Situé près de l’emblématique hôpital psychiatrique de Navarre à Evreux, le cimetière de Navarre, dit “cimetière des fous” bien qu’il abrite aussi des tombes du personnel hospitalier, et même celle d’un soldat, est à l’abandon et est menacé d’être arasé pour l’établissement de la déviation d’Evreux. L’association Urgences Patrimoine sonne l’alarme sur son devenir, et une pétition a été lancée pour sa sauvegarde.
“L’Asile d’Aliénés d’Evreux, situé dans le quartier de Navarre, a plus de 150 ans aujourd’hui, rappelle Urgences Patrimoine […] L’hôpital changera de nom à de nombreuses reprises, devenant Hôpital Psychiatrique en 1937, puis Centre Hospitalier Spécialisé de Navarre, avant de devenir l’actuel Nouvel Hôpital de Navarre.
C’est suite à la loi de Jean-Etienne Esquirol en 1838, instaurée sous le règne de Louis-Philippe, que tous des départements français ont dû se doter d’un asile psychiatrique. Le but était d’y recevoir tous les malades de l’époque, ainsi qu’un certains nombres d’indigents, trop pauvres pour subvenir à leurs besoins. L’asile de Navarre a ouvert ses portes en 1866, après 5 années de travaux, et il pouvait alors accueillir jusqu’à 300 pensionnaires.
Cet hôpital était véritablement une ville dans la ville, où tous les corps de métier pouvaient se trouver, car coupé du reste de la commune située à deux kilomètres. C’est de cette manière, grâce aux champs et aux fermes l’entourant, que l’hôpital a pu vivre en autosuffisance pendant plusieurs décennies. Au centre du complexe hospitalier trône une chapelle dédiée à la Vierge Marie, rappelant la primauté religieuse de l’hôpital au cours du siècle passé : les malades furent surveillés par des religieuses pendant une centaine d’années.
Du fait de son autarcie, l’hôpital possède un cimetière, souvent caractérisé comme « cimetière des fous ». Pourtant, ce champ du repos contient aussi les sépultures de nombreux membres du personnel soignant, infirmières comme infirmiers et docteurs, et même une tombe de soldat Mort pour la France”.
Suit une description du cimetière, créé à l’écart des bâtiments suite à une épidémie de choléra, particulièrement virulente en 1866 dans l’établissement tout juste ouvert.
Plus de 1600 corps dans le cimetière, de 1866 à 1974
“Lors de sa création entre 1865-1866, ce cimetière a pour but premier d’accueillir les patients et les membres du personnel, décédés des suites d’une épidémie de choléra. Un muret fut ainsi érigé pour délimiter ses frontières. En le plaçant à l’abri des regards, les habitants de la ville ne pouvaient pas voir les morts de l’asile. La majorité des stèles sont identiques, ce qui ne permet pas de différencier les aliénés les uns des autres.
Pour atteindre le cimetière des « Fous de Navarre », il faut tout d’abord traverser un chemin entre champs et forêt de chênes. De loin, on ne se rend pas compte qu’un cimetière se cache sous ces arbres, mais c’est en s’approchant que l’on aperçoit ces croix alignées, ceinturées d’un muret de silex. Le site possède sur sa partie basse un bâtiment qui servait à la surveillance du cimetière, et un four crématoire, aujourd’hui effondré, dans sa partie haute. Scindant le cimetière en deux, il y a un escalier au pied duquel se trouve un calvaire“.
Aujourd’hui, les lieux sont totalement abandonnés. “Entre 460 et 480 tombes sont encore visibles, les premières ayant été mises en place en 1866, alors que la dernière inhumation a eu lieu en 1974.[…]Au total, ce sont plus de 1600 corps qui ont été inhumés au fil des années dans ce champ du repos, mais la plupart d’entre eux ont été déplacés dans l’ossuaire du site.
480 tombes oubliées de tous, y compris un soldat Mort pour la France
Depuis 2010, le terrain du cimetière n’appartient plus à l’hôpital de Navarre mais à l’Etat, ce dernier souhaitant mettre en place la déviation Sud-Ouest d’Evreux, en passant par la forêt où se trouve le cimetière. Ces travaux vont être un second enterrement pour ces corps dont le devenir reste aujourd’hui encore incertain. Depuis la vente du cimetière les 2 700 m² de terrain n’ont plus jamais été entretenus.
Les premières stèles se composaient de matricules inscrits sur des plaques de fer qui englobaient les personnes atteintes de folie dans un même groupe sans nom, supprimant la personnalisation. Certaines sont encore visibles aujourd’hui, mais la grande majorité d’entre elles comportent simplement un nom et un prénom. Aucune date n’est inscrite, que ce soit pour la naissance comme pour le décès. D’autres sépultures se démarquent par des stèles de pierre pour les infirmières et les infirmiers, ou encore par des pierres tombales en béton gravillonné, dont une en marbre pour un docteur, mais elles sont aujourd’hui tout autant abandonnées“.
Une pétition a été lancée pour assurer la sauvegarde du cimetière et des morts qu’il abrite, et afin que les lois soient appliquées. “Le but est de permettre la conservation de l’intégrité des cadavres en accord avec l’article 225-17 du Code Pénal, stipulant que « toute atteinte à l’intégrité du cadavre, par quelque moyen que ce soit, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende ». Le recouvrement d’un cimetière sous une couche de goudron sans en prélever les corps est sans aucun doute une atteinte à l’intégrité d’un cadavre…“. Par ailleurs, la tombe du soldat Mort pour la France est légalement à la charge de l’Etat et devrait être entretenue – ou déplacée dans un carré militaire, ce qui n’est pas le cas.