Interrogé dans La Vie, Mgr Luc Ravel a répondu aux nombreuses critiques qui lui avaient été faites. En voici quelques extraits :
En novembre 2022, j’ai été convoqué à Rome par le cardinal Ouellet (préfet du Dicastère pour les évêques de 2010 à 2023, ndlr), qui me les a données à l’oral, sans que je puisse prendre de notes. J’ai ensuite envoyé par écrit des réponses sur les motifs factuels qui m’étaient reprochés.
Qu’est-ce que le cardinal Ouellet vous a reproché ?
Le fond du problème a toujours été la gouvernance. C’est la raison pour laquelle le pape demande ma démission. En particulier, cette difficulté que j’aurais avec des prêtres, qui sont terrorisés par ma façon de traiter les abus. « Vous en faites trop », m’a-t-il dit. Je ne conteste aucune maladresse de ma part, et je n’ai aucune prétention à l’infaillibilité. Mais j’aurais préféré que cela soit plus factuel. Est-ce que j’ai été autoritaire, ou est-ce que j’ai posé des actes d’autorité ? Je n’ai jamais pris de décision sans consulter autour de moi. Pas forcément mes conseils diocésains, mais des conseils personnels : avocats, médecins…
Est-ce qu’à ce moment, le cardinal vous indique que vous allez devoir démissionner ?
Absolument pas. La décision relève du pape seul, et elle m’a été transmise en février 2023 par le nonce apostolique à Paris.
Vous avez rendu votre renonciation publique le 20 avril 2023. Pourquoi avoir attendu deux mois ?
J’ai pensé que la démission devait être un acte pleinement libre, en conscience. La décision du Saint-Père s’est instantanément imposée à moi. Maintenant, comme aucune date ne m’avait été donnée, j’ai estimé devoir conclure des dossiers qui venaient d’apparaître. Je préférais le faire quand j’en avais les moyens, plutôt que de regretter toute ma vie de ne pas avoir pris certaines décisions, concernant par exemple de proches collaborateurs.
Avez-vous des choses à reprocher à Rome ?
Je m’incline devant la façon de faire de l’Église. Même si beaucoup de mes amis, notamment juristes, s’interrogent sur le système d’audit interne à notre institution, j’ai essayé d’acquérir la paix. De toute façon, la volonté du Seigneur est là. Il ne s’agit plus de chercher qui a tort ou a raison. En cas de divorce, c’est rare que les torts soient tous du même côté. Du reste, je constate que les curés continuent de faire leur travail paisiblement dans mon diocèse. Toute la semaine sainte a été magnifique, y compris la messe chrismale à la cathédrale. Je récuse l’idée que ce diocèse est à feu et à sang, parce que quelques dizaines de personnes demandent la démission de l’archevêque. Ce diocèse est un diocèse vivant, et les secousses en haut ne font pas forcément trembler le peuple de Dieu.
Est-il vrai qu’entre février et avril 2023, vous avez tenté de gagner du temps, en envoyant au pape une lettre de démission irrecevable ?
Gagner du temps par rapport à quoi ? Personne ne m’avait donné de date pour ma démission. J’ai expliqué au nonce par courriel que je le ferais, mais qu’il y avait un certain nombre d’affaires que je devais régler. Le nonce a accusé réception. De deux choses l’une : soit c’est une démission forcée, et je suis obligé de parler de harcèlement. Soit c’est une démission qui se fait dans la liberté de conscience, et à ce moment-là, c’est à moi de fixer la date quand j’estime que les temps sont mûrs.
Avez-vous recherché l’appui du ministère de l’Intérieur, dans le cadre du Concordat en vigueur à Strasbourg ?
J’ai rencontré la directrice des libertés publiques et la préfète, pour savoir si l’État avait quelque chose à me reprocher. Je rappelle que notre situation concordataire est particulière. Je mets au défi quelqu’un de me dire qu’il ne fallait pas le faire : je suis nommé par le président de la République, avant de recevoir l’investiture canonique du pape. C’est l’essence même du Concordat, que je n’ai jamais voulu remettre en cause.
Votre gouvernance épiscopale a suscité beaucoup de commentaires. Pourquoi avoir choisi de ne pas célébrer la messe quotidienne avec vos collaborateurs, à la chapelle de la résidence épiscopale ?
Mes prédécesseurs célébraient le matin, moi j’avais proposé le soir. Chacun était libre de venir ou pas. Pendant le confinement, nous étions tous ensemble. Qu’on me le reproche aujourd’hui, cela fait partie de ma sidération. Pourquoi ne me l’ont-ils pas dit avant ?
