A l’automne 2022, nous nous étions déjà intéressés au déclin des eudistes au Canada, tandis que Paix Liturgique enquêtait sur les dérives au sein de la congrégation en région parisienne (Paris, Versailles) et à Orléans, ainsi que le rôle de certains responsables – dont l’actuel évêque de Versailles Mgr Crépy – pour étouffer les affaires. Mais d’autres épisodes, plus périphériques ou anciens, révèlent que les problèmes au sein de cette congrégation ne datent pas d’aujourd’hui et continuent de nos jours – notamment parce que des prêtres qui ont fait l’objet de mesures canoniques, voire condamnés au civil dans la discrétion ont été non moins discrètement réinsérés.
Rennes : des abus anciens, mis sous le tapis ?
Un ancien élève de Saint-Martin de Rennes, collège-lycée sous tutelle eudiste, a témoigné dès 2005 des abus qu’il a subi « à l’aube des années 1960 », alors qu’il avait onze ans et demi, par un prêtre, puis un laïc, et qui a été reçu en audience par le Pape François en 2021.
Il n’est pas le seul à avoir subi un calvaire dans ce qu’une autre ancienne victime appelle un « bagne d’enfants ». Un autre élève de cette même époque témoigne du viol « pendant deux mois en 1961 de [s]on meilleur ami », aujourd’hui décédé, par le père Maurice. Il s’agirait, selon nos informations, du père Maurice de Rochemacé, finalement envoyé « évangéliser » en Afrique, avant d’être revenu en France pour sa retraite – en 2013, alors qu’il résidait dans une communauté de l’Essonne, il rédige une plaquette sur le relèvement de la congrégation des Eudistes après la guerre de 1914.
« Je vois encore mon ami venir vers moi et raconter les crimes de ce fumier d’eudiste », relate notre source. « Mais à vrai dire, je ne comprenais pas bien, je n’avais que onze ans ». Le directeur de l’époque, Louis Denis, aurait été « au courant, mais n’a jamais rien dit », constate notre source qui a recroisé sa carrière plus tard… lorsqu’il est devenu directeur diocésain de l’enseignement. On dit que le silence est d’or.
Louis Denis est décédé, couvert d’honneurs, en 2015. Il a eu droit à un beau nécrologue dans Ouest-France qui détaille sa biographie et ses fonctions :
« Né à Rennes le 7 mars 1923, Louis Denis fait ses études secondaires à Saint-Sauveur de Redon. Entré chez les Eudistes le 14 septembre 1941, à la Roche-du-Theil, il y accomplit ses études ecclésiastiques : philosophie (1942-1944), théologie (1945-1948). Il est ensuite ordonné prêtre dans la chapelle de son collège Saint-Sauveur de Redon, le 2 juillet 1948.
En septembre 1949, il devient professeur de lettres en 5e à l’Institution Saint-Martin de Rennes, tout en préparant une licence ès lettres, qu’il obtiendra en 1954. À partir de 1958, il devient directeur de l’Institution Saint-Martin et supérieur de la communauté, fonctions qu’il gardera jusqu’en 1967. Entre-temps, il est aussi assistant provincial (1964-1967).
De 1967 à 1972, il rejoint Saint-Sauveur de Redon puis le lycée Saint-Martin, avec les mêmes fonctions. En 1979, l’archevêque de Rennes le désigne comme directeur diocésain de l’Enseignement catholique. Le 28 juillet 1988, un décret du ministre de l’Éducation nationale l’élève au grade d’officier dans l’ordre des palmes académiques.
Après quarante-deux années au service de l’enseignement catholique, Louis Denis devient directeur de la maison d’accueil diocésaine au centre de la Hublais, à Cesson-Sévigné. Il le sera durant cinq ans, jusqu’à son élection en 1995 comme premier conseiller général de la Congrégation de Jésus et Marie, résidant à Rome.
Des difficultés d’adaptation et des ennuis de santé l’obligent à quitter cette fonction pour un travail pastoral dans son diocèse d’origine, avec résidence à Breteil près de Rennes (1997). En 1999, il lui sera confié en outre la fonction d’exorciste ».
