sur le transfert de propriété des églises».
D’un point de vue patrimonial, la situation des églises du Québec est catastrophique. Ni les diocèses ni les divers paliers gouvernementaux ne prennent sérieusement acte du fait que, si rien n’est fait, la province perdra ces bâtiments par dizaines dans la prochaine décennie. Il n’y a pas de pilote dans l’avion, dans ce dossier, et nous en sommes à un seuil critique.
La Ville de Montréal commence tout juste à s’intéresser plus attentivement à cette question, notamment à travers son projet-pilote sur la sauvegarde du patrimoine bâti religieux, lancé à l’automne 2023 dans l’arrondissement Ville-Marie.
Collectivement, nous n’aurons pas le temps des demi-solutions. De très nombreuse églises, particulièrement fragilisées par leur architecture hors norme, sont en piteux état, et leur détérioration continue de s’accélérer au point de devenir, dans de nombreux cas, irréversible. Tandis que les diocèses sont sans ressource, les conseils de fabrique – les conseils d’administration (CA) des églises – sont laissés à eux-mêmes pour faire face à des travaux urgents d’entretien majeur exigeant des compétences pointues et des fonds colossaux, qu’ils n’ont pas, malgré leur bonne volonté.
Dans ce contexte, il est irréaliste de penser que des dons individuels résoudront le problème. Pour un grand nombre d’églises, la seule voie d’avenir sera la requalification entière ou partielle : autrement dit, un changement de vocation et d’usage. Les églises qui survivront seront celles qui auront été réinvesties et protégées par les communautés qui les entourent.
Réflexion collective
Il n’y aura cependant pas d’engagement citoyen significatif sans une réflexion collective sur le transfert de propriété des églises. Ce mouvement est amorcé partout dans la province, mais il est urgent de l’accélérer. Les principales initiatives permettant aujourd’hui la sauvegarde d’églises viennent d’ailleurs de citoyens laïcs, de croyances diverses, voulant défendre le patrimoine historique et social de leur milieu de vie. Or, la Loi sur les fabriques, qui encadre la propriété des églises du Québec et remet la responsabilité de celles-ci entre les mains des conseils de fabrique confessionnels, interdit à de nombreux citoyens de siéger au CA qui administre leur église de quartier.
Cette loi avait un certain sens quand l’univers social tournait autour de l’organisation des anciennes paroisses. Maintenant que ce n’est plus le cas, elle ne suffit plus, car les conseils de fabrique ne réussissent plus à assurer le maintien des bâtiments. En collaboration avec ces conseils, il faut donc encourager une forme de passation vers la collectivité, qui a financé ces églises et à laquelle elles appartiennent, non légalement, certes, mais légitimement, croyons-nous. Pour cette raison, la propriété de certaines églises du Québec, en région par exemple, a été transférée à la collectivité pour une somme symbolique d’un dollar: ce choix éthique apparaît exemplaire.
En France, les églises appartiennent aux communes depuis 1905. Au Québec, les municipalités pourraient, en concertation avec le milieu, jouer le même rôle de médiation et faciliter les projets de développement communautaire et d’entreprises d’économie sociale, gérés par l’intermédiaire d’une OBNL ou d’une fiducie d’utilité sociale, suivant l’excellente suggestion de Luc Noppen, spécialiste des questions de patrimoine urbain.
Propriété communautaire
Plutôt que d’être sacrifiées aux pressions de la spéculation immobilière, de très nombreuses églises pourraient ainsi devenir de riches espaces investis par le communautaire et les citoyens, des espaces de médiation et d’innovation sociales et économiques, favorisant les échanges entre les générations, les usages, les cultures, oxygénant par le fait même des quartiers entiers qui, dans les grandes villes, se gentrifient et se referment. Ce défi complexe est une occasion à saisir pleinement, par une réflexion sur les villes que nous voulons, avec de l’imagination critique et une réelle détermination civile.
En attendant, si les bâtiments se dégradent mais que leurs administrateurs tardent à amorcer les travaux essentiels à leur préservation, les municipalités ont aussi les moyens et le devoir d’intervenir, en vertu de la nouvelle version de la Réglementation relative à l’occupation et à l’entretien des bâtiments, qui stipule qu’un propriétaire a l’obligation de respecter des exigences strictes en matière d’entretien et de maintien d’un bâtiment.
Nous interpellons donc le gouvernement du Québec, les diocèses, les conseils de fabrique, les villes et les arrondissements et vous, chers concitoyens: il tient à nous d’exiger que soit préservé ce précieux patrimoine bâti légué par les générations qui nous ont précédés. Ce qui sauvera ces bâtiments anciens, ce sera d’abord notre capacité à les intégrer dans la dynamique de quartiers contemporains via des projets citoyens et de nouveaux partages de propriété. À nous d’imaginer les églises de demain, et d’ouvrir leurs portes, tous ensemble.
Propositions
Le groupe citoyen Portes ouvertes propose
– que les citoyens et les collectifs se rassemblent, autour de ces questions;
– que les conseils de fabrique au Québec réfléchissent, dans une perspective synodale, à la situation de leur église et à leur dialogue avec la société civile, autour de valeurs partagées;
– que les conseils de fabrique et les diocèses résistent à la tentation de brader le patrimoine bâti religieux à des intérêts privés et qu’ils accordent un droit de préemption au milieu communautaire et aux initiatives d’économie sociale;
– qu’à Montréal chaque arrondissement adopte un plan sur la sauvegarde du patrimoine bâti religieux, dans la foulée de l’initiative de l’arrondissement Ville-Marie;
– que le gouvernement du Québec et les municipalités appuient avec clarté les démarches citoyennes, en leur donnant les moyens de leurs ambitions, notamment par un financement conséquent du Conseil du patrimoine religieux du Québec.
Le Groupe citoyen Portes ouvertes: Emilie Houle, Isabelle Gagnon-Zeberg, Émilie Grenier, Bernard Jacques, Karim Larose, Nathalie Mazur, Julie Ouellette, Noémie Rivière, Julie Surprenant, Amélie Villeneuve.