Éléments d’explication au sujet des ressources de l’Église et du travail des instances de reconnaissance et de réparation qu’elle a mises en place :
France 2 a diffusé ce jeudi 19 janvier 2023 une émission « Complément d’enquête » consacrée à l’indemnisation des personnes victimes de violences sexuelles dans l’Église. Ce reportage met gravement en cause la compétence des personnes engagées dans les instances de reconnaissance et de réparation mises en place par l’Église, et la réelle détermination de l’institution à œuvrer à cette réparation, en particulier dans sa dimension financière. Nous souhaitons apporter les précisions et les rectifications suivantes au sujet du travail de ces deux instances et des chiffres avancés.
Avant cela, nous pensons à toutes les personnes victimes troublées, heurtées ou déroutées par cette émission ou par ce qu’on a pu y entendre : celles qui ont été aidées, confortées, par leur accompagnement par l’INIRR ou la CRR et voient cette démarche discréditée ; celles qui doivent être entendues par ces instances et qui pourraient ne plus être en confiance ; celles qui sont sorties déçues de l’accompagnement vécu avec le sentiment de ne pas avoir été assez entendues. Nous voulons leur redire notre soutien et notre mobilisation pour avancer avec elles sur ce chemin de vérité, de justice et de réparation.
Certains propos ont pu susciter incompréhension et scandale, et nous le comprenons, même si ceux-ci ne reflètent pas la disposition intérieure et la qualité des membres de ces instances, qui ont été nommés pour leur expertise professionnelle reconnue par leurs pairs (magistrats, spécialistes des droits de l’enfants, psychologues, avocats…). Conscients des progrès qui restent à faire, nous redisons notre confiance aux personnes qui travaillent au sein de ces instances indépendantes.
Ces instances indépendantes ont été créées à la demande des personnes victimes afin de proposer un chemin de reconnaissance et de réparation individualisé à toute personne ayant subi des agressions sexuelles en milieu ecclésial (ecclésial étant entendu dans son acception la plus large), quelle que soit l’ancienneté des faits et sans tenir compte du principe de prescription prévalant dans la justice française. Ce dispositif, nouveau et inédit, ne remplace en aucun cas la procédure judiciaire, mais met à disposition de celles et ceux qui le souhaitent une démarche différente et supplémentaire.
L’approche de l’INIRR et de la CRR repose en particulier sur trois fondements sans précédent au sein de la justice civile ou pénale : la confiance a priori dans la parole de ces personnes ; la seule vraisemblance des faits ; et sans limitation par les règles de prescription de la justice, pour les faits passés.
Au service des personnes victimes, nous n’aurons de cesse de nous améliorer et d’ajuster nos procédures, l’accueil et l’écoute de chacun, le suivi des situations, afin d’offrir – autant qu’il est possible – à toutes celles et tous ceux qui ont souffert dans l’Église un accompagnement et un soutien qui puissent participer à leur chemin de reconstruction.
INIRR, CRR : quelles sont ces instances ? Par qui et pourquoi ont-elles été créées ?
Le 8 novembre 2021, les évêques réunis en Assemblée plénière décident, à la suite du rapport de la CIASE, de mettre en place l’INIRR : l’Instance Nationale de Reconnaissance et de Réparation, qui sera officiellement installée deux mois plus tard, en janvier 2022 (soit un an d’existence au moment de la publication de cet article).
Présidée par Marie Derain de Vaucresson, spécialiste des droits de l’enfant, l’INIRR est une instance indépendante dont l’objectif est de porter le devoir de justice et de réparation à l’égard de personnes victimes de violences sexuelles en milieu ecclésial, quand elles étaient mineures.
L’INIRR explique ainsi son rôle : Écouter – Reconnaitre – Réparer.
Afin de lui accorder les moyens nécessaires à la bonne conduite de sa mission, les évêques votent également la création d’un fonds de dotation dédié : le fonds SELAM (fonds de secours et de lutte contre les abus sur mineurs).
La démarche, les missions, la composition de l’INIRR sont expliquées en détail sur son site.
De son côté, la CORREF (Conférence des religieux et religieuses de France) vote les 19 et 20 avril 2021 la mise en place de la CRR – Commission Reconnaissance et Réparation – présidée par Antoine Garapon, magistrat, qui a commencé, effectivement, à accompagner les premières situations individuelles à partir de décembre 2021. Cette commission accueille toute personne mineure ou adulte vulnérable victime d’un membre d’une institution religieuse.
Combien de personnes victimes se sont adressées à ces instances ?
La grande majorité des personnes victimes ne se font pas connaître. Nous ignorons donc Leur nombre exact. Nous mettons tout en œuvre pour que celles qui souhaitent se manifester puissent le faire. Pour faciliter et encourager cette parole, la recevoir et lui donner une suite, des dispositifs d’écoute ont été mis en place dans les diocèses.
Un partenariat financé par l’Église a été passé avec France Victimes (numéro à appeler : 01 41 83 42 17) pour celles et ceux qui souhaiteraient témoigner sans passer par l’institution ecclésiale.
