L’évêque de Saint-Etienne, Mgr Sylvain Bataille, vient de publier une lettre pastorale pour la transformation missionnaire de nos communautés. Longue de 4 pages, il appelle à changer nos pratiques pour répondre aux nouveaux défis que connait l’Eglise et il appelle chaque paroisse à innover :
« MAÎTRE, NOUS AVONS PASSÉ TOUTE LA NUIT SANS RIEN PRENDRE ! »
Ce jour-là, les Apôtres sont fatigués et déçus, leurs efforts n’ont pas porté de fruits. Peut-être même sont-ils humiliés et inquiets : serions-nous de mauvais pêcheurs ? Allons-nous toujours rentrer à la maison bredouilles ? Comment expliquer un tel échec ? Faut-il aller pêcher ailleurs, autrement ? Faut-il changer de métier ? Quel est notre avenir ? Peu après la mort de Jésus, deux de ses disciples exprimeront une déception plus grande encore sur la route d’Emmaüs : « Nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël » (Lc 24, 21).
L’expérience des Apôtres n’est-elle pas aussi la nôtre ? Bien que nous ne ménagions pas nos efforts, nous voyons nos communautés vieillir, avec de vraies difficultés pour se renouveler ; nous voyons diminuer le nombre des ouvriers à la moisson, sans parvenir à remplacer ceux qui arrêtent ; nous voyons notre Église fragile et remise en cause ; nous voyons le monde s’éloigner des valeurs de l’Évangile… La tentation de la tristesse et du désespoir nous guette, nous atteint… d’autant plus que la déchristianisation de notre pays est un mouvement profond, qui s’est amorcé depuis plusieurs siècles. Seigneur, nous avons tout essayé, à quoi bon ?
« JÉSUS MONTA DANS UNE DES BARQUES… IL ENSEIGNAIT LES FOULES. »
Jésus n’abandonne pas ses Apôtres à leurs questions et à leurs déceptions. Il monte dans la barque, il vient les rejoindre sur le chemin d’Emmaüs. Il annonce la Parole – la Bonne Nouvelle – à la foule, à ses disciples. Il les interroge : « Esprits lents à croire, ne fallait-il pas que le Messie souffrît tout cela pour entrer dans sa gloire ? » Ne faut-il pas que l’Église traverse ce temps de purification pour être renouvelée dans sa vitalité et dans sa mission ?
C’est la rencontre avec le Christ et sa Parole qui remet les Apôtres en route. Le Pape François rappelle combien cette rencontre est aussi au cœur de notre foi : « La joie de l’Évangile remplit le cœur et toute la vie de ceux qui rencontrent Jésus. Ceux qui se laissent sauver par lui sont libérés du péché, de la tristesse, du vide intérieur, de l’isolement. Avec Jésus-Christ la joie naît et renaît toujours. (…) J’invite chaque chrétien, en quelque lieu et situation où il se trouve, à renouveler aujourd’hui même sa rencontre personnelle avec Jésus-Christ ou, au moins, à prendre la décision de se laisser rencontrer par lui, de le chercher chaque jour sans cesse. » (EG(1) 1.3) Il cite alors son prédécesseur, le Pape Benoît XVI : « A l’origine du fait d’être chrétien, il n’y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un événement, une Personne, qui donne à la vie un nouvel horizon. » (EG 7)
« SIMON, AVANCE AU LARGE ET JETEZ VOS FILETS POUR LA PÊCHE. »
Comme les Apôtres, nous sommes aussi appelés à changer nos pratiques, car le monde n’est plus le même. Pendant des siècles, la grande majorité des habitants de notre pays étaient baptisés et c’est l’Église qui répondait à l’essentiel des besoins de pratique religieuse et de vie spirituelle. La foi se transmettait de manière naturelle par les familles et les institutions religieuses. L’Église avait une longue tradition, de beaux bâtiments, une solide structure, des prêtres, des religieuses et des religieux en abondance, ainsi que des laïcs engagés. Elle pouvait assumer sa mission en traversant les temps et les épreuves, en se renouvelant de génération en génération.
