L’abbé Barthe dans un article publié par L’homme nouveau revient sur l’éméritat de Benoît XVI en se posant la question de l’éméritat épiscopale de façon plus large.
Dans Dernières conversations, Benoît XVI justifie son choix de renoncer à sa charge et son titre de pape émérite en se référant à la démission des évêques arrivant au terme de leur charge. Une nouveauté dont on n’a peut-être pas mesuré toutes les conséquences.
Après les propos de Mgr Gänswein, Préfet de la Maison pontificale et secrétaire du pape émérite, le 20 mai dernier, à l’Université Grégorienne, traitant de l’« élargissement du ministère pétrinien », le cardinal Brandmüller indirectement (« Renuntiatio Papæ. Alcune riflessioni storico-canonistiche », revue en ligne Statoechiese.it, 18 juillet 2016) et Mgr Sciacca directement (« Il ne peut pas exister de papauté indivise », La Stampa, 16 août 2016) ont mis en cause la notion confuse de « pape émérite ».
En soi, l’appellation d’emeritus – de emereo, achever de remplir sa carrière – peut sembler adaptée à la situation d’un pape qui a renoncé à sa charge. Sauf que, dans le passé, pour éviter tout risque d’immixtion, on donnait aux antipapes qui abandonnaient leur titre pontifical un titre épiscopal et cardinalice (il ne semble cependant pas que l’on ait pris cette précaution pour Célestin V après sa démission, mais son successeur, Boniface VIII, l’a mis « sous surveillance »).
Il faut remarquer que ce problème est le même pour les évêques diocésains qui renoncent à leur charge. En effet, après Vatican II, Paul VI décida que les évêques diocésains avaient à présenter leur démission à 75 ans (motu proprio Ecclesiæ sanctæ, 6 août 1966, n. 11 ; rescrit, 5 novembre 2014) (le pape se réserve d’accepter ou de prolonger le mandat de l’évêque), disposition passée dans le canon 401. Or, auparavant, aux (rares) évêques démissionnaires était accordé le titre honorifique d’un siège ancien aujourd’hui supprimé (par exemple, Mgr Auvity, démissionnaire de Mende en 1945, est fait évêque titulaire de Dionysania). Aujourd’hui, en revanche, l’évêque diocésain démissionnaire figure dans l’Annuaire pontifical, après le nom de l’évêque du diocèse, comme « évêque émérite ».
Une capacité de démettre sans précédent
En réalité, la difficulté proprement juridique et « constitutionnelle » est autrement plus grave pour eux que pour le Pontife romain. Certes, il a toujours été possible qu’un évêque, y compris celui de Rome, renonçât librement à sa charge, ou encore que le pape le lui demandât pour de graves raisons. Et si l’évêque résistait, il est arrivé que le pape le démît : ainsi procéda Pie VII avec les évêques français qui ne voulaient pas librement renoncer après le Concordat de 1801 avec Bonaparte.
Mais la nouvelle règle institue au profit du pape une capacité de démettre les évêques qui n’avait jamais existé (alors que le décret Christus Dominus de Vatican II disait seulement que les évêques diocésains : « sont instamment priés de donner leur démission, soit d’eux-mêmes, soit sur l’invitation de l’autorité compétente, si, du fait de leur âge avancé, ou pour toute autre raison grave, ils deviennent moins aptes à remplir leur charge » [n. 21]). On peut se demander si elle est parfaitement conforme à la divine constitution de l’Église fondée sur le gouvernement du Successeur de Pierre et des Successeurs des Apôtres unis à lui. Ceux-ci ne sont pas de simples préfets du pape : à chaque évêque diocésain est confiée par le pape une portion du troupeau, une Église particulière, dont il devient l’époux mystique. Le seul fait de l’accès à l’âge de 75 ans ne semble pas un motif suffisant pour présumer que l’évêque est devenu inapte et que son lien « matrimonial » doit être rompu, d’autant qu’il n’en est pas ainsi pour le pape. La mesure était d’ailleurs tellement inouïe que la rédaction législative semble hésiter : « L’évêque diocésain qui a atteint 75 ans accomplis est prié – rogatur – de présenter sa renonciation à son office ». En clair, le Code ne lui fait pas obligation stricte, mais exerce une pression sur sa liberté. Qu’adviendrait-il s’il était sourd à cette « prière » ?
En outre, Paul VI a cru bon d’édicter une autre règle s’appliquant cette fois aux cardinaux : par le motu proprioIngravescentem ætatem, du 21 novembre 1970, ceux-ci, lorsqu’ils atteignent l’âge de 80 ans perdent automatiquement leur droit de siéger dans les organes de Curie et surtout d’entrer en conclave pour élire un nouveau pape. Certes, la fonction cardinalice – les cardinaux représentent les membres éminents du clergé de Rome qui désignent le pape – n’est pas, quant à elle, d’institution divine. Mais dans la mesure où le collège cardinalice a toujours aujourd’hui pour première fonction d’élire le pape, on peut se demander comment se justifie, selon le droit naturel cette fois, l’incapacité qui frappe les cardinaux octogénaires. D’autant que le pape n’y est pas soumis.
Ce qui crée une situation étrange. La Réforme grégorienne et la Réforme tridentine avaient consacré de manière très heureuse la centralisation de l’Église romaine autour du pape. Bien loin de s’estomper après le dernier concile, cette « papalisation » s’est encore accrue. Les concordats qui concédaient encore aux pouvoirs civils la nomination des évêques diocésains, auxquels était ensuite conférée l’investiture canonique par le pape, ont été modifiés les uns après les autres pour réserver dans tous les cas la nomination au Pontife romain dans toute l’Église latine (le cas résiduel du concordat concernant l’Alsace-Moselle étant purement théorique, car c’est de fait le pape qui nomme aux évêchés de cette région). Et en outre, grâce aux mesures prises par Paul VI, le pape a une capacité qu’il n’eût jamais à ce degré de renouveler l’épiscopat à sa guise.
L’Église encore plus romanisée
Alors que la liturgie romaine et l’ecclésiologie (œcuménisme, liberté religieuse) ont tourné la page du tridentinisme, la structure hiérarchique postconciliaire est ainsi plus tridentine aujourd’hui qu’elle ne l’était avant Vatican II. À moins que cette accentuation du rôle du pape, dans un contexte idéologique très différent de celui d’avant le Concile, ne puisse plutôt s’analyser comme une imitation par la société ecclésiastique de la « présidentialisation » des démocraties modernes. Toutes choses égales, bien entendu, notamment parce que le pape est élu à vie. Quand il ne démissionne pas.
Sur le même sujet, lire l’éditorial de Philippe Maxence et l’entretien avec le cardinal Brandmüller.
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