Ce matin, au Palais Apostolique du Vatican, le Saint Père François a reçu en audience les Recteurs des Grands Séminaires et des Séminaires Propédeutiques de France. Voici son discours convenu (il paraît qu’il ne faut pas dire “Monsieur l’abbé”) :
Chers Recteurs,
Je suis heureux de vous accueillir à l’occasion de votre pèlerinage jubilaire, au cours duquel vous vous êtes réunis pour réfléchir sur la formation sacerdotale. Il s’agit d’un chemin de discernement dans lequel vous jouez un rôle essentiel. Vous êtes comme le vieux prêtre Eli qui dit au jeune Samuel : « S’il t’appelle, dis : Parle, Seigneur, car ton serviteur t’écoute » (1 S 3,9). Vous êtes la présence rassurante, la boussole des jeunes qui vous sont confiés.
Saint Paul VI a déclaré que « l’homme contemporain écoute plus volontiers les témoins que les maîtres, ou s’il écoute les maîtres, c’est parce qu’ils sont des témoins » (Audience générale, 2 octobre 1974). Cela s’applique certainement aux formateurs des séminaires. Leur témoignage cohérent de vie chrétienne se déroule au sein d’une communauté éducative dont les membres sont, au séminaire, l’évêque, les prêtres et les religieux, les professeurs, le personnel. Cette communauté, cependant, s’étend là où le séminariste est envoyé : dans les paroisses, les mouvements, les familles. La formation communautaire est donc unitaire, elle touche toutes les dimensions de la personne et s’oriente vers la mission.
Pour que le séminaire puisse porter ce témoignage et devenir un espace favorable à la croissance du futur prêtre, il est important de veiller à la qualité et à l’authenticité des relations humaines qui y sont vécues, semblables à celles d’une famille, avec des traits de paternité et de fraternité. Ce n’est que dans ce climat que peut s’établir la confiance mutuelle, indispensable à un bon discernement. Le séminariste pourra alors être lui-même, sans crainte d’être jugé arbitrairement ; être authentique dans ses relations avec les autres ; collaborer pleinement à sa propre formation pour découvrir, accompagné par les formateurs, la volonté du Seigneur pour sa vie et y répondre librement.
Les candidats qui viennent au séminaire sont, aujourd’hui plus que jamais, très différents les uns des autres. Certains sont très jeunes, d’autres ont déjà une longue expérience de vie ; certains ont une foi enracinée et mûre, pour d’autres elle est très récente ; ils viennent de contextes sociaux et familiaux différents, de cultures différentes ; surtout, ils ont ressenti l’appel au sein des nombreux mouvements spirituels que l’Église connaît aujourd’hui. C’est certainement un grand défi que de proposer une formation humaine, spirituelle, intellectuelle et pastorale à une communauté aussi diverse. Votre tâche n’est pas facile. C’est pourquoi l’attention au cheminement de chacun ainsi que l’accompagnement personnel sont plus que jamais indispensables. C’est pourquoi il est important que les équipes de formation acceptent cette diversité, qu’elles sachent l’accueillir et l’accompagner. N’ayez pas peur de la diversité ! N’en ayez pas peur, c’est un cadeau ! L’éducation à l’accueil de l’autre, tel qu’il est, sera la garantie, pour l’avenir, d’un presbyterium fraternel et solidaire dans l’essentiel.
L’objectif du séminaire est clair : « former des disciples missionnaires “amoureux” du Maître, des pasteurs “à l’odeur des brebis”, qui vivent au milieu d’elles pour les servir et leur apporter la miséricorde de Dieu » (RFIS, n° 3). Cela suppose un certain nombre de critères, sur lesquels il est impossible de transiger, pour conférer l’ordination. Mais le séminaire ne doit pas chercher à former des clones qui pensent tous de la même manière, avec les mêmes goûts et les mêmes options. La grâce du sacrement s’enracine dans tout ce qui enrichit la personnalité unique de chacun, une personnalité qui doit être respectée, pour produire des fruits aux saveurs diverses, dont la variété même du Peuple de Dieu a besoin.