Cependant, depuis plusieurs générations, la foi ne se transmet plus si facilement. Dans combien de familles voyons-nous des grands-parents bien engagés dans la vie de l’Église, leurs enfants attachés aux valeurs chrétiennes et leurs petits-enfants qui ne sont pas baptisés ? Aujourd’hui, même si notre patrimoine et notre société restent marqués par l’Évangile, nous ne sommes plus dans une culture chrétienne en France. Les approches religieuses sont très diverses et la foi chrétienne est une proposition parmi beaucoup d’autres. De plus, les yeux sont plus souvent fixés sur les fragilités et les péchés des membres de l’Église que sur la Bonne Nouvelle.
Il nous faut prendre la mesure de ce nouveau contexte et avancer au large, repenser totalement nos orientations pastorales. Il ne s’agit plus seulement de répondre à des demandes religieuses, de moins en moins nombreuses, mais de « sortir » pour annoncer la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ. Nous avons à réensemencer le monde pour que l’Évangile y fleurisse à nouveau. Le Pape François parle de « conversion pastorale et missionnaire » et invite toutes les régions de la terre à se mettre en « état permanent de mission » (EG 25). Il est très clair : « J’imagine un choix missionnaire capable de transformer toute chose, afin que les habitudes, les styles, les horaires, le langage et toute structure ecclésiale devienne un canal adéquat pour l’évangélisation du monde actuel, plus que pour l’auto-préservation. La réforme des structures, qui exige la conversion pastorale, ne peut se comprendre qu’en ce sens : faire en sorte qu’elles deviennent toutes plus missionnaires, que la pastorale ordinaire en toutes ses instances soit plus expansive et ouverte, qu’elle mette les agents pastoraux en constante attitude de “sortie” et favorise ainsi la réponse positive de tous ceux auxquels Jésus offre son amitié. » (EG 27)
Proposer à chacun une vraie rencontre du Christ, « mettre en relation » avec lui, c’est le cœur de cette transformation pastorale. Le Seigneur saura ensuite accomplir ses merveilles pour parler au cœur, inviter à la conversion, et transformer les non-croyants d’aujourd’hui en ardents missionnaires. L’enjeu n’est donc pas de maintenir l’Église ou de résister aux oppositions, mais d’annoncer l’Évangile, dans le souffle de l’Esprit de Pentecôte.
« SUR TA PAROLE, JE VAIS JETER LES FILETS. »
Sommes-nous prêts à nous mettre ensemble à l’écoute du Christ pour découvrir où jeter les filets ? Il ne s’agit pas de construire un projet pastoral théorique ou de changer de stratégie de communication, mais d’être toujours davantage disponibles, comme la Vierge Marie, pour accomplir l’œuvre de Dieu. Cela commence par notre conversion personnelle : comment pourrions-nous être des missionnaires de Jésus-Christ si nous ne sommes pas d’abord ses disciples, ses amis intimes, si nous ne vivons pas en profonde communion avec lui ? « Tout chrétien est missionnaire dans la mesure où il a rencontré l’amour de Dieu en Jésus-Christ » souligne le Pape François (EG 120), qui nous invite tous à devenir des « disciples-missionnaires ».
Il s’agit de laisser le Seigneur agir, comme il l’a fait dans les Actes des Apôtres et tout au long de l’histoire de l’Église. « Bien que cette mission nous demande un engagement généreux, ce serait une erreur de la comprendre comme une tâche personnelle héroïque, puisque l’œuvre est avant tout la sienne, au-delà de ce que nous pouvons découvrir et comprendre. Jésus est « le tout premier et le plus grand évangélisateur ». Dans toute forme d’évangélisation, la primauté revient toujours à Dieu, qui a voulu nous appeler à collaborer avec lui et nous stimuler avec la force de son Esprit. » (EG 12) La prière personnelle et communautaire, comme rencontre de Dieu et communion avec lui et entre tous, est donc le fondement de toute évangélisation.
