Malgré un retour aux psaumes, la génération présente des chrétiens ne prend plus part, sauf rares exceptions, à la célébration des vêpres. La langue latine, qui lui est incompréhensible et embarrasse sa prière, y est pour quelque chose. Mais d’autres motifs creusent un fossé entre la vie courante et la vie religieuse. Le monde a bouleversé ses propres traditions et a fait place à des exigences nouvelles sans cesse accrues. La vie ecclésiastique et religieuse garde ses formes traditionnelles, sa langue, ses usages, ses heures de prière et ne les remanie qu’avec prudence. A cet égard, la messe du soir montre une voie qui permet de combler l’écart entre les obligations impérieuses du monde contemporain et celles qui devraient être non moins impérieuses de la vie chrétienne. Quoi qu’il en soit, il ne reste plus guère que les cathédrales et les monastères où le chant des grandes antiennes ait gardé un certain degré de solennité. Mais la grande majorité des fidèles ignore, comme elle ignore la composition des vêpres, ce que sont ces antiennes O. Nous sommes fort loin du temps où, comme le rapporte un moine liégeois, Reiner, les fidèles allaient en foule, ces jours-là, assister aux vêpres et chanter les grandes antiennes.
Que sont ces antiennes O ? Les vêpres se terminent par le chant du Magnificat. Ce cantique est, comme les psaumes des vêpres, précédé et suivi d’une antienne. A partir du 17 décembre, cette antienne commence chaque jour, jusqu’au 23 décembre inclus, par l’exclamation admirative « O » : O Sagesse, O Adonaï (Seigneur)… etc. Ces antiennes, au nombre de sept, semblent bien être d’origine romaine ; certains pensent même qu’on pourrait les attribuer à saint Grégoire qui les aurait au moins inspirées.
En Allemagne, à Liège et à Paris on avait ajouté deux antiennes aux sept en usage ailleurs. On en trouve même douze. La formule avait paru excellente. Comme toujours, on la reproduit, mais ce n’est pas sans l’appauvrir. Plus tard, d’autres antiennes destinées aux Docteurs de 1’Église ou encore à l’Ascension du Seigneur prendront le même type de composition et la même mélodie : O Doctor optime, O Rex gloriae…
En certaines églises, on chantait les grandes antiennes au cantique final des laudes, le Benedictus, On les répétait même après chaque verset à partir de In sanctitate et iustitia jusqu’au Gloria. Le Benedictus est le cantique de Zacharie ; le rapprochement avec le grand personnage de l’Avent, Jean-Baptiste, a peut-être attiré le chant de ces antiennes en ce moment, d’autant plus que deux d’entre elles O Clavis (O Clef) et O Oriens (O Aurore reprennent les termes des derniers versets du cantique Benedictus.
Peut-on trouver une progression entre ces antiennes ou un enseignement synthétique voulu ? Il ne semble pas qu’il faille appliquer à cette liturgie, non plus qu’à d’autres, nos habitudes didactiques et l’ordre logique si cher, pour nous, depuis Descartes surtout. La liturgie, suivant en cela le génie sémitique et biblique, procède plutôt par coups de pinceaux, insistant tantôt sur un point, tantôt sur un autre, revenant en arrière pour décrire un aspect non encore souligné. Procédé cyclique auquel notre époque semble revenir.
Leur composition est cependant parallèle : appel au Fils de Dieu, énumération de son activité et de ses grâces, et surtout appel insistant pour que Dieu vienne : veni, et que sa venue nous transforme et nous sauve. Les sept antiennes s’inspirent largement de l’Écriture.
Elles évoquent la rédemption ; et ceci est significatif d’une époque où, malgré l’adjonction de nouvelles fêtes qui croissent en importance, par exemple, on se souvient que Pâques reste l’événement central de notre salut.
A travers ces antiennes, nous retrouvons toujours le rappel des deux avènements du Seigneur qui caractérise l’esprit de l’Avent.
On croit voir dans les initiales de ces antiennes, en commençant par la dernière, un acrostiche, réponse du Christ à l’attente de son peuple : Ero cras, « je serai demain », On ne s’étonnera pas de ces constructions recherchées, si peu dans nos goûts actuels. Des cas parallèles ne manquent pas au Moyen Age. Qu’il suffise de citer l’hymne de saint Jean-Baptiste Ut queant lapsis, où chaque début de vers deviendra un nom de note de la gamme, et l’hymne de Sedulius chantée en partie aux laudes de Noël, A solis ortus cardine, dont chaque strophe commence par une lettre de l’alphabet, depuis A jusqu’à Z.
Joyaux de l’Avent, ces antiennes en expriment la théologie. L’incarnation du Fils, la rédemption, la poursuite de notre rachat jusqu’à la fin des temps, telle est cette constante théologie. Elle fait entrevoir que la célébration de l’Avent, comme celle de Noël, se centre sur le Mystère pascal où s’exprime l’œuvre de notre salut dans la mort et la résurrection.
Dom Adrien Nocent