À ce jour, quels sont les chiffres connus ?
Entre avril 2016 et octobre 2021, 1 200 personnes victimes ont contacté les évêques. La CIASE a reçu 2 819 témoignages.
Au 13 janvier 2023, 1 140 demandes de reconnaissance et de réparation ont été adressées à l’INIRR, qui a statué sur 160 situations personnelles. La CRR rapporte quant à elle 604 saisines sur l’année 2022. Soit un total, pour les deux instances, de 1 744 personnes victimes engagées dans une démarche de reconnaissance et de réparation auprès d’une de ces deux instances.
Pour rappel :
La CIASE a commandé une enquête en population générale qui a conduit à estimer le nombre de mineurs victimes de clercs dans le cadre de l’institution ecclésiale depuis 1950 entre 165 000 et 270 000 avec un point médian à 216 000 (330 000 en intégrant les agressions commises par des laïcs). Par ailleurs, ce sondage a estimé à plus de 5.5 millions le nombre total de personnes adultes agressées sexuellement en France quand elles étaient mineures, principalement dans le cadre familial et amical [il s’agit d’une enquête menée par l’INSERM]
La CIIVISE (Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants), mise en place sur le modèle de la CIASE par les pouvoirs publics en mars 2021, a déjà recueilli plus de 11.000 témoignages. Elle estime sur son site que chaque année en France, 160 000 enfants subissent des violences à caractère sexuel et qu’un adulte sur dix en France a subi une agression sexuelle quand il était mineur, principalement au sein du cercle familial.
Par qui et comment sont financées ces instances ?
Pour financer l’INIRR, les évêques ont créé le fonds SELAM. Ce fonds a reçu une dotation initiale de 20 millions d’euros, versée début 2022. Sur ces 20 millions, 5 millions ont été utilisés aujourd’hui. Les diocèses contribuent en fonction des besoins du fonds et de leurs possibilités qui sont inégales, selon un principe de mise en commun au bénéfice de tous.
Les évêques se sont engagés à ce que toutes les personnes victimes qui se signaleront soient prises en charge, et pour cela à abonder le fonds autant qu’il sera nécessaire de le faire.
Le fonctionnement de la CRR et les indemnités qu’elle accorde sont quant à eux financés par les congrégations et ordres religieux.
Quelles sommes perçoivent les personnes victimes ? Selon quel barème ?
L’INIRR et la CRR ont établi ensemble un référentiel qui va de 5 000 à 60 000 euros. À ce jour, le montant moyen de leurs décisions de réparation financière se situe entre 37 000 et 38 000 euros. La Conférence des évêques de France (CEF) respecte l’indépendance de ces instances composées de professionnels expérimentés (parmi lesquels des magistrats et des juristes, des psychologues et des victimologues). Il ne lui appartient donc pas de commenter leurs méthodologies de travail et leurs décisions.
Dans la société civile, le dispositif judiciaire d’indemnisation des personnes victimes de violences sexuelles mis en œuvre par la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI) indemnise chaque année environ 3 000 personnes victimes de violences sexuelles quand elles étaient mineures au moment des faits (parmi lesquelles 40 % de viols), via le Fonds de garantie des victimes (FGV).
La CIVI et le FGV se réfèrent pour ce faire à la jurisprudence en la matière. En 2020, le montant moyen accordé a été de 12 140 euros et en 2021, il a été de 13 500 euros (source : FGV).
Le montant moyen des réparations fixées par les instances indépendantes mises en place par l’Église est donc 3 fois supérieur à celui des montants accordés par la CIVI (via le FGV), et le plafond des barèmes de l’INIRR et de la CRR, près de 5 fois plus élevé.
Qui finance l’Église en France ?
L’Église ne reçoit aucune subvention ni aide, ni de l’État, ni du Vatican. Elle ne vit que des dons (quêtes, denier, offrandes…) et des legs des fidèles.
L’Église en France est-elle « riche à milliards » ? Que possède-t-elle vraiment ? A-t-elle beaucoup des « réserves » ?
Synthèse :
Le patrimoine de l’Église est constitué de biens immobiliers (essentiellement à caractère cultuel, en particulier des églises) et de trésorerie (placements et disponibilités).
Son patrimoine immobilier est majoritairement constitué d’églises construites après 1905 (loi de séparation des Églises et de l’État), des logements des prêtres, des locaux paroissiaux, ou encore de patronages.
L’Église possède aussi des immeubles de logement ou de bureau, dont les loyers perçus servent à payer une faible partie des charges d’investissements (travaux) et de fonctionnement (entretien, énergie) de son patrimoine immobilier cultuel. Le montant total de ces revenus locatifs ne permet de couvrir que 20 % du coût total de ces charges.
Le montant de sa trésorerie nette (900 millions d’euros) équivaut à environ une année de fonctionnement pour l’Église (charges de personnel – plus de 20 000 prêtres et laïcs : 40 %, charges de l’immobilier : 30 %, dépenses pastorales : 30 %). Et non deux années, comme indiqué dans le reportage.