« L’AYANT FAIT, ILS CAPTURÈRENT UNE TELLE QUANTITÉ DE POISSONS… »
Certes nous n’avons pas aujourd’hui nos filets pleins et débordants, mais n’y-a-t-il pas des signes d’espérance, comme au matin de Pâques ? Nous voyons des jeunes et des moins jeunes demander le baptême, s’engager dans l’Église, nous redire la beauté de la rencontre de Jésus-Christ aujourd’hui. Nous voyons de jeunes familles se mettre en route, d’autres qui sont en attente. Nous voyons des chrétiens engagés au service des autres, des plus fragiles, témoins fidèles du Christ serviteur. La rencontre Terre d’Espérance(2) ou les Congrès Mission(3) reflètent et servent le bel élan missionnaire qui traverse notre Église.
Le Jubilé des 50 ans de notre diocèse nous a permis de relire notre histoire et de rendre grâce pour la fécondité de l’engagement de tant de chrétiens dans la Loire, depuis quinze siècles. Dans la dynamique du Concile Vatican II qui appelait toute l’Église, c’est-à-dire l’ensemble des baptisés, à un renouveau spirituel, pastoral et missionnaire, le chemin se poursuit. Nous venons de participer à la consultation en vue du Synode romain sur la synodalité. En équipes, nous avons réfléchi à la manière d’être davantage, tous ensemble, au service de la mission. Des souffrances profondes ont été exprimées, mais aussi de grandes attentes. Lors du Grand Conseil(4) de juin, à partir de notre synthèse diocésaine sur la synodalité, nous avons repéré des chantiers prioritaires pour la mission. Je perçois dans le diocèse un vrai enthousiasme pour ce renouveau pastoral, tout en étant bien conscient que cela nous demandera beaucoup d’audace et aussi de vrais renoncements. De son côté le Synode de l’Église universelle poursuit sa route et nous apportera des lumières supplémentaires dans les années à venir pour toujours mieux vivre cet engagement de tous au service de la mission.
« SOIS SANS CRAINTE, DÉSORMAIS CE SONT DES HOMMES QUE TU PRENDRAS. »
« Eloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur » dit Pierre à Jésus en voyant la quantité de poissons. Effectivement nous sommes indignes de notre mission et nous ne manquons pas d’accusateurs aujourd’hui pour nous rappeler que nous sommes une communauté de pécheurs. Dieu le sait mieux que nous. Il ne nous demande pas d’être parfaits et irréprochables, mais de vivre en pécheurs pardonnés, en avançant humblement sur le chemin de la conversion, en cherchant à aimer toujours mieux et davantage, en nous donnant, selon sa volonté, dans la diversité de nos vocations. Pécheurs nous le sommes, mais le Christ peut et veut faire de chacun d’entre nous un « pêcheur d’hommes », car le monde est en attente. Sommes-nous prêts à répondre ensemble à son appel ?
OÙ JETER LES FILETS AUJOURD’HUI ?
Notre diocèse est vaste et ses communautés sont très diverses. Pour cette raison, je ne souhaite pas donner des orientations pastorales diocésaines que chaque paroisse aurait ensuite à mettre en œuvre. Je demande plutôt à chaque communauté de se mettre d’une manière nouvelle à l’écoute du Seigneur, pour discerner l’appel missionnaire que Dieu lui adresse aujourd’hui. Cela suppose d’une part une écoute commune de la Parole de Dieu, mais aussi une attention aux besoins de ceux qui habitent sur le territoire de la paroisse, de ceux que nous voyons occasionnellement et de ceux que nous ne côtoyons pas.
Chaque paroisse est donc invitée à formuler, dans le cours de cette année, un projet missionnaire réfléchi et discerné, non seulement avec le conseil pastoral, mais aussi dans des assemblées paroissiales, car le Seigneur nous éclairera les uns par les autres. Il nous faut accueillir ce qu’il met dans le cœur de chacun, en étant particulièrement attentifs à cette consigne de saint Paul : « N’éteignez pas l’Esprit, ne méprisez pas les prophéties, mais discernez la valeur de toute chose : ce qui est bien, gardez-le ; éloignez-vous de toute espèce de mal » (1 Th 5, 19-22). Ne demandons pas à l’Esprit de réaliser nos projets personnels mais demandons-lui plutôt un cœur ouvert pour découvrir comment il est à l’œuvre, pour aller là où il nous précède et nous attend. Nous pourrons alors discerner les priorités et les moyens nécessaires pour les mettre en œuvre.
