Dans une intéressante analyse sur l’élection de Léon XIV, Wanderer, modérément optimiste, écrit :
[…] Prévost est sans aucun doute une créature de Bergoglio. Il est le genre de berger que Bergoglio aime : missionnaire, engagé auprès de son peuple, d’un ordre religieux (inexplicablement, il avait un certain faible pour les Augustins, les ermites ou les Récollets), et la preuve en est sa carrière météorique : d’évêque d’un diocèse péruvien perdu, à préfet du Dicastère des évêques et cardinal-évêque. Il semble qu’il l’ait pointé du doigt, comme Jean-Paul II l’avait fait avec Ratzinger. Et beaucoup d’entre nous ne l’ont pas vu, non pas tant parce qu’il était Prévôt que parce qu’il était Américain. J’avoue que je n’aurais jamais pensé que les cardinaux éliraient un Américain, encore moins dans les circonstances actuelles, quelles que soient ses affinités ou non avec Trump : l’empire a les deux glaives. Et je continue à considérer cela comme très, très rare. Et bien que je ne sois pas enclin au surnaturalisme, aux prophéties ou aux révélations, je ne peux m’empêcher de penser à l’intervention du Saint-Esprit d’une manière très claire : je ne peux pas l’expliquer autrement. Et si je peux continuer avec les lectures pieuses, je pense qu’il est également significatif que j’aie pris le nom du Pape de la prière à Saint Michel Archange choisi le jour de l’Apparition de Saint Michel sur le Mont Gargan.
Mais revenons aux choses sérieuses : Prévost est l’homme de Bergoglio et, en tant que tel, un progressiste modéré, c’est-à-dire pas un hérétique, mais un progressiste quand même.
La confusion, à mon avis, de la plupart de la presse mondiale et de nombreux sites amis traditionalistes, a été de croire que parce que Prévost était un homme de Bergoglio, Léon XIV sera un François II. Je suis modérément optimiste à ce sujet. Et les seuls arguments que j’ai sont ceux que les quelques heures de son pontificat peuvent me donner. Mais il y a autre chose : alors que Bergoglio avait à peine terminé sa formation de jésuite et n’avait jamais pris un livre de sa vie, Prévost a un diplôme en mathématiques, une maîtrise en théologie et un doctorat en droit canonique, obtenus à l’Angelicum dans les années 1990, qui était, à l’époque, la meilleure école de droit de la ville. C’est un homme cultivé qui apprécie l’étude et la formation sérieuse, même s’il est également missionnaire.
Si nous passons aux différences dans ce que nous avons vu jusqu’à présent, certains lecteurs très intelligents me diront, comme ils l’ont dit, que l’examen de ces détails est une insulte à l’intelligence. Je préfère suivre un autre personnage très intelligent – et celui-ci sérieusement – : Oscar Wilde, qui a dit que seules les personnes vraiment superficielles ne jugent pas sur les apparences. Et les apparences de Léon XIV n’ont pas été très franciscaines, disons-le : son étole papale et sa croix pectoral en sont un signe, tout comme les boutons de manchette qu’il porte sur ses chemises. Car soyons honnêtes, même si nous reconnaissons la superficialité du détail, porter des boutons de manchette aujourd’hui, même en Europe, même si Prévost est, comme il le prétend, latino-américain, est porteur d’un message. Minimal et évitable, certes, mais porteur d’un message.
Deuxième détail : hier, il s’est déplacé dans la Cité du Vatican sur le siège arrière d’une imposante Volkswagen Nuova Tairon noire (si je ne me trompe pas), sur laquelle il avait déjà apposé la plaque d’immatriculation SCV 1, de sorte que l’on suppose qu’il s’agit de son véhicule officiel. Rappelons que François, après son élection, a voyagé dans le même bus qui l’avait conduit à la Sixtine. Et la Fiat blanche fera partie de l’équipe du Vatican.
Passons à quelque chose d’encore plus important : la messe célébrée il y a quelques heures dans la chapelle Sixtine. Il est vrai que j’aurais préféré qu’il utilise l’autel et non la petite table, et qu’il porte des vêtements plus beaux, mais je dois dire que cela faisait longtemps que je n’avais pas entendu une homélie aussi catholique et théologique. Elle parlait purement et simplement du Christ. Je vous recommande vivement de l’écouter car elle est édifiante. Le Christ comme centre de l’Église, de l’histoire et de nos cœurs. Il n’a parlé ni de l’Église synodale, ni des pauvres, ni du dialogue, ni du changement climatique : il a parlé du Christ. Il n’a pas cité le cardinal Kasper, le « théologien à genoux » de Bergoglio, ni Léon Bloy ; il a cité nul autre que saint Ignace d’Antioche. En d’autres termes, nous avons un pape chrétien et, étant modérément optimiste, j’irais même jusqu’à dire que nous avons un pape catholique. C’est beaucoup, et c’est tout le contraire de François.
Enfin, Léon XIV n’est pas François à cause du nom qu’il a choisi. C’est une très bonne surprise qui en a déçu plus d’un (voir sinon l’expression des évêques argentins, en assemblée plénière, lorsqu’ils l’écoutent, à la minute 1 de la vidéo). Non seulement il n’a pas choisi de s’appeler François, mais il n’a pas non plus choisi le nom d’un pape conciliaire. Il n’a pas pu choisir le nom de Pie, et il est allé au XIXe siècle pour récupérer un nom de la tradition pontificale. Si nous nous concentrons sur Léon XIII, nous devons dire qu’il a eu un bon pontificat ou, mieux encore, un pontificat de pacification. Mais on peut penser à saint Léon le Grand, qui arrêta Attila aux portes de Rome alors qu’il menaçait d’emporter avec lui la civilisation occidentale. Si le nom est un présage, je pense qu’il y a lieu de faire preuve d’un optimisme modéré. Prévost savait exactement ce qu’il faisait en choisissant le nom qu’il a choisi.
