La liturgie suit pas à pas Jésus dans sa vie terrestre. Pas plus pourtant que pendant le Temps de Noël, où le Missel nous parlait par exemple, du recouvrement de Jésus au temple, ayant de rappeler la fuite en Egypte, et célébrait ce dernier événement avant l’adoration des Mages, il ne faut rechercher d’ordre strictement historique dans la suite des événements qui font l’objet du Temps de la Septuagésime et de celui du Carême. C’est ainsi, en effet, que la tentation au désert est placée au 1er Dimanche de Carême et le Baptême de Notre-Seigneur au jour Octave de l’Epiphanie, le 13 janvier ; que la parabole du bon semeur, qui se rapporte à la 2e année de la vie publique, vient avant la parabole des ouvriers de la vigne qu’il prononça la 3e année, et ainsi de suite. C’est à nous, qui connaissons la vie de Jésus dans l’ordre où on la reconstitue ordinairement, de situer chacune des scènes que nous retracent les Évangiles. Ainsi l’Évangile de la Sexagésime se rapporte à la 2e année de son ministère. C’est la parabole du Semeur, prononcée sur le lac de Qénésareth à Capharnaiim et inspirée par l’aspect des collines verdoyantes qui l’avoisinent. L’Evangile de la Septuagésime propose à notre méditation la parabole des ouvriers de la vigne prononcée par Jésus en Pérée, la 3e année de son ministère. La fête de Pâques, où le Sauveur doit être immolé, approche et il annonce à ses apôtres que bientôt vont s’accomplir les prédictions des prophètes touchant sa Passion. Pour se rendre à Jérusalem, il traverse alors le Jourdain et c’est à Jéricho qu’il guérit l’aveugle dont nous parle l’Évangile de la Quinquagésime.
Si l’Église ne suit pas dans le Missel l’ordre historique de la vie de Jésus, elle passe pourtant des mystères de son enfance à ceux de sa vie publique et de sa passion et ensuite à ses mystères glorieux. C’est dans cette mentalité générale que nous devons entrer si nous voulons vivre cœur à cœur avec l’Église pendant toute l’année. Ne perdons en effet jamais de vue que le Cycle n’a été constitué que lentement, avec des éléments qui se rattachent à des liturgies et à des époques très diverses et qui n’ont été rattachés les uns aux autres que plus tard. Le Temps du Carême, par exemple, a précédé l’établissement du Temps de la Septuagésime et ce n’est qu’après coup qu’on a ajouté quatre jours au Carême pour avoir les quarante jours de jeûne comme le Christ les avait eus au désert.
En effet si l’on défalque les Dimanches, où l’on ne jeûne pas, il y a quarante jours du Mercredi des Cendres au Samedi-Saint. Mais on ne peut nier que dans le Cycle, tel que nous l’avons de nos jours, les temps de pénitence et de labeur, que représentent la Septuagésime et le Carême, ne se rapportent à la phase de la vie publique de Jésus, initiée par sa retraite au désert et par son baptême et terminée d’une façon tragique par sa Passion que l’Église commémore au Temps, appelé pour ce motif, de la Passion.
Cette pensée d’associer nos âmes à Jésus dans sa vie de labeurs et d’apostolat, pendant ces neuf semaines préparatoires à Pâques, ressort très nettement de nombreux textes tant des messes que de l’office de ces temps. La meilleure manière de nous préparer à célébrer les glorieux événements du Temps Pascal n’est-elle pas, en effet, de nous unir au Christ dans les événements douloureux qui commencent avec son ministère ? Car c’est dès ce moment que les ennemis de Jésus commencent à se déclarer et que l’on voit leur haine grandir jusqu’à ce qu’elle obtienne son plein assouvissement par le déicide du Vendredi-Saint.
L’on saisit mieux dès lors le pourquoi du rejet d’Israël et l’élection des Gentils auxquels la liturgie de la Septuagésime et du Carême fait de continuelles allusions. C’est à Pâques, en effet, nous l’avons vu, que l’on baptisait autrefois les païens ; et les temps liturgiques qui précédaient cette fête, avaient pour but de les préparer au baptême et de leur montrer qu’ils occuperaient dans le royaume de Dieu la place du peuple infidèle parce qu’ils acceptaient le Messie qu’Israël rejette. Et de la sorte, cette partie du Cycle unit intimement l’Église à son Époux divin dans cette phase de sa vie où il opère notre salut. Ce qui veut dire que nous faisons nôtres tous les sentiments du Christ, divin missionnaire et notre Sauveur, et que nous coopérons à son œuvre rédemptrice en faisant pénitence, en écoutant la parole de Dieu et en expulsant de notre cœur le démon dont Jésus est venu détruire l’empire. C’est donc chaque année tout à la fois les combats et les labeurs du Christ et de son Église que signale cette partie du Cycle liturgique. Et nous avons dit, comment Jésus et son Épouse n’ont fait en cela que réaliser ce que Dieu avait promis aux Patriarches, ce qu’il avait annoncé par les prophètes et ce que le peuple de Dieu avait esquissé dans l’Ancienne Loi. C’est ainsi que la liturgie donne une grande unité à tout le plan divin en supprimant pour ainsi dire les distances de temps et de lieu, et en rendant tous les peuples contemporains les uns des autres en Jésus, dont elle retrace chaque année la vie.
Extrait du site Introibo (Différents auteurs)