L’ancien économe diocésain Jacques Bourrier a pu témoigner que vous l’avez congédié par écrit, à un mois de la retraite, en le privant d’accès à son bureau. Pourquoi ?
Je ne l’ai à aucun moment congédié puisqu’il avait donné sa démission dès le 9 septembre 2021, avec effet au 30 juin 2022. Je l’ai tout simplement suspendu de ses fonctions, quelques semaines avant la prise d’effet de la démission, en raison d’un comportement incompatible avec l’exercice de celles-ci, en particulier le dénigrement de l’autorité. Tout cela a été fait avec mon avocat. J’attends toujours que l’on me contredise. Dans cette histoire, on a inversé les rôles, en présentant Jacques Bourrier comme victime. Et si Mgr Ravel avait agi parce qu’il y avait des gens qui souffraient de son comportement ? Si j’ai pris cette décision, c’est qu’il y avait des raisons, et des raisons graves.
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Il y a une autre rumeur persistante à votre égard. Vous auriez manqué la messe chrismale, le 12 avril 2022, en préférant rejoindre le meeting strasbourgeois d’Emmanuel Macron. Quelle est la vérité ?
Quand j’ai entendu cette rumeur, je suis tombé des nues. Ce jour-là, j’ai assuré une conférence aux prêtres à distance, car j’avais été testé positif au Covid le matin même. Je leur avais dit que je ne pourrais pas aller à la messe chrismale pour cette raison. À la fin du meeting, l’organisateur, Alain Fontanel (conseiller municipal En Marche de Strasbourg, ndlr) m’a proposé d’aller saluer le chef de l’État, dans la tradition concordataire. Je peux reconnaître que cela a été perçu comme une maladresse.
[Une conférence à distance… sur laquelle nous avions publié quelques photos qui tendent à montrer que les symptômes de Mgr ne concernent visiblement pas le Covid, mais la mémoire…]
Pourquoi avoir appelé à voter pour Emmanuel Macron, le vendredi saint 2022 ?
Comme archevêque, j’ai appelé à voter, et à voter en conscience. Les journalistes m’ont ensuite demandé ce que j’allais voter, et j’ai répondu qu’en tant que citoyen, je votais Emmanuel Macron. Pourquoi aurais-je eu l’interdiction de le dire ? Nous sommes en démocratie. […]
Pendant la Semaine sainte 2023, vous avez pris la décision de sanctionner votre évêque auxiliaire, Christian Kratz, dans le cadre de l’affaire de l’ex-aumônier du collège épiscopal Saint-Étienne de Strasbourg, Emmanuel Walch. Ce dernier s’est suicidé en janvier 2023, à la suite d’une plainte portée contre lui à l’été 2022. Pourquoi avoir pris cette décision trois mois plus tard, à la veille de l’annonce de votre démission ?
Ce qui a été pris comme sanction était une mesure conservatoire. C’est un acte ordinaire de gouvernement, qui a été pris dans la réflexion et la prière. J’avais deux solutions : ne rien faire et laisser à mon successeur le soin de gérer l’affaire, ou agir quand j’étais encore aux affaires. Cela me désole que les gens l’aient pris pour une vengeance. C’était un choix douloureux, que j’ai posé en conscience, à la lumière des informations sérieuses dont je disposais. Ce n’était pas le fruit d’une décision arbitraire.
Que reprochez-vous à Mgr Kratz ? Ce n’est pas lui qui était l’objet de la plainte pour viol.
Je renvoie à l’enquête pénale en cours. De mon côté, j’ai fait tout ce que le droit canonique et le droit civil me demandent de faire.
En octobre 2021, vous rencontrez une victime présumée du vicaire général Hubert Schmitt, et vous effectuez un signalement à la justice. Pourquoi attendre avril 2023 pour l’écarter de votre conseil épiscopal ?
L’enquête est toujours en cours. Après avoir longuement attendu, j’ai pris une mesure conservatoire correspondant à la présomption d’innocence, avec son accord.
Reconnaissez que la décision communiquée par une lettre glissée sous la porte de Mgr Kratz a été très mal perçue…
Ce n’est pas moi qui l’ai fait. J’ai confié cette lettre à mon chancelier, en lui demandant de la remettre en mains propres à Christian Kratz. Visiblement, il n’a pas réussi.
Invité de BFM Alsace le 5 avril 2023, le chancelier du diocèse Bernard Xibaut a pourtant raconté : « L’archevêque pensait que Mgr Kratz était présent et qu’il allait pouvoir lui donner la chose en direct. De guerre lasse, comme il n’était pas là, il a fini par laisser l’enveloppe sous la porte ».
C’est une erreur ou un mensonge.
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