Parmi les points auxquels il est important de prêter attention, je voudrais simplement en souligner trois. Le premier est de veiller à ce qu’une véritable liberté intérieure se forme chez le candidat. N’ayez pas peur de cette liberté ! Les défis qui se présenteront à lui au cours de sa vie exigent qu’il soit capable, éclairé par la foi et mû par la charité, de juger et de décider avec sa propre tête, parfois à contre-courant ou en prenant des risques, sans s’aligner sur des réponses toutes faites, des préconceptions idéologiques ou la pensée unique du moment. Laissez mûrir votre pensée, laissez mûrir votre cœur et laissez mûrir vos mains ! Les trois choses doivent aller ensemble : ce que l’on pense, ce que l’on ressent et ce que l’on fait. Les trois langages : celui de l’esprit, du cœur et des mains. Qu’il y ait une cohérence entre eux.
Le deuxième point concerne la maturation chez le candidat d’une humanité équilibrée et capable de relations humaines. Le prêtre doit être amené à la tendresse, à la proximité et à la compassion. Ce sont les trois attributs de Dieu : tendresse, proximité et compassion. Dieu est proche, il est tendre, il est compatissant. Un séminariste qui n’est pas capable de cela n’y va pas. C’est important ! Il n’est pas nécessaire d’insister sur le danger que représentent les personnalités trop faibles et rigides, ou les troubles affectifs. D’ailleurs, l’homme parfait n’existe pas et l’Eglise est composée de membres fragiles et de pécheurs qui peuvent toujours espérer progresser ; votre discernement sur ce point doit être aussi prudent que patient, éclairé par l’espérance. N’ayez pas peur des faiblesses et des limites de vos séminaristes ! Ne les condamnez pas trop vite et sachez les accompagner. Ce qu’on appelle le martyre de la patience : accompagner.
Le troisième point est l’orientation définitive de la vocation sacerdotale vers la mission. Le prêtre est pour la mission. Un prêtre qui dit « monsieur l’abbé » n’est pas pour la mission. Il ne va pas. Le prêtre est toujours pour la mission. Si, bien sûr, être prêtre comporte un accomplissement personnel, on ne le devient pas pour soi, mais pour le peuple de Dieu, pour lui faire connaître et aimer le Christ. Le point de départ de cette dynamique ne peut se trouver que dans un amour toujours plus profond et passionné pour Jésus, nourri par une formation sérieuse à la vie intérieure et à l’étude de la Parole de Dieu. Il est difficile d’imaginer une vocation sacerdotale qui n’ait pas une forte dimension oblative, de gratuité et de détachement de soi, d’humilité sincère. Seul Jésus remplit son prêtre de joie. Or, il n’est pas rare qu’en cours de route, certains finissent peu à peu par se « servir eux-mêmes ». Attention, surtout avec l’argent. Ma grand-mère nous disait : « Le diable entre par les poches ». S’il vous plaît, la pauvreté est une très belle chose. Servez les autres. Et méfiez-vous du carriérisme, méfiez-vous. Attention à la mondanité, à la jalousie, à la vanité. Que l’amour de Dieu et de l’Église ne devienne pas un prétexte à l’enrichissement personnel. Lorsqu’un ecclésiastique ressemble plus à un paon qu’à un ecclésiastique, c’est laid. Que l’amour de Dieu et de l’Église ne soit pas un prétexte : qu’il soit vrai.
Chers recteurs, je vous remercie de votre visite et du service que vous offrez à l’Église. Votre tâche n’est pas facile, mais je vous encourage à persévérer avec confiance et espérance, sous la conduite de l’Esprit Saint et la protection de la Vierge Marie. Pour cela, je vous bénis de tout cœur, vous et vos communautés. Et n’oubliez pas de prier pour moi. Je vous remercie.