Les fidèles sont conviés à communier à la suite du prêtre qui célèbre la messe. Telle est la logique des choses et la volonté de l’Église. En revanche, la façon de communier a subi, au cours des générations chrétiennes, des variations qui correspondent à l’accroissement des foules.
Aux temps apostoliques les fidèles restaient à leur place et les prêtres passaient parmi eux, avec le pain et le vin consacrés. Pour cela ceux qui ne communiaient pas devaient sortir. Le diacre annonçait : Sancta sanctis ! « Les choses sacrées sont pour les saints ». A cette époque les hommes recevaient l’hostie dans la main, les femmes dans leur voile « dominical ». Ils communiaient sous les deux espèces et restaient debout. En Orient comme en Occident l’Église a approuvé l’abandon définitif de cette pratique, par commodité et bienséance. Le concile de Rouen, vers 878, prescrit la communion sur la langue, et au XlIIe siècle, le rite est partout celui que nous connaissons : prière du confiteor, le Domine non sum dignus. Les fidèles viennent s’agenouiller à la balustrade du sanctuaire ; une nappe est tendue devant eux ou un plateau de communion placé sous le menton, pour éviter la perte de parcelles d’hostie. La communion n’est pratiquement plus reçue au Précieux Sang. Cela devient la règle au synode de Lambeth en 1281, puis au concile de Constance de 1415.
Le fait d’amener au banc de communion ceux qui ne communient pas avec un code gestuel (« pas moi ! ») est à éviter comme une nouveauté romantique qui, outre le fait de ralentir le mouvement de communion et d’introduire des différences d’une chapelle à l’autre, expose des enfants au risque de communier involontairement et mélange le sacrement avec un rite de bénédiction, ce que les rubriques proscrivent.
L’Église déplore l’éloignement progressif des fidèles de la communion, comme cela fut le cas à partir du IVe siècle, et jusqu’au XXe siècle ! Un perfectionnisme mystique empêchait les laïcs de communier plus de trois fois l’an ! Il a fallu l’énergie de saint Pie X pour rendre aux fidèles de la messe la participation au Corps de Notre Seigneur.
Abbé Lionel Héry, FSSPX
Extrait d’Apostol – Janvier 2024
Cet exposé est intéressant à plus d’un titre. D’abord par les faits qu’il rappelle. Ensuite par les questions qu’il suscite sur la qualité de l’argumentation. Un moderniste pourrait utiliser les mêmes arguments que ce prêtre pour le contredire. Il me semble donc qu’il faudrait raffiner et affermir la qualité de l’argumentation.
Présupposé sous-jacent de l’auteur : l’Esprit Saint conduit l’Eglise. Progressivement, avec douceur, le Saint-Esprit fait adopter à l’Eglise des pratiques de plus en plus pures. Donc plus le geste est récent, mieux c’est. Exemple : le concile de Rouen, 878, met fin à des siècles d’errement, et prescrit la communion sur la langue, très bien. Notons au passage que l’argument de bienséance n’est pas très développé. Passons.
Le fait d’avoir supprimé la communion au précieux Sang n’est pas expliqué autrement que par la chronologie. En toute rigueur, ce fait reste problématique : le Christ a dit “prenez et mangez”, et “prenez et buvez”. L’argument que des gouttelettes risquent de tomber est faible : il est identique au risque de laisser tomber des parcelles d’hostie, et cela n’empêche pas de distribuer des hosties. On vit donc dans le paradoxe que le Christ est venu donner sa vie non pas pour les bien-portants mais pour les pécheurs, mais on refuse de donner son Sang aux destinataires par souci de bienséance. Le Sang du Christ a-t-il donc été versé pour ne pas être partagé ? L’auteur glisse rapidement, et pourtant ce point pose quand même un sérieux problème.
L’argumentation devient déroutante sur “Le fait d’amener au banc de communion ceux qui ne communient pas avec un code gestuel”. L’auteur mélange pêle-mêle des arguments de nature et de protée très différente, au risque de la contradiction :
– à éviter comme nouveauté romantique : mais (cf précédemment), si c’est l’Esprit qui introduit les nouveautés au fil des siècles, pourquoi certaines sont-elles à éviter (les romantiques) et d’autres à conserver (les médiévales) ? Ne faut-il pas non plus rejeter la fin de la communion au précieux Sang comme une nouveauté médiévale ? Argument méprisant et incohérent, faible.
– ralentir le mouvement de communion : désolé pour les prêtres fonctionnaires et le rôti qui cuit au four : une bénédiction pour un fils d’Abraham vaut bien un peu de fatigue cléricale et un rôti un peu trop cuit. Argument de confort, faible.
-introduire des différences d’une chapelle à l’autre : nimportenawak. Au XIIe siècle, la communion sur la langue ne s’est certainement pas imposée partout au même instant. Il y a eu – comme aujourd’hui – coexistence dans le temps de paroisses où les choses se faisaient “bien” et où les choses se faisaient “mal”. Au nom de l’unité, faut-il partout faire mal ? C’est l’argument des modernistes pour imposer partout la communion sur la main et la fin de l’agenouillement, entre autres. Qu’un prêtre FSSPX utilise cette logique est paradoxale. Argument de bienséance et de vanité sociale, faible.
– expose des enfants au risque de communier involontairement. Pas faux. En revanche, à notre époque, laisser un enfant seul au banc l’expose au rapt (une tentative dans ma paroisse). Il reste la responsabilité des parents et leur vigilance : un enfant est rarement un electron libre. Mais l’argument prudentiel peut s’entendre pour les enfants. Pour les ados et les adultes, c’est moins certain.
– mélanger le sacrement avec un rite de bénédiction, ce que les rubriques proscrivent : d’accord, argument de discipline et d’obéissance, recevable, et même fort.
Synthèse : pourquoi les arguments cohérents sont-ils présentés en dernier, après les arguments les plus humains et les plus faibles ? Il y a pourtant une différence de nature et de degré entre eux. Que l’auteur ne l’ait pas vu est justement révélateur d’une tendance lourde d’un certain conservatisme catholique, à mélanger l’essentiel et l’accessoire. Peut mieux faire.
Bonne année à tous,