Passée sous silence, la tribune de l’abbé Gilles Drouin publiée en juin 2023 sur le site de l’institut Catholique de Paris (ICP) est l’occasion de faire le procès des fidèles traditionnels, accusés de collusion avec certains courants politiques. Qui est l’abbé Drouin ? C’est le supérieur de l’Institut supérieur de liturgie (ISL) et le conseiller de l’archevêque de Paris pour l’aménagement de Notre-Dame de Paris, comme le précise cette tribune. Il est également celui qui a prononcé le mot d’ouverture d’un colloque organisé aujourd’hui et demain par l’ISL et où intervient le cardinal Roche.
L’attachement à la liturgie traditionnelle est d’abord un phénomène… liturgique
Profitant de la période de fragilité de l’Église de France, engagée dans un processus difficile de purification suite à la publication du rapport Sauvé et à ses répercussions douloureuses, les héritiers de l’intransigeantisme catholique se font entendre. La liturgie devient l’étendard de revendications et de nostalgies qui ne relèvent pas uniquement de l’ordre liturgique.
Pour le père Drouin, la liturgie traditionnelle ne peut être qu’un étendard de revendications et de nostalgies « qui ne relèvent pas uniquement de l’ordre liturgique ». Le supérieur de l’ISL instruit un le sempiternelle procès: la liturgie couvre des revendications politiques. Pourtant, les fidèles qui “approchent” la messe traditionnelle le font parce qu’ils sont avant tout attirés par tout ce que l’Église croit et enseigne. Le système traditionnel est d’abord un système “complet” qui donne au fidèle déboussolé un peu de consistance dans une Église qui donne l’impression de ne plus croire en ce qu’elle devait annoncer : confession, catéchèse et attachement aux enseignements traditionnels de l’Église. Et cette accusation “politique” est en soi un vieux poncif: comment peut-on reprendre cette accusation, alors que la société française se dépolitise à grande vitesse ? Quand on dit que “tout est politique”, rien ne l’est en fait. Cette méthodologie qui politise tout et n’importe quoi est-elle recevable ? On peut en douter.
Le poncif de l’Algérie française
Ces catholiques intransigeants sont connus depuis la Révolution française, et bien qu’ils aient écrits quelques-unes des plus belles pages de la mission catholique et de l’engagement social de l’Église de France, ils se sont souvent égarés lorsqu’ils ont abordé des questions politiques (Affaire Dreyfus, Action Française) ou esthétiques (Querelle de l’Art sacré) liées à l’engagement chrétien. Après s’être faits discrets depuis la Seconde Guerre mondiale et la période de l’Algérie française, ils réapparaissent maintenant en mettant leur zèle et leurs moyens considérables au service d’une prétendue “messe de toujours”, rebaptisée récemment “messe traditionnelle”. Pourtant, la messe traditionnelle est précisément celle promulguée solennellement par un acte de la tradition authentique et vivante de l’Église, c’est-à-dire le concile œcuménique et l’autorité de quatre papes.
Les catholiques “intransigeants” étaient encore actifs pendant la période de l’Algérie française, puis réapparaissent aujourd’hui… Quelques remarques. Notons d’abord que le père Drouin confond la Guerre d’Algérie, qui a duré de 1954 à 1962, et l’Algérie dite française qui a duré de 1830 à 1962. Or il est impossible que le catholicisme intransigeant ait commencé en 1830 (certes, en soi, on peut dire que la fidélité a l’enseignement de l’Église commence dès sa fondation…). Cette affirmation téméraire aurait étonné des historiens comme Émile Poulat. L’abbé Drouin parle-t-il plutôt du catholicisme dit « intégral », fruit de la décomposition du catholicisme intransigeant après 1870 ? Ensuite, il semble oublier qu’entre 1962 et aujourd’hui, il y a eu différents phénomènes: les “silencieux de l’Église”, les années 1970 avec l’apparition de la Fraternité Saint-Pie X, puis le développement de ses prieurés, les nouveaux instituts apparus dans le sillage du Motu proprio Ecclesia Dei de 1988, le Pèlerinage Paris-Chartres apparu en 1982 et qui a parfois fait l’attention des médias dans les années 1990…. Peut-on sérieusement affirmer qu’il y avait une “discrétion” entre 1962 et aujourd’hui ? Même un non catholique et un non pratiquant de cette époque où les intransigeants étaient supposés « discrets » aurait pu se douter de ces phénomènes: il lui aurait suffi de lire la presse ou de regarder la télévision. Outre d’être injuste avec de telles accusations, la tribune n’est tout simplement pas factuelle.
Le phénomène traditionnel ne se limite pas à l’occident – France et États-Unis
Cette croisade surprend beaucoup d’observateurs étrangers en Europe et ailleurs, qui regardent avec étonnement voire inquiétude ce qui se passe dans ces pays étranges que sont la France et, d’une certaine manière, les États-Unis, où la liturgie semble prise en otage par les fractures qui divisent des sociétés politiquement polarisées.