C’est ce que dit le dicton : la valeur du cheval se voit sur la piste et non dans l’apparence. Il en va de même pour le nouveau souverain pontife. Et c’est avec ses premières nominations que l’on verra sa véritable valeur dans la course. Il ne faut certainement pas s’attendre à des changements majeurs dans les semaines ou les mois à venir. Je pense qu’il procédera plutôt à des changements en septembre, lorsque l’année commencera à la Curie romaine. Celui qu’il nommera prochainement sera le préfet du dicastère des évêques, et il s’agira d’une nomination importante. Nous verrons bien.
J’espère que le premier à s’envoler, même si nous devons attendre quelques mois, sera le cardinal Tucho ; lui et ses acolytes avec lesquels il traîne dans les jardins du Vatican. D’après le peu que nous savons, Prévost n’était pas un enthousiaste de Fiducia supplicans et c’est un homme sérieusement éduqué, pas la mascarade académique dont Fernandez s’est affublé.
La critique la plus acerbe, et peut-être la plus juste, formulée par mes amis traditionalistes, principalement américains, à l’encontre de Prévost est que, en tant que préfet, il a fait preuve d’un comportement abyssal. Il est responsable, disent-ils, de la nomination de très mauvais évêques aux États-Unis et de l’expulsion de Mgr Strickland.
Il me semble toutefois que cette critique n’est pas tout à fait juste. C’est comme si on disait que Prévost est responsable de la nomination de García Cuerva à Buenos Aires ou de Carrara à La Plata. Certes, il a signé son nom, mais les évêques argentins ont été nommés par Bergoglio, et Prévost a signé là où Bergoglio lui a dit de signer. Et il s’est passé quelque chose de similaire aux États-Unis : c’est François qui a directement nommé les évêques par l’intermédiaire de son laquais, le cardinal Christophe Pierre, le nonce apostolique. Je ne dis pas que Prévost n’aimait pas les évêques qu’il a été contraint d’endosser. Je n’en sais rien, mais je sais que ce n’est pas lui qui avait le poids de la décision.
Pour cette même raison, et parce que je suis modérément optimiste, je pense qu’il faut lui accorder un certain crédit sur ce point. Nous commencerons bientôt à voir si la version bienveillante que je propose est vraie, ou plutôt l’autre.
À mon avis, il y avait deux groupes perdants, car ce sont ces deux groupes qui avaient une réelle chance de gagner : les franciscains purs ou hérétiques (Tagle, Zuppi, David, Tolentino, Höllerich) et Parolin et toute sa mafia de l’Académie ecclésiastique, c’est-à-dire les curialistes. Je ne crois pas, comme certains le prétendent, que Prévost était le véritable candidat du progressisme pro-franciscain. Au contraire, il était leur second choix. Et un peu d’introspection suffit : qu’aurions-nous ressenti si c’était Zuppi ou Tagle ou un autre visage asiatique au balcon ? Non, Prévost n’était pas le candidat préféré de l’aile hérétique du Sacré Collège.
Mais les grands perdants furent sans aucun doute Parolin, Re, la maffia Silvestrini et tous les garçons de l’Académie. Tout pointait vers Parolin, et pendant la période entre la fumée blanche et l’apparition du cardinal Mamberti, j’étais, comme une bonne partie du monde, certain que Parolin apparaîtrait, et j’ai même parié qu’il choisirait le nom de Jean. Je me suis encore trompé, et j’en suis heureux. Nous verrons comment ils digèrent la défaite, et nous verrons si le pape Léon confirme Parolin comme secrétaire d’État ou si, comme Benoît l’a fait, il place quelqu’un de l’extérieur. Si c’est le cas, prions pour que, contrairement à Ratzinger, il choisisse un candidat qui ait la colonne vertébrale pour faire face à la meute qui s’abattra sur lui.
Mon hypothèse est qu’il a gagné avec la vingtaine de voix qu’il a obtenues du groupe conservateur penchant à droite : Burke, Sarah, Erdö, Müller, etc. Ils savaient qu’il était impossible d’imposer un candidat propre et qu’après le dernier consistoire, ils étaient loin de la minorité de blocage. D’autre part, et je le sais de plusieurs sources directes, ce groupe se préparait au conclave depuis au moins trois ans et avait très bien préparé sa stratégie. Plus significative est l’information publiée par le Corriere della Sera quelques jours avant le conclave : « L’Américain Robert Francis Prevost, 69 ans, qui est électeur et qui entre dans la maison du cardinal Burke pour une réunion secrète, glisse : »Je n’ai pas encore pensé à ce qu’il faut mettre dans la valise, même s’il ne reste qu’une semaine avant l’extra omnes, mais je suis désolé, on nous a dit de ne pas parler… ».
J’ajoute à cela l’accueil remarquablement festif et joyeux du cardinal Burke au nouveau pontife, semblable à celui du cardinal Sarah. Mon hypothèse est donc qu’au moins nous ne serons plus persécutés, que la célébration de la messe traditionnelle sera à nouveau libérée et que nous aurons une doctrine plus claire. Je pense qu’il s’agit là des compromis minimaux sur lesquels le groupe des conservateurs de droite a réussi à se mettre d’accord.