Au vu de la multiplication d’églises qui ne sont plus desservies régulièrement par les prêtres, voire qui tombent en ruine, certains se demandent si elles peuvent être considérées comme désaffectées – ce qui pourrait permettre aux municipalités qui en sont souvent propriétaires depuis la loi de 1905, ou plus rarement d’associations diocésaines, ou de communautés religieuses, de disposer de leur mobilier ou de les réaffecter à d’autres usages. En réalité, la procédure de désaffectation d’une église est très encadrée, et il n’existe pas de désaffectation de fait – il faut absolument passer par l’accord de l’évêque et un décret d’exécration de son côté, et l’accord du préfet – avec un arrêté préfectoral, voire une loi dans certains cas précis.
Quand on entend dire, y compris par des responsables civils ou religieux parfois peu au fait du cadre légal dans lequel ils évoluent et qu’ils sont censés respecter, que « au bout d’un an sans culte, le diocèse perd tout droit sur l’église, et la mairie peut en faire ce qu’elle en veut », ou encore qu’il existerait un « usufruit » des diocèses sur les églises, ce sont des affirmations fausses et sans aucun rapport avec l’état du droit. De même, invoquer une soi-disant « prescription acquisitive » des municipalités sur des diocèses qui auraient abandonné les églises n’a aucun sens.
En effet, à partir du moment où une église a été affectée au culte – et peu importe la durée depuis laquelle il n’y a pas ou plus de messes ou d’actes cultuels – elle reste affectée, et la mairie bien que propriétaire ne peut en disposer, mais doit en revanche en assurer l’entretien. La loi précise aussi que tout édifice affecté au culte doit être réservé au culte – il ne peut être détourné à des usages profanes.
Aleteia, le 2 juin 2025, rappelait le principe:
« Inscrite dans le droit français à travers l’article 13 de la loi de 1905, la désaffection répond à des critères et à une procédure précise. Le propriétaire, en l’occurrence la mairie, ne peut pas déclarer une église désaffectée de fait, c’est-à-dire simplement parce que le culte n’y est pas célébré. La loi dispose effectivement que l’affectation au culte est gratuite et perpétuelle, accordée à l’affectataire, c’est-à-dire l’évêque et, plus précisément, le curé nommé par lui« .
Et expliquait la procédure, tant civile que canonique, obligatoire pour qu’une église soit effectivement désaffectée : « Pour désaffecter un édifice, le cas normal est donc un vote du conseil municipal suivi de l’accord de l’évêque et d’un arrêté préfectoral, dans des cas particuliers d’une décision du Conseil d’État ou même d’une loi. Les différents cas sont prévus par la loi : absence de célébration cultuelle pendant plus de six mois en dehors de cas de force majeure ; détournement de la destination de l’édifice ; manque d’entretien dommageable et notifié.
De l’autre côté, il y a l’évêque. Pour prendre sa décision, il doit prendre l’avis du curé, et consulter son conseil presbytéral. Le code de droit canonique stipule qu’il « peut la réduire à un usage profane qui ne soit pas inconvenant » (§1222). Dans le cas – majoritaire en France – où il ne possède pas l’édifice, l’évêque peut donner son avis sur l’usage futur. La réduction à un état profane, l’ »exécration » ou, plus couramment, la désacralisation, est proclamée par décret contresigné par le chancelier diocésain et peut donner lieu à une liturgie« .
Interrogé à l’occasion de la désaffection d’une chapelle à Caen en vue de sa vente et de sa transformation en salle de sport, le vicaire général du diocèse de Bayeux-Lisieux expliquait la procédure du côté canonique : « seul l’évêque peut désaffecter une église, qu’elle soit paroissiale ou de communauté. c’est un texte selon le droit canonique (le droit de l’église) qui est très précis. Et puis en amont, on enlève tous les mobiliers les plus intéressants au niveau patrimonial ou au niveau usuel. On enlève aussi tout ce qui est de l’ordre de l’usage des célébrations de manière à ce que le nouveau propriétaire puisse arriver dans un lieu qu’il puisse exploiter d’une autre manière« .
Le décret d’exécration peut être un simple acte à signer – même si dans le cas d’une église paroissiale il est fréquent d’organiser une dernière messe solennelle, après laquelle la Sainte Présence est retirée, et généralement l’autel aussi : « Il s’agissait de la chapelle du CHR de Caen. Il y avait un délégué de la direction du patrimoine du CHU de Caen. Je représentais le diocèse. Nous avons signé un document tous les deux et puis voilà, c’était fait; c’est purement administratif mais c’est porteur de sens. Après, l’église est complètement désaffectée et l’on peut en faire ce que l’on veut ».