On pourrait aussi rétorquer au père Drouin que la messe traditionnelle se répand dans des pays de nouvelle chrétienté comme la Tanzanie et l’Afrique noire. Des pays étrangers à l’Action française ou à la cause de d’Algérie française, faits politiques qui relèveraient plutôt de l’anecdotique dans ces pays. On a par ailleurs constaté un certain développement de la messe traditionnelle dans des pays comme les Philippines et l’Inde, donc bien au-delà de la sphère occidentale. Sa progression est encore insuffisamment expliquée et les approximations politiques de l’abbé Drouin n’apportent pas de réponse sérieuse. Depuis la réforme liturgique, il existe des catholiques insatisfaits (ou « perplexes » pour reprendre le titre d’un ouvrage connu) qui ont du mal avec la liturgie telle qu’elle est célébrée.
L’abbé Drouin omet de mentionner le fait que le père Bouyer était aussi critique sur la réforme liturgique
L’abbé Gilles Drouin cite le père Louis Bouyer. Mais le supérieur de l’ISL est-il au courant que l’oratorien a été critique sur la réforme liturgique ? A-t-il lu ses Mémoires, publiés à titre posthume aux éditions du Cerf en 2014, où l’oratorien ne mâche pas ses mots contre le père Bugnini et le travail du Consilium, qui fut à l’origine du nouveau missel ? Pourtant, le père Louis Bouyer a eu des mots assez durs sur les “manœuvres du scélérat doucereux” qu’était le père Bugnini, l’animateur du Consilium:
malheureusement, d’une part, une fatale erreur de jugement plaça la direction théorique de ce comité entre les mains d’un homme généreux et courageux, mais peu instruit, le cardinal Lercaro. Il fut complètement incapable de résister aux manœuvres du scélérat doucereux qui ne tarda pas à se révéler en la personne du lazariste napolitain, aussi dépourvu de culture que de simple honnêteté, qu’était Bugnini.
En outre, le père Bouyer a eu des mots durs sur le nouvel offertoire:
le pire fut un invraisemblable offertoire de style Action catholique sentimentalo-ouvriériste
Nous sommes bien d’accord avec l’abbé Drouin: il faut “former, former, encore former”. Oui. Mais pas déformer. Nous pourrions paraphraser Danton en disant: “de l’audace, de l’audace, toujours de l’audace”. De l’audace pour une saine culture critique qui manque à un monde ecclésiastique dont l’ignorance abyssale le conduit à des attaques aussi mesquines qu’injustes.
Une méconnaissance totale de la liturgie de la messe catholique t’elle quelle était célébrée avant 1969, égare complètement ce prêtre qui tient des propos méprisants contre les catholiques fidèle au magistère de l’église catholique apostolique romaine
On retrouve bien là le dépit de ces ministres de l’église conciliaire en pleine débandade et pressentant bientôt le clash avec le pape François en roue libre
C’est bien vrai.
« Le système traditionnel est d’abord un système “complet” qui donne au fidèle déboussolé un peu de consistance dans une Église qui donne l’impression de ne plus croire en ce qu’elle devait annoncer : confession, catéchèse et attachement aux enseignements traditionnels de l’Église »
Je croyais que la Sainte Église devait annoncer Jésus-Christ venu nous sauver. Peut-être que le P. Drouin ne s’y est pas trompé : vous êtes au service d’un système. Des pratiques, un code de bonne conduite,… ça ne serait p ce qu’on reproche à l’Islam ?
Si mon commentaire a le droit d’être publié j’admirerais votre ouverture d’esprit.
Un prêtre extrémiste progressiste dans toute sa splendeur, qui se voile la face volontairement car le retour de boomerang de Vatican II et ses fruits pas très goûteux fait mal. Je prie bien pour ce prêtre car il est en souffrance. Une bonne cure de découverte de la tradition catholique lui ferait grand bien à mon humble avis…
Alors tjs admiratif des tradis ?
L’abbé Drouin est bien un disciple de Bergoglio et de toute la clique moderno-progressiste : même injustice, même méchanceté, en un mot même manque de charité envers les tradis, pourtant ses frères dans la foi (en principe)…
Qu’il se rassure, il recevra bientôt sa récompense pontificale…
Il suffit de voir comment la liturgie est écornée dans la grande majorité des diocèses pour se persuader que l’Abbé Gilles Drouin est au culte catholique ce que les bureaucrates bruxellois sont à l’agriculture.
Désolé de vous contredire, Père Drouin, mais s’agissant de la nouvelle liturgie , nous “jugeons l’arbre à ses fruits”.
Vous jugez l’arbre à ses fruits. Soit. Mais où avez-vous vu l’arbre ? Sûrement pas dans nos paroisses où un clergé héritier des idées soixante-huitardes n’a jamais pris le soin de le planter. Là où ce qu’on appelle “la nouvelle liturgie” (qui en fait ressemble à ce qu’elle était au VIIIe siècle, comme le savent tous les historiens) est respectée, elle porte des fruits. Il suffit d’aller voir dans les monastères et les rares paroisses qui la célèbrent avec foi, intelligence et respectueuse dignité.