Suite à la publication du rescrit du Saint-Siège en février, l’abbé Laurent Spriet (diocèse de Lyon, recteur de l’église Saint-Georges (Lyon)) signe une tribune dans le dernier numéro de La Nef (Avril 2023) :
Alors qu’on en appelle à une Église plus synodale, la façon dont la question « tradie » est traitée à Rome révèle autoritarisme et totale absence de dialogue, nourrissant incompréhensions et maladresses.
Le 20 février dernier le pape a urgé l’application de deux points qui se trouvaient déjà dans le motu proprio Traditionis custodes et les responsa ad dubia. On sent bien que certains s’impatientent à Rome : le motu proprio doit être appliqué plus sérieusement. De facto, en France, ici ou là, de nouvelles normes données par des évêques diocésains viennent restreindre l’usage des livres liturgiques anciens.
Peut-on célébrer avec le missel ancien et ne pas rejeter Vatican II et les réformes du missel de saint Paul VI et de saint Jean-Paul II ? Oui. Il est parfaitement possible d’obtenir une participation pleine, consciente et active des fidèles laïcs et clercs en célébrant les saints Mystères avec le missel ancien. D’ailleurs, n’oublions pas qu’un missel qui intégrait bon nombre des demandes de Sacrosanctum concilium a été publié en 1965.Une « punition collective ».
La « mouvance tradie » est plurielle. Vous y trouvez du côté des clercs : des prêtres « exclusivistes » (qui ne célèbrent qu’avec le missel ancien), d’autres qui concélèbrent avec leur évêque, d’autres qui utilisent habituellement les deux missels romains. Du côté des laïcs : certains ne vont qu’à la messe selon le missel ancien, d’autres participent à l’offrande du saint sacrifice selon les deux missels. Mais le motu proprio, les responsa et le rescrit ne font guère de distinctions. Quelques petites exceptions ont été faites : pour les curés de « paroisses personnelles », pour les prêtres de la Fraternité Saint-Pierre. Le sort du missel et du rituel anciens sont néanmoins scellés : ils doivent disparaître à plus ou moins brève échéance.
Incompréhensions.
Lors de la publication du motu proprio, bon nombre de prêtres et de fidèles (pour ne pas dire la quasi-totalité) ne s’est pas du tout reconnu dans la situation dépeinte, d’où un sentiment de sidération et d’incompréhension qui demeure encore aujourd’hui. Certains (une minorité) se sont peut-être sentis visés (à juste titre d’ailleurs), mais alors pourquoi une telle sanction collective sans distinctions suffisantes ? Il semble que nous soyons entrés dans une ère de « juridisme », voire de « positivisme juridique » : la loi est bonne puisque c’est la loi. En caricaturant un peu, nous pourrions résumer l’état d’esprit actuel par le slogan : « Obéissez et circulez ».
Des idéologies.
Les tenants d’une herméneutique de la rupture se rejoignent. Pour les uns, tout ce qui est nouveau est mauvais : pas question d’utiliser les nouveaux rituels. Pour les autres, tout ce qui est ancien est mauvais : il n’est plus question de permettre l’usage des livres anciens. Or ce n’est pas du tout le discours auquel les papes Jean-Paul II et Benoît XVI nous ont habitués depuis 35 ans.
Une proposition : dialoguer et étudier dans un esprit synodal.
En vertu du canon 212, je formule la proposition d’instituer des espaces officiels de dialogue et d’étude tant au niveau national qu’au niveau des diocèses. À la lumière de Sacrosanctum concilium, ils permettraient de se pencher sur les forces et les faiblesses des rituels anciens et nouveaux, mais aussi sur les missels romains. Ils permettraient, je l’espère, d’arriver à terme, à un « enrichissement mutuel » de ce que Benoît XVI appelait les « deux formes » du missel romain (et pourquoi pas aussi des rituels des sacrements). Car certains ont dit que « l’enrichissement mutuel » avait échoué ; je pense pour ma part qu’il n’a jamais été tenté. Benoît XVI n’a-t-il pas dit que les nouveaux livres liturgiques n’étaient que « partiellement rénovés » (cf. Summorum Pontificum) ? Cela ne signifie-t-il pas qu’une « réforme de la réforme » est toujours possible ?
Des exemples de questions à se poser.
Par exemple, au sujet du baptême : Sacrosanctum Concilium a-t-il demandé la suppression des prières d’exorcisme et de délivrance du rituel ancien ? À la lumière de la lettre apostolique Desiderio desideravi (2022), quels symboles expressifs du rituel ancien ont été supprimés ? Quels sont les apports du nouveau rituel du baptême par rapport à l’ancien ? Quels enrichissements mutuels peut-on envisager ?
Au sujet du sacrement de mariage : est-il théologiquement juste d’utiliser le rituel ancien lors d’un mariage avec « disparité de culte » (par exemple, entre un baptisé et une non baptisée) dans la mesure où ce rituel ne parle que du sacrement de mariage alors que nous savons qu’il ne peut y avoir de mariage sacramentel qu’entre deux personnes baptisées ? Quels sont les apports du nouveau rituel du mariage par rapport à l’ancien ? Etc.