L’Église dans son fonctionnement est déficitaire, et doit donc chaque année, en plus de l’utilisation des legs, céder des actifs pour équilibrer ses comptes.
Explications :
Les immeubles locatifs représentent une part minoritaire du patrimoine immobilier de l’Église. Les revenus générés par ces locations sont entièrement absorbés pour payer la réparation, la maintenance, l’entretien et la mise aux normes des églises construites après 1905 et locaux paroissiaux (environ 100 millions d’euros par an). À ces coûts d’investissement s’ajoutent 250 millions d’euros par an de charges courantes (chauffage, électricité, entretien) générées par ces édifices, logements et bâtiments.
En effet, les églises construites avant 1905 appartiennent aux communes, mais leur fonctionnement est à la charge des diocèses. Celles construites après 1905 appartiennent aux diocèses, qui doivent par conséquent en assumer toutes les charges aussi bien d’investissement que de fonctionnement. Au total, l’immobilier représente un coût permanent très élevé pour l’Église.
L’ensemble de ce patrimoine immobilier s’élève à 1,9 milliards d’euros.
En l’absence de marché pour les lieux de culte (il n’y a pas d’acquéreur privé pour ce type d’immeubles), la majeure partie du patrimoine immobilier de l’Église n’est pas cessible et ne permet pas de réaliser de plus-values.
La trésorerie brute de l’Église représente 1,6 milliards d’euros. Mais il convient de déduire de cette trésorerie brute les provisions et fonds dédiés et reportés (environ 230 millions d’euros), et un endettement de l’ordre de 500 millions d’euros, soit un total d’environ 700 millions inscrits au passif des bilans des associations diocésaines. Ce qui ramène le montant de la trésorerie nette, réellement mobilisable, à 900 millions d’euros, soit à seulement une année de fonctionnement environ.
Est-ce que l’Église en France s’enrichit, est-ce qu’elle gagne de l’argent ?
Non : le fonctionnement de l’Église est lourdement déficitaire. En 2021, les charges de fonctionnement (qui s’élèvent à 800 millions d’euros) ont été supérieures d’environ 200 millions d’euros aux ressources courantes. À compter du mois d’octobre, l’Église ne peut continuer à fonctionner que grâce à des legs et à des cessions d’actifs (immobiliers et financiers). Le déficit est donc couvert par des ressources exceptionnelles et, si besoin est, par la diminution des réserves de sécurité.
À quoi servent tous ces immeubles de grande valeur que possède l’Église dans de nombreux diocèses ?
Les immeubles que certains diocèses détiennent et qui sont loués permettent de générer des revenus qui sont utilisés pour financer une partie des investissements que nécessitent les travaux (de réparation, de maintenance, d’aménagement, de mises aux normes) dans les bâtiments cultuels et pastoraux (églises post 1905, logements des prêtres, locaux paroissiaux, etc.). Ces coûts d’investissements s’élèvent à près de 100 millions d’euros par an.
Est-ce que l’Église en France cache son argent ?
Non : chaque association diocésaine dépose ses comptes certifiés en préfecture et les publie au Journal Officiel.
L’Église s’est-elle déchargée du sujet sur l’INIRR et la CRR ?
Comme le souhaitaient les personnes victimes, et en dialogue avec elles, l’Église a confié à des instances indépendantes, l’INIRR et la CRR, le soin d’accueillir et de répondre à toutes les demandes de reconnaissance et de réparation, conformément aux préconisations du rapport de la CIASE.
Par ailleurs, les évêques, en mars et novembre 2021, ont pris une série d’autres décisions, complémentaires, qui ont depuis été mises en œuvre :
Dans le champ de la justice, 80 protocoles signés entre les parquets et les diocèses et mise en place d’un Tribunal pénal canonique national (TPCN) pour toute l’Église en France.
Dans le champ de l’accueil, mise en œuvre d’une charte nationale des cellules d’écoute présentes dans tous les diocèses pour en améliorer et renforcer le fonctionnement.
Dans le champ de la prévention, mise en œuvre d’un référentiel national des mesures de prévention et passage au crible de toutes les pratiques pastorales notamment celles qui concernent les enfants.
Dans le champ de la gouvernance, présence systématique de laïcs dans tous les Conseils de la CEF et de femmes dans les Conseils des séminaires.
Enfin, fin mars 2023, les évêques se réuniront en Assemblée plénière avec plus d’une centaine de membres des neuf groupes de travail mis en place fin 2021, pour décider des changements à mettre en œuvre dans les domaines tels que l’accompagnement des évêques et des prêtres, les causes des violences sexuelles au sein de l’Église, la vigilance dans les associations de fidèles, les bonnes pratiques en cas de signalement et l’accompagnement des auteurs, la confession et l’accompagnement spirituel. Un point complet sera fait, à l’issue de cette Assemblée plénière, sur les suites données aux recommandations du rapport de la CIASE remis aux évêques en octobre 2021.