Les religieux de la Fraternité Saint Vincent Ferrier ont mis en ligne un texte intitulé “Pourquoi la vie religieuse ?” (extrait d’un article du RP Antoine-Marie de Araujo paru dans la revue Sedes Sapientiae – n°166 en septembre 2023)
Comment se fait-il que, depuis les débuts de l’Église et aujourd’hui encore, des femmes, des hommes, de tous âges et conditions, quittent leur famille, leur pays, renoncent à leurs biens, à une carrière – parfois prometteuse –, au mariage et à la fécondité selon la chair, même au libre emploi de leur temps ? … pour vivre pauvrement, dans le silence et la prière, une vie pénitente au service de Dieu et du prochain ?
Qu’est-ce qui les pousse à tout quitter ainsi pour le Christ ?
La réponse se trouve aux origines de l’Église, dans l’évangile de saint Matthieu :
Et voici qu’un homme s’approcha [de Jésus] et lui dit : « Maître, que dois-je faire de bon pour obtenir la vie éternelle ? » Il lui dit : « Qu’as-tu à m’interroger sur ce qui est bon ? Un seul est le Bon. Que si tu veux entrer dans la vie, observe les commandements. » – « Lesquels ? » lui dit-il. Jésus reprit : « Tu ne tueras pas, tu ne commettras pas d’adultère, tu ne voleras pas, tu ne porteras pas de faux témoignage, honore ton père et ta mère, et tu aimeras ton prochain comme toi-même. » – « Tout cela, lui dit le jeune homme, je l’ai observé ; que me manque-t-il encore ? » Jésus lui déclara : « Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux ; puis viens, suis-moi. » Entendant cette parole, le jeune homme s’en alla contristé, car il avait de grands biens (Mt 19, 16-22).
Dans le récit du même événement, après que l’homme eut dit avoir observé les commandements, l’évangéliste Marc note que « Jésus fixa sur lui son regard et l’aima » (Mc 10, 21). C’est l’appel à la vocation religieuse lancé dans le regard d’amour de Jésus sur cette âme : « Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres […] ; puis viens, suis-moi. »
Comment obtenir la vie éternelle ? Dans sa réponse, Jésus distingue :
- d’abord, observer les commandements, qui s’imposent de façon nécessaire et obligatoire ;
- puis faire un pas de plus, qui ne s’impose pas nécessairement (« si tu veux… ») mais qui fait aller plus loin (« … être parfait ») – et que Jésus exprime dans sa radicale simplicité : « Va, vends tout ce que tu as… et suis-moi. »
Le Christ appelle certains à le suivre en embrassant les conseils évangéliques de l’obéissance, de la pauvreté et de la chasteté.
Tous sont appelés à la vie éternelle… donc à la sainteté
« Observe les commandements », commence par répondre Jésus. Quels sont ces commandements ? Ceux de la loi divine, naturelle et révélée, et avant tout celui-ci : « Tu aimeras Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit, et ton prochain comme toi-même » (cf. Mt 22, 37 ss.). Le premier commandement – de charité envers Dieu – et le second – de charité envers le prochain et soi-même – résument toute la Loi, dit Jésus. Les commandements suivants exigent ce qui est nécessaire pour garder la charité (adorer Dieu, honorer ses parents, etc.) et interdisent ce qui est incompatible avec la charité (meurtre, vol, faux témoignage, adultère, etc.).
Pourquoi la charité est-elle nécessaire, d’une nécessité de salut ? Parce que Dieu est notre Créateur, notre Sauveur et notre fin ultime.
Dieu est au principe de notre être, il nous a donné l’existence, la vie, le mouvement… À tout moment, il nous y conserve. L’être humain doit tout à son Créateur. Prenant conscience de cette dette impossible à rembourser, il veut au moins la reconnaître par la religion, attitude d’amour et de service qui consiste à rendre un culte à son Créateur. Toutes les civilisations ont connu la religion et son acte suprême, le sacrifice. Le Créateur doit être préféré à tout et honoré au-dessus de tout. L’homme ne peut manquer à ce devoir sans grave injustice.
Dieu est aussi la fin ultime de l’homme. L’homme est fait pour Dieu. Car le désir qui habite son cœur est infini, et seul un bien infini peut le combler. Point de bonheur, point de réussite possible hors de Dieu. S’en détourner, c’est manquer son but, rater sa vie. Le malheur des damnés vient de ce que, pour l’éternité, ils ont choisi de préférer autre chose à Dieu. Que sa miséricorde nous préserve d’un tel désastre !
Aimer Dieu de tout son cœur et par-dessus tout est donc une nécessité pour l’homme.
Aimer Dieu de charité implique d’aimer tous ceux qu’il aime, et qu’il appelle au salut. Du premier commandement découle le second : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » pour l’amour de Dieu.
Cette exigence s’impose d’autant plus que Dieu s’est révélé comme un Père très aimant, qui veut faire participer ses enfants à sa vie divine ; comme un Rédempteur très miséricordieux qui a donné sa vie pour nous sauver. Jésus nous enseigne que la fin ultime de l’homme, c’est Dieu connu et aimé. Réussir sa vie consiste à devenir un saint. À aller au Ciel. Ne nous étonnons pas de voir nos contemporains souvent tristes, insatisfaits. Ils sont faits pour une grandeur qui dépasse ce monde. Loin de Dieu, l’homme erre d’insatisfaction en insatisfaction. Pourtant, le jour où il découvre cette source et choisit de s’y plonger, il trouve la paix et le repos de son âme.
Certes, Dieu laisse libre ; il ne force pas. Mais il a créé l’être humain pour lui. La charité est donc une question de vie ou de mort : « Quand j’aurais le don de prophétie et que je connaîtrais tous les mystères et toute la science, rappelle saint Paul, quand j’aurais une foi à transporter les montagnes, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien » (1 Co 13, 2). Et saint Jean : « Nous savons, nous, que nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons nos frères. Celui qui n’aime pas demeure dans la mort » (1 Jn 3, 14). À ce passage, saint Thomas d’Aquin ajoute le commentaire suivant : « La vie spirituelle consiste principalement dans la charité ; celui qui n’a pas la charité ne compte spirituellement pour rien. »
« À la fin de notre vie, dit saint Jean de la Croix, nous serons jugés sur l’amour. » Si l’on n’a pas aimé, si l’on n’a rien fait par charité, il ne reste rien. Parce que la perfection de la charité nous est nécessaire, Jésus la commande. « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait », dit Jésus (Mt 5, 48).
Notons ici que Dieu ne commande pas d’arriver tout de suite à aimer parfaitement. Atteindre la perfection de la charité ne sera possible qu’au Ciel. Mais tous, nous devons y tendre, progresser toujours dans l’amour de Dieu, du prochain et de nous-même.