Le 12 novembre dernier, le diocèse de Marseille rendait public les accusations d’abus qui pesaient contre l’abbé Raymond Melizan, figure de l’enseignement diocésain local, directeur de 1965 à 1997 et enseignant de 1951 à 1965 dans l’institution Melizan fondée par son père. Il est décédé en 2016.
Comme nous l’écrivions alors, le diocèse de Marseille était au courant (au moins) dès 2018, ce qui est reconnu par le vicaire général l’abbé Pierre Brunet sur le site du diocèse : ” en 2018, j’ai reçu plusieurs témoignages crédibles d’anciens élèves qui attestaient avoir été victimes d’abus sexuels de la part de l’abbé Raymond Mélizan dans les années cinquante. Ils n’ont pas exprimé le désir que cela soit rendu public, mais seulement d’être écoutés par une autorité ecclésiale. Nous avons pris en considération leur parole, qui nous a rendus attentifs à de potentiels autres témoignages qui nous parviendraient. Dans les archives du diocèse, de l’enseignement catholique diocésain et de l’établissement, nous n’avons pas trouvé d’éléments qui auraient pu nous alerter. Aucun autre signalement n’est parvenu à nos oreilles, jusqu’à la fin de l’année 2023, où deux nouvelles situations nous ont été rapportées.
Pour l’une d’elles, c’est l’Inirr (Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation, mise en place par les évêques de France) qui nous a contactés : une personne s’était présentée auprès de l’Inirr comme victime d’abus sexuels de la part de l’abbé Raymond Mélizan, dans les années quatre-vingt cette fois. L’Inirr a reçu cette personne, l’a accompagnée, et, après vérifications diverses et discernement, considérant que l’abus était avéré, l’a reconnue comme victime. Cette personne, qui a depuis reçu une réparation financière, n’était pas entrée en relation avec la cellule diocésaine « Agir contre les abus » et n’avait pas non plus cherché à contacter l’archevêque : nous n’avions donc pas connaissance de cette situation. Le 2 septembre 2024, l’Inirr nous en a informés et nous a fait savoir que, parvenue à la fin de son parcours d’accompagnement, la victime demandait à nous rencontrer. Le cardinal Jean-Marc Aveline, archevêque de Marseille, et moi-même, l’avons donc reçue à la fin du mois le 28 septembre 2024 et, dans la foulée, un signalement a été fait auprès du Procureur de la République mi-octobre“.
Le diocèse a donc demandé aux victimes de se manifester par tous moyens : “ le diocèse de Marseille sollicite toutes les personnes susceptibles d’apporter leur témoignage ou de communiquer des éléments importants à se faire connaître. Nous invitons les personnes qui auraient été victimes d’agressions sexuelles de la part de l’abbé Mélizan à se manifester si elles le souhaitent. Plusieurs manières de faire sont possibles, soit auprès d’instances diocésaines, soit auprès d’instances indépendantes de l’Eglise, comme le Procureur de la République ou France Victimes (lire ci-dessous). Je le dis pour l’affaire que nous évoquons aujourd’hui mais cela vaut pour toutes les autres situations d’abus éventuelles dont nous n’avons pas connaissance jusqu’à présent“.
Le diocèse de Marseille n’a pas été déçu. Sept autres anciens élèves accusent le religieux aujourd’hui décédé d’abus – portant le nombre de victimes connues à onze. Depuis, elles seraient encore plus nombreuses, “mais malgré nos nombreuses sollicitations, le diocèse ne répond plus”, constate la Provence fin novembre dernier en mettant en ligne le témoignage de l’acteur Laurent d’Olce. Scolarisé gratuitement par l’instution Melizan en 1976, sa famille étant privée de revenus, il explique comment il s’est trouvé régulièrement victime d’attouchements de la part de l’abbé Raymond Melizan, pendant cinq ans. Il a contacté l’INIRR en 2019. Au moment où la Provence publie son article, ça fait “huit mois” qu’il attend une réponse de l’institution chargée de collecter les récits de victimes d’abus sexuels du clergé, les vérifier et réorienter les victimes vers une éventuelle indemnisation ou des mesures de reconnaissance et de réparation.
Enterré avec les honneurs en 2016
Le 28 novembre dernier, en bas de la Une, la Provence ne lâche pas l’affaire avec un titre “que l’on sache quel homme toxique était l’abbé Melizan”, annonçant un article où “quatre anciens élèves de l’école, collège et lycée accusent le fils du fondateur de cet établissement fréquenté par la bonne société marseillaise d’avoir commis sur eux des abus sexuels répétés, pendant des années”. L’article ne semble pas avoir été mis en ligne.
Dans le même journal, quand il est décédé en 2016, le nécrologue – toujours en ligne, lui, avait été dithyrambique : “l’abbé Raymond Mélizan est décédé hier matin à l’âge de 94 ans. Cet homme d’église dirigea pendant 35 ans “l’Institution Mélizan”, devenue lycée Mélizan depuis son installation il y a une décennie à la Valentine (11e) à Marseille sur le magnifique site du monastère de la Visitation. “L’abbé” avait pris la succession de son père, Paul Mélizan (dit “le chat”), agrégé d’université et brillant orateur, qui compta, à la libération de Marseille, parmi les chrétiens issus de la Résistance, fondateur du journal Le Méridional dont il fut souvent l’éditorialiste. Il avait créé “Mélizan” en 1908 rue Puget (aujourd’hui rue Chabanon, à côté de la Préfecture), puis l’avait transféré au 63 de la rue Jean-Fiolle (6e) dès 1914. Un établissement qui a éduqué des milliers d’élèves dans un esprit de famille sans pareil depuis 108 ans.
Raymond Mélizan, fait chevalier de la Légion d’honneur par René Monory, alors président du Sénat, fut un chef d’établissement particulièrement estimé. Ordonné prêtre en 1950, après des études de lettres, Raymond Mélizan enseigna aux côtés de son père avant de prendre les rênes de l’institution. Ancrant sa vocation et son action, tout au long de sa vie, dans la tradition du catholicisme social si cher à son père, Raymond Mélizan “a fait honneur à l’église, qu’il a servie, et à l’Éducation nationale à Marseille”, souligne le sénateur-maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin.
Les obsèques seront célébrées par Monseigneur Pontier à la basilique du Sacré-Coeur jeudi à 15 h 30“.