Extrait d’une tribune de Mgr Rougé, évêque de Nanterre, publiée dans Le Figaro :
Vous me croirez ou non, je rêvais d’un pape qui s’appellerait Léon. Je pensais bien sûr à Léon XIII , le pape de la doctrine sociale de l’Église et d’un dialogue constructif et exigeant avec les États modernes. Mais, davantage encore, il me semblait salutaire pour l’Église en notre temps de s’inscrire délibérément dans le sillage du pape saint Léon le Grand, le premier de la lignée, le pape du concile de Chalcédoine et de l’unité de l’Église par la foi au milieu du Ve siècle, période d’instabilité et de barbarie à laquelle notre époque n’est pas sans faire penser.
Mais voici qu’au patronage de saint Léon le Grand se mêle celui de saint Augustin, cet extraordinaire chercheur de Dieu, ce véritable saint patron des catéchumènes d’hier et d’aujourd’hui, ce commentateur incomparable des Saintes Écritures, cet immense docteur de la grâce, l’amour prévenant et agissant de Dieu offert à tous. L’ancien supérieur général de l’ordre de Saint-Augustin devenu évêque de Rome a aussitôt formulé une expression digne de l’auteur des Confessions quand il a invoqué la paix, « désarmée et désarmante », « disarmata e disarmante ».
Quel message magnifique pour le 8 mai 2025, quatre-vingtième anniversaire de fin de la Seconde Guerre mondiale, que cet hymne à la paix du Christ ressuscité entonné par le nouveau pape dès le début de sa première apparition et de sa première bénédiction ! S’inscrivant avec délicatesse dans le sillage de l’ultime bénédiction pascale de son prédécesseur le pape François, il a su combiner d’emblée la force de l’affirmation proprement chrétienne et l’ampleur de l’ouverture au monde entier, en quête comme jamais d’espérance, de réconciliation et de paix.
Évêque à la fois américain et péruvien, aux ascendances françaises, italiennes et espagnoles, ancien supérieur général d’un ordre religieux répandu dans le monde entier, Léon XIV est moins le représentant d’une partie du monde que l’incarnation de la catholicité, de l’universalité, de l’Église. Cet anglophone hispanophone, italophone, lusophone, francophone et germanophone renoue avec la grande tradition des papes polyglottes. C’est cette capacité d’écoute et de dialogue très vaste qui l’a sans doute amené à déclarer d’emblée avec force que la paix est possible et que « le mal ne prévaudra pas ».
Les questions à trop courte vue de certains commentateurs se sont comme évaporées au milieu de la foule immense, joyeuse, émue et paisible, qui s’est rassemblée place Saint-Pierre et tout autour dès l’apparition de la fumée blanche au-dessus de la chapelle Sixtine. Le nouveau pape serait-il progressiste ou conservateur, dans la continuité du pontificat de François ou en rupture avec lui ? D’emblée il est apparu que le nouvel évêque de Rome serait paisiblement lui-même, inscrit sereinement mais librement dans la lignée de ses prédécesseurs, enraciné dans le Christ surtout, source par excellence de l’ouverture authentique.
Les participants au synode d’octobre 2024, qui ont assisté à un débat théologique sur le rapport des Églises locales à l’universalité de la foi, n’ont pas oublié l’exposé ferme, précis, pacifiant de celui qui n’était encore que le cardinal Prevost. Le compte, si j’ose dire, de certaines revendications à l’autonomie doctrinale des conférences épiscopales, plus politiques que spirituelles, avait été réglé, clairement mais sans polémique inutile. J’avais eu l’occasion d’en remercier le cardinal puis d’échanger à plusieurs reprises avec lui, touché chaque fois par sa bienveillance ainsi que par la douceur et la solidité de sa parole et de sa pensée. […]