Le grand humaniste de la Renaissance Érasme a écrit un Éloge de la folie qui fut immédiatement célèbre et fait toujours partie de la littérature classique. Puisqu’en maniant le paradoxe un auteur parvient à faire lire des principes d’austère sagesse, il faudrait qu’un auteur écrive un Éloge de la douleur.
On ne mesure pas assez ce qu’il en coûterait à l’homme de ne ressentir aucune douleur. La main qui s’approcherait du feu sans éprouver le moindre dommage entraînerait le corps tout entier dans les flammes. L’expérience est ici nécessaire et pas seulement un avertissement sans frais. Voit-on en effet les pécheurs craindre réellement l’enfer avant d’en avoir éprouvé la morsure sous la forme du remords et des conséquences douloureuses et même tragiques de l’inconduite ?
Si le douloureux aiguillon des abeilles n’existait pas, nul ne pourrait goûter la douceur du miel car les ruches sans défense seraient bientôt pillées, désertes et vides. Sans les souffrances des hommes et des femmes, c’en est fait de toute la poésie lyrique, de tous les drames, des tragédies, de toute la littérature (classique, romantique, française ou étrangère).
La douleur est utile pour localiser le mal. Voyez donc cet homme sur la table d’opération – à Lugdunum. Il était complètement anesthésié. Il n’a donc pas pu signaler que, par erreur, on lui coupait la jambe droite au lieu de la jambe gauche.
Oui, les douleurs sont utiles et ça ne date pas d’aujourd’hui : Hippocrate, quatre siècles avant Jésus-Christ, avait noté qu’une grande douleur permettait d’oublier les moindres.
Mais il y a plus utile encore : la douleur offerte à Dieu pour le soulagement des autres souffrants. Cette douleur-là risque bien d’en apaiser de plus grandes.
Abbé Philippe Sulmont