Cas pratique en Ariège : la mairie fait pression pour désacraliser une chapelle, l’évêché refuse, elle est toujours affectée au culte
L’IPP rappelle sur son blog le précédent, en 2009, de la chapelle saint-Martin de Massat en Ariège, que la mairie locale avait marre d’entretenir – elle a tenté de forcer la main au diocèse de Pamiers pour obtenir sa désaffection et sa transformation en salle polyvalente sous prétexte qu’il n’y avait aucun culte depuis 1972, le diocèse a refusé et tenu bon, organisé une célébration pour tenir le terrain, et la mairie a du reculer.
« Selon La Dépêche du Midi du 17 aout 2009, on lire dans la bouche du maire : « Chaque année, 21 % du budget municipal est consacré à l’entretien des trois églises de la commune. La commune doit entretenir cette chapelle, qui est maintenant en mauvais état. Mais cela coûte 250 000 euros. Alors moi, je dis qu’il faut qu’il y ait retour sur investissement ». Autrement dit, l’ombre d’une salle des fêtes plane sur un lieu où, ces derniers temps, diverses activités culturelles et citoyennes se sont déroulées alors qu’aucun culte n’y a été célébré depuis 1972.
Le même article nous apprend qu’en décembre 2008, le préfet « avait exprimé un avis défavorable » à une première demande de désaffectation de la chapelle. Pour mettre l’évêché de Pamiers au pied du mur, le conseil municipal avait voté au cours de l’été la publication d’une annonce de mise à prix de ladite chapelle sur un site internet de vente aux enchères. Par la voix de son vicaire général, l’évêché refusa la désaffectation, tant à cause de la pression exercée que parce qu’il ne voulut pas créer de préalable. A la fin du mois d’août 2009, une messe était annoncée dans la chapelle« .
Le diocèse répondait dans la Dépêche : « le porte parole de l’évêque, Gilles Rieu est, quant à lui, relativement laconique : « Tout édifice du culte est réservé à l’usage du culte. La commune ne dispose pas de son bien. Avec Mgr Mousset nous avons étudié ce dossier et conclu que nous ne souhaitions pas désaffection de la chapelle. Ceci étant, nous pensons qu’elle peut être utilisée pour toute activité culturelle compatible avec sa vocation. Ce n’est pas une chapelle désaffectée, nous ne pouvons donc pas ouvrir une brèche et nous avons tenu compte de tous les avis ». Les habitants de Massat peuvent remercier Mgr Mousset, aujourd’hui à Périgueux, d’avoir tenu bon et ne pas avoir cédé à la pression de la municipalité.
En 2018 elle était toujours affectée au culte, une célébration avait lieu pour son centenaire, avec une association de défense du patrimoine locale; celle-ci continue de s’occuper des lieux, de faire des réparations lorsqu’il y a des actes de vandalisme, d’organiser des célébrations et des journées d’entretien… Cette chapelle avait été construite en 1915 par les femmes du village pour que les villageois mobilisés à la guerre de 1914-18 reviennent sains et saufs dans leurs foyers.
Complément : article 13 de la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat
Les édifices servant à l’exercice public du culte, ainsi que les objets mobiliers les garnissant, seront laissés gratuitement à la disposition des établissements publics du culte, puis des associations appelées à les remplacer auxquelles les biens de ces établissements auront été attribués par application des dispositions du titre II.
La cessation de cette jouissance, et, s’il y a lieu, son transfert seront prononcés par arrêté préfectoral, sauf recours au Conseil d’Etat statuant au contentieux :
1° Si l’association bénéficiaire est dissoute :
2° Si, en dehors des cas de force majeure, le culte cesse d’être célébré pendant plus de six mois consécutifs :
3° Si la conservation de l’édifice ou celle des objets mobiliers classés en vertu de la loi de 1887 et de l’article 16 de la présente loi est compromise par insuffisance d’entretien, et après mise en demeure dûment notifiée du conseil municipal ou, à son défaut du préfet :
4° Si l’association cesse de remplir son objet ou si les édifices sont détournés de leur destination ;
5° Si elle ne satisfait pas soit aux obligations de l’article 6 ou du dernier paragraphe du présent article, soit aux prescriptions relatives aux monuments historiques.
Dans les cinq cas ci-dessus prévus, la désaffectation des édifices cultuels communaux ainsi que des objets mobiliers les garnissant pourra être prononcée par décret en Conseil d’Etat. Toutefois cette désaffectation pourra être prononcée par arrêté préfectoral, à la demande du conseil municipal, lorsque la personne physique ou morale ayant qualité pour représenter le culte affectataire aura donné par écrit son consentement à la désaffectation.
En dehors de ces cas, la désaffectation ne pourra être prononcée que par une loi.
Si la fréquence des célébrations pose une difficulté, je suis certain que des tas de communautés traditionnelles pourraient occuper des églises…