Benoît-et-moi a traduit une analyse parue sur The Wanderer à propos du rescrit du pape François sur la liturgie traditionnelle :
Un bref rescriptum ex audiencia Sanctissimi a été rendu public aujourd’hui. Ce type de document est une décision du Pontife romain communiquée oralement à un ecclésiastique de la Curie romaine reçu en audience, qui laisse ensuite une trace écrite de cette résolution orale (ce qu’on appelle l’oraculum vivae vocis), de sorte qu’elle est considérée comme valable à des fins de preuve et qu’elle est également efficace devant les tiers. En bref, il s’agit du document de rang le plus bas dans l’arsenal complexe dont dispose le Pontife Romain, qui peut être modifié demain par lui-même ou par son successeur.
Dans le cas présent, la communication orale s’adressait au Cardinal Arthur Roche, Préfet du Dicastère pour le Culte Divin, et elle ne fait que répéter ce qui avait déjà été dit dans Traditionis custodes [TC], mais limite davantage le pouvoir des évêques quant aux lieux et au clergé qui peuvent célébrer la liturgie traditionnelle. Comme nous l’avons dit à l’époque dans ce blog, et comme cela a été commenté dans tout l’univers tradi et dans les cercles curiaux, on savait avec certitude qu’un document était en cours de préparation par Roche et l’archevêque Viola [secrétaire du Dicastère pour le culte divin] qui, sous la forme d’une constitution apostolique, cherchait à restreindre de manière brutale la célébration traditionnelle, en particulier avec les « instituts Ecclesia Dei« . Nous avions également dit que ce document pouvait être prêt et relié, mais que c’était une autre affaire de voir si François le signerait. Et ce que je peux supposer, c’est qu’il ne l’a pas signé.
Ma reconstitution est la suivante : hier, 20 février, le cardinal Roche a eu une audience avec François, comme le rapporte le Saint-Siège lui-même. Il venait chercher une constitution apostolique et en est sorti avec un rescrit. Le Saint Père lui a dit qu’il ne signerait aucun nouveau document restreignant la liturgie traditionnelle et lui a accordé un petit ajustement supplémentaire aux dispositions de TC qui ne changera rien ou presque à ce qui a déjà été légiféré.
Voyons cela de plus près :
1 – Ce que fait le rescriptum, c’est retirer encore plus de pouvoir aux évêques. La question est de savoir comment un tel document sera accueilli par les évêques, quelle que soit leur orientation, puisque la Curie romaine s’immisce de manière flagrante dans le gouvernement de leurs propres diocèses. Quel pouvoir de police aura le Dicastère pour le culte pour faire appliquer cette nouvelle prescription ? Que fera-t-on à un évêque qui, par exemple, désigne une église paroissiale pour célébrer la messe traditionnelle sans la permission de Rome ? Lui tirera-t-on les oreilles ? Les évêques ne veulent pas d’ennuis avec leurs fidèles, ils n’obéiront donc pas facilement aux caprices d’un cardinal moins que médiocre. Ce sera la même chose que lorsqu’un évêque faisait des difficultés aux prêtres pour célébrer la Messe en latin : les plaintes allaient à la commission Ecclesia Dei, la commission appelait l’évêque, et l’évêque continuait à faire ce qu’il voulait, et personne ne faisait ou ne pouvait faire quoi que ce soit contre lui.
2 – Il serait très étrange que, comme certains le pensent, en l’espace de quelques semaines – le 3 avril, dit-on – le document féroce apparaisse enfin et que le rescript ne soit qu’un amuse-gueule. Bergoglio est peut-être très moderniste, ou ce qu’on veut d’autre, mais c’est un bon politicien, et pour cette raison même, il est impensable, à mon avis, qu’il publie continuellement des documents restrictifs sur le même sujet. Ce serait un signe évident de faiblesse qu’il ne se permettra jamais, encore moins sur un sujet qui ne l’intéresse pas du tout, et encore moins si la personne qui le lui propose est Roche, dont tout le monde dit qu’il le déteste, et il ne serait pas étrange qu’à tout moment il finisse comme premier archevêque de l’île de Sainte-Hélène.
3 – A Rome, et dans le monde tradi, tout le monde attendait la constitution apostolique sanglante. Et sûrement les idéologues du Dicastère du Culte exultaient dans l’attente de la mort du monde traditionaliste. Ce qui s’est passé est, en langage curial, une défaite et une humiliation épouvantables de Roche. Cela a montré le peu de pouvoir dont il dispose, le manque total de confiance du pontife à son égard et, par conséquent, qu’il est un homme faible, presque un lépreux sur qui peu de gens se retournent pour lui dire bonjour. Et, par conséquent, qu’il ne pourra plus jamais, tant que François régnera sur l’Église catholique, restreindre la liturgie traditionnelle. Le pontife ne veut plus de problèmes gratuits qui génèrent de l’antipathie à son égard, sous l’impulsion d’un groupe de fêlés, comme ce qui est arrivé avec TC.
4- On dit, et c’est probable, que ce rescrit viserait à brider le clergé diocésain mais que le prochain document viserait les instituts Ecclesia Dei. Tout est possible, mais il serait très étrange que le même pape qui, il y a un peu plus d’un an, a donné toutes les libertés au plus emblématique de ces instituts, la FSSP, change maintenant totalement de position. Je ne doute pas que ce document soit écrit, corrigé et avec des bordures en or. Mais je soupçonne qu’il restera en l’état dans un tiroir de bureau quelque part dans le dicastère des cultes. Aucun politicien qui se respecte ne soulèverait chaque mois une cause qui déplaît à tous, sauf à quelque moderniste ringard. Comme le dit Machiavel, le maître de Bergoglio, les lois mauvaises et désagréables s’appliquent d’un seul coup et non par tranches.
Nous verrons si cette analyse rapide et préliminaire se confirme. Avec le pape François, on ne sait jamais de quel côté le lièvre peut sauter, mais mon flair me dit que les choses sont comme je les dis.