Il n’est guère étonnant que les victimes connues aient eu besoin de tant de temps pour que leur parole soit reconnue – et que les affaires d’abus au collège Saint-Martin de Rennes n’ont jamais fait l’objet de publicité, ni de la part des eudistes, ni du diocèse de Rennes. Qui a intérêt à la vérité ?
Du reste, une autre source dans le diocèse de Rennes, lui aussi élève des eudistes à l’aube des années 1960, se rappelle de faits qui tiennent plus du voyeurisme, de la part d’un autre eudiste, G.A : « son plaisir était de passer dans les dortoirs des petits, 6e/5e pour baisser les pantalons de pyjama, au cas où on aurait gardé nos slips. Il faisait aussi les douches, et pour s’assurer qu’on s’était bien lavés, il ouvrait les douches ».
Quand un évêque refuse de fermer les yeux
Tous les évêques n’ont pas la culture gaie – et tous ne ferment pas leurs yeux et leurs oreilles, lorsque leurs fidèles s’étonnent de croiser des eudistes là où aucun prêtre n’a sa place. Ainsi, le recteur de la basilique de Douvres-la-Délivrande, Benoît Sevenier – encore un théologien – annonce le 22 août 2017 dans les colonnes d’Ouest-France qu’il quitte sa paroisse et le sanctuaire le 30, pour cause de « nécessités du service », pour aller « rejoindre le centre spirituel de la Roche du Theil » dans le diocèse de Rennes, l’ex-petit séminaire des eudistes à Bains sur Oust, dont il devient responsable – il permute avec le responsable religieux en poste, qui va dans le diocèse de Caen jusqu’au départ des eudistes en 2020. Le mouvement était annoncé dans les nominations diocésaines au début de l’été, comme celui des trois eudistes qui l’ont remplacé.
En réalité, selon nos informations, des fidèles du diocèse de Bayeux et Lisieux l’ont reconnu dans plusieurs lieux de drague où un prêtre n’avait pas sa place. L’évêque de l’époque avait refusé que le prêtre, dans le diocèse depuis 2009, y demeure encore à son poste. Les eudistes avaient proposé son envoi… au collège Saint-Jean d’Hulst à Versailles dont la direction, mise au courant, avait refusé aussi.
Condamné pour détention d’images pédopornographiques en 2002, toujours curé
Un autre signalement nous est parvenu. En 2002 un prêtre eudiste de l’Eure a été condamné – fort discrètement – au civil pour détention d’images pédopornographiques. Il a été retiré de son poste, officiellement pour “dépression“- un prétexte qui a servi aussi pour décharger en 2012 un prêtre aujourd’hui suspendu de la gestion d’un foyer à Paris après un incident, officiellement pour cause de “surmenage“- puis appelé à d’autres fonctions ecclésiastiques, tandis que les eudistes quittaient cette paroisse en 2006. On le retrouve secrétaire d’un évêque dans le Midi, responsable d’un centre religieux en Bretagne, puis désormais curé dans le centre de la France – le diocèse nous précisant ne pas être au courant de son passé, et qu’il est chargé de la formation des prêtres.
Tant que personne n’est au courant…
Le diocèse de Caen n’existe pas, c’est le diocèse de Bayeux et Lisieux
Hmm. Effectivement, corrigé, merci beaucoup.
Robert Sévenier, père d’un des prêtres mentionné, est mort en odeur de sainteté. On peut le prier pour son fils.
Cela dit un peu la puissance des attaques spirituelles dont sont victimes les prêtres. S’ils pouvaient, dans leur formation, être un peu mieux préparé au combat spirituel (le vrai, pas le scrupule), l’Eglise s’en trouverait sans doute mieux.
Le père Benoît Sevenier est aujourd’hui aumônier de la troupe
des Louveteaux de Redon-Savenay, je le rencontre régulièrement à la Roche-du-Theil. J’ignorais ce que vous avez écrit mais j’ai déjà eu plusieurs échanges avec lui et jamais, les réponses à mes questions ne sont claires, limpides et compréhensibles. Je serai très attentif désormais.