Dans le dernier numéro du Courrier de Rome (n°670, décembre 2023), l’abbé Jean-Michel Gleize, FSSPX, revient sur la question de lecture du Concile, sujet amplement discuté depuis 50 ans.
Tradition ou herméneutique ?
Benoît XVI décrit en effet la Tradition comme ”le fleuve vivant dans lequel les origines sont toujours présentes” (Catéchèse, 26 avril 2006)Le 11 octobre 2017, le Pape François adressait un discours aux participants à la rencontre organisée par le Conseil Pontifical pour la promotion de la Nouvelle Evangélisation. Ce discours survenait le jour du vingt-cinquième anniversaire de la Constitution apostolique Fidei depositum, par laquelle son prédécesseur, le Pape Jean-Paul II, avait promulgué le Nouveau Catéchisme de l’Eglise Catholique, en 1992, trente ans après l’ouverture du Concile Vatican II.
– I – L’héritage de Vatican II
Reprenant les propres paroles prononcées par Jean XXIII dans son Discours d’ouverture du 11 octobre 1962, François pense pouvoir résumer la mission de l’Eglise à l’égard du dépôt de la foi par ces deux mots : « garder et poursuivre ». Jean XXIII disait en effet, en parlant de la Tradition de l’Eglise et de sa doctrine : « Ce précieux trésor nous ne devons pas seulement le garder comme si nous n’étions préoccupés que du passé, mais nous devons nous mettre joyeusement, sans crainte, au travail qu’exige notre époque, en poursuivant la route sur laquelle l’Eglise marche depuis près de vingt siècles ». Glosant sur ce propos de son prédécesseur, François fait référence au fameux passage de la constitution Dei Verbum : « Cette Tradition progresse […] s’accroît, […] tend constamment vers la plénitude de la divine vérité, jusqu’à ce que soient accomplies en elle les paroles de Dieu » (n° 8).– II – Quelle relecture du Concile ?
Il est remarquable que le Pape présente ce passage comme décrivant ce qu’il appelle « la dynamique interne » à un processus que la constitution Dei Verbum décrit quelques lignes plus haut, dans le même n° 8 : « L’Église perpétue dans sa doctrine, sa vie et son culte et elle transmet à chaque génération, tout ce qu’elle est elle-même, tout ce qu’elle croit » Et François commente : « Les Pères du Concile ne pouvaient pas trouver une expression synthétique plus heureuse pour exprimer la nature et la mission de l’Eglise. Ce n’est pas seulement dans la ”doctrine”, mais également dans la ” vie” et le ”culte” que les croyants peuvent devenir Peuple de Dieu ». Et c’est justement, dit-il, à partir de là, c’est-à-dire à partir de ce fait que la Tradition est « vie et culte », et pas seulement « doctrine », que cette même Tradition, assimilée par François à l’Eglise elle-même, « tend vers la plénitude de la vérité ». On le notera en effet : alors que le texte de Dei Verbum parle littéralement et précisément de « l’Eglise » pour dire qu’elle tend vers la plénitude de la vérité, le Pape François parle quant à lui de « la Tradition », donnant ainsi du texte de Vatican II une citation modifiée. En introduisant cette modification, le Pape entendrait-il déclarer, avec l’autorité de son magistère, le sens authentique de Dei Verbum ? Aurions-nous là un échantillon – un de plus – de la fameuse herméneutique, grâce à laquelle le nouveau « magistère » de Vatican II et de Benoît XVI se réinterprète sans cesse lui-même ? Et que veut dire le Pape ? Quelle définition entend-il donner au juste de la Tradition, dans la continuité renouvelée (au prix de la modification signalée) de Dei Verbum ?Le Pape s’en explique dans la suite de son Discours. « La Tradition », dit-il, « est une réalité vivante et seule une vision partielle peut penser le ”dépôt de la foi” comme quelque chose de statique ». Et de recourir, pour illustrer ce point, à l’une de ces expressions imagées dont il a le secret : « La Parole de Dieu ne peut être conservée dans la naphtaline comme s’il s’agissait d’une vieille couverture dont il faudrait éloigner les parasites ! Non. La Parole de Dieu est une réalité dynamique, toujours vivante, qui progresse et croît vers un accomplissement que les hommes ne peuvent entraver ». Mais aussitôt après, voici que le Pape ajoute la précision suivante : « Cette loi du progrès, selon l’heureuse formule de saint Vincent de Lérins – « annis consolidetur, dilatetur tempore, sublimetur aetate » (Commonitorium, XXIII, 9) – appartient à la condition particulière de la vérité révélée telle qu’elle est transmise par l’Eglise, et ne signifie absolument pas un changement de doctrine ».
Le Pape recourt ici à quatre expressions distinctes. Il parle en effet de la « Tradition », du « dépôt de la foi », de la « Parole de Dieu » et de la « doctrine ». A quelles réalités ces quatre expressions font-elles référence ? S’agit-il d’une seule et même réalité ou de plusieurs réalités distinctes ?
Abbé Jean-Michel Gleize
Ce samedi 13 janvier a eu lieu le Congrès annuel du Courrier de Rome à Paris.