Notre belle rencontre du Grand Conseil en juin a permis de dégager quelques pistes pour ce renouveau missionnaire : aider à vivre la foi en famille et accompagner les jeunes familles, développer la fraternité et relancer les fraternités locales missionnaires, former les chrétiens à la Parole de Dieu, à l’accueil, à la liturgie, au dialogue… Il y en a bien d’autres possibles. Le tout nouveau Conseil Diocésain de Pastorale(5) a lui aussi insisté sur l’importance de l’accueil dans nos communautés et de la formation.
Le projet que chaque paroisse va élaborer au cours de cette année doit être mûri dans la prière, dans la disponibilité du cœur et partagé par tous. Il doit être missionnaire, c’est-à-dire au service de l’annonce de l’Évangile et, par-dessus tout, de la rencontre avec Jésus-Christ. Enfin, il doit être concret et réaliste, à la fois audacieux et adapté à nos possibilités. Il s’agit de creuser un sillon, dans la durée.
Cet appel n’est d’ailleurs pas réservé aux paroisses : toutes les communautés du diocèse et tous les mouvements sont invités à s’interroger sur la manière dont ils vivent et proposent la rencontre de Jésus-Christ. Ils ont aussi à discerner les appels missionnaires que Dieu leur adresse aujourd’hui et à prendre les moyens pour y répondre.
Pour accompagner cette dynamique, une équipe missionnaire va être créée au niveau diocésain. Elle va travailler en collaboration étroite avec l’ensemble des services diocésains que j’invite aussi à entrer toujours davantage dans cette conversion pastorale centrée sur la rencontre de Jésus-Christ. En se mettant à l’écoute de chaque paroisse, de chaque communauté, de chaque projet, ils les aideront à trouver les moyens adaptés à leur situation, afin de mettre en œuvre bien concrètement cette transformation pastorale. Comme le souligne le Pape François, cela va nous demander « d’abandonner le confortable critère pastoral du “on a toujours fait ainsi”» (EG 2.33), et surtout de nous former, d’une part à la vie spirituelle et à la théologie pour grandir dans la connaissance et l’amour de Dieu, et d’autre part aux justes manières d’écouter, d’accompagner, de collaborer dans la complémentarité des charismes et des ministères.
« AVANCE AU LARGE ET JETEZ VOS FILETS. »
Que le Seigneur nous donne la foi, l’espérance et la charité pour répondre à son appel. Choisissons de nous retrouver pour prier, pour échanger, en particulier au niveau des alliances ou entre paroisses ayant des projets similaires. Visitons-nous les uns les autres, regardons au-delà de notre diocèse, pour découvrir d’autres expériences missionnaires qui puissent nous inspirer. C’est un mouvement qui touche toute l’Église et les fruits de l’Esprit sont tellement divers ! Osons mettre en œuvre ce que nous portons de plus beau ! Osons nous faire confiance les uns aux autres ! Osons une véritable fraternité au service de la gloire de Dieu et du salut du monde ! « À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres » (Jn 13, 35).
Le Seigneur nous veut pêcheurs d’hommes. Sommes-nous prêts à avancer au large ? Sommes-nous prêts, sur sa Parole, à jeter les filets ? Sommes-nous prêts à appeler d’autres pour nous aider ? Sommes-nous prêts à sortir, poussés par l’Esprit ? Bref, sommes-nous prêts à partager la joie de l’Évangile ?
Merci à chacun pour son engagement !
Rendons grâce pour l’Esprit de Pentecôte qui continue de souffler sur notre Église diocésaine !
Saint-Etienne, le 14 septembre 2022
En la fête de la Croix glorieuse
+ Sylvain Bataille
Évêque de Saint-Etienne