Pour l’archevêque de Ferrare, l’enfer, le paradis et le purgatoire sont des termes médiévaux à archiver : personne n’est condamné, tout au plus guérit-il. Mais l’Église, aujourd’hui comme hier, parle clairement de récompense et de punition éternelles.
A quand un commissaire apostolique, une visite canonique ou “pastorale” au sein de ce diocèse ?
L’enfer, le purgatoire et le paradis sont des distances par rapport à Dieu, qui peuvent toutefois être récupérées : un peu comme les pénalités au début du championnat de football, qui doivent être récupérées match après match. C’est l’idée fantaisiste que l’archevêque du diocèse de Ferrare-Comacchio, Mgr Gian Carlo Perego, a donnée aux participants de l’École de théologie pour les laïcs lors de la rencontre du 22 octobre.
Au cours de sa présentation sur le thème « Jubilé 2025, regarder le monde avec joie et espérance », Mgr Perego a évoqué la banale et répétitive « espérance » d’un enfer vide du théologien Hans Urs von Balthasar ; un appel qui a piqué la curiosité d’un intervenant qui, au moment des questions, a montré à l’archevêque sa perplexité à l’idée que Dieu sauve même ceux qui rejettent sa miséricorde jusqu’au bout. Mais quand on trouve encore quelques croyants aux idées saines, les pasteurs malsains s’occupent immédiatement du phénomène inquiétant de la persistance de la foi chez les simples…
C’est ainsi que l’archevêque de Ferrare a pensé aller bien au-delà de l’hypothèse balthasarienne (dont nous avons évoqué ici le caractère problématique), pour nier l’éternité des peines de ceux qui meurent sans se repentir :
« Je ne peux pas imaginer qu’un de mes frères puisse être dans une condition infernale, pour utiliser une image. Je peux tout au plus penser que l’Enfer, le Purgatoire et le Paradis, tels que nous les avons conçus dans l’histoire, sont la distance que chacun de nous a devant Dieu au moment de sa mort, la distance personnelle, qui est cependant récupérée, comme dans le cas du fils prodigue, par la miséricorde de Dieu ».
Ce qui, traduit, signifie que l’enfer n’est pas une condition définitive (le fils prodigue, comme chacun sait, n’était pas en enfer).
Selon Perego, il ne s’agirait pas seulement de sa conviction personnelle – et hérétique – mais plutôt de la position de « l’Église dans ses documents », dans le « Catéchisme de l’Église catholique », dans lequel « voici que ces trois images sont encore utilisées, mais ce ne sont pas des images de lieux où… ». Ce sont des images pour dire : regardez, à la fin votre condition sera une condition d’éloignement, l’Enfer, si l’on ne voit pas Dieu, il faut aller loin ; si à la fin de sa vie on ne voit pas Dieu, il peut y avoir le néant ; même pour lui il doit y avoir une rencontre et cette rencontre ne peut pas se faire sur le mode du jugement selon les canons pénaux humains, mais selon les canons de la miséricorde de Dieu ». L’enfer comme chemin à parcourir après la mort pour rejoindre Dieu
L’archevêque est convaincu que cette approche est nécessaire pour penser l’eschatologie aujourd’hui, car il serait même « honteux » de l’expliquer comme Dante, « fils d’une théologie de l’époque, médiévale, thomiste ». Une approche qui, cependant, persiste également parmi les chrétiens ; mais – répète-t-il – « nous ne pouvons pas penser de cette manière aujourd’hui. Mais c’était aussi comme ça avant ».
Avec la source principale d’aujourd’hui qu’est la Révélation, Perego n’a pas jugé nécessaire de montrer à ses auditeurs la preuve que l’Église a toujours pensé comme il le dit. Mais les choses, à la satisfaction de tous, sont juste un peu différentes. Comme, par exemple, lorsque le pape Vigilius confirme les anathèmes de l’empereur Justinien contre Origène (Synode de Constantinople en 543) plusieurs siècles avant la terrible dyade Dante-Thomas : « Si quelqu’un dit ou croit que le châtiment des démons et des impies est temporaire et qu’il prendra fin après un certain temps, c’est-à-dire qu’il y aura un rétablissement (apocatastasis) des démons ou des impies, qu’il soit anathème » (Denz. 411). Cet anathème ne se termine-t-il pas aussi à Ferrare ?
De l’éternité et du caractère définitif du châtiment de ceux qui meurent impénitents parlent aussi les premiers symboles de la foi chrétienne, comme la Fides Damasi (« tourment éternel pour les péchés »), ou l’Athanasienne (« feu éternel »), la formule de soumission du presbytre Lucidus (Synodes d’Arles et de Lyon, « feux éternels et flammes infernales« ), la profession de foi dite Fides Pelagii ( »châtiments du feu éternel et inextinguible« ), le symbole du synode de Tolède en 693 ( »damnation perpétuelle« ), la Définition contre les Albigeois et les Cathares du quatrième concile de Latran ( »châtiment éternel avec le diable”) toutes strictement antérieures à Dante et à Thomas. À quel « avant » l’archevêque se réfère-t-il donc pour étayer ses hérésies ?
Et si nous jetons un coup d’œil à l’« après », nous constatons que l’enseignement de l’Église affirme exactement le contraire des fabulations de Mgr Perego. Dans la lettre Recentiores episcoporum (17 mai 1979), la Congrégation pour la doctrine de la foi avait répondu précisément à certaines questions relatives à l’eschatologie catholique, dont l’enseignement sur le purgatoire et l’enfer, en déclarant que l’Église
« croit qu’un châtiment attend le pécheur pour toujours, qui sera privé de la vision de Dieu […]. Elle croit enfin, en ce qui concerne les élus, à leur éventuelle purification […] entièrement différente du châtiment des damnés. C’est ce que l’Église veut dire quand elle parle de l’enfer et du purgatoire ».
Pas de « retard » à rattraper après la mort : l’Église enseigne donc une peine « pour toujours » pour ceux qui meurent sans se repentir. Cet enseignement est confirmé par le Catéchisme de l’Église catholique, dont Perego, on ne sait trop sur quel critère, estime qu’il soutient plutôt l’idée de l’enfer comme « distance à rattraper » :
« Mourir en état de péché mortel sans s’être repenti et sans avoir accepté l’amour miséricordieux de Dieu, c’est rester séparé de lui pour toujours, par notre propre choix. Et c’est cet état d’auto-exclusion définitive de la communion avec Dieu et les bienheureux qui est désigné par le mot « enfer » » (§ 1033).
Et un peu plus loin, il est répété que « l’Église, dans son enseignement, affirme l’existence de l’enfer et son éternité » (§ 1035).
Il était clair dès le départ que l’archevêque déraillerait vers l’hérésie, lorsqu’il a déclaré que « la justice de Dieu est miséricorde ». La justice est justice et la miséricorde, miséricorde, sans confusion ni absorption, dans une relation mutuelle où il est juste que ceux qui ont accepté la miséricorde de Dieu soient sauvés et juste que ceux qui l’ont rejetée soient lésés. De même, au Paradis, on ne fera que magnifier cette miséricorde, dont même les damnés devront reconnaître qu’elle leur a été offerte jusqu’au bout. Au lieu de radoter sur des enfers vides et des distances récupérables, il vaudrait mieux « simplement » s’inscrire dans le sillage tracé par le Seigneur lui-même :
« Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite, car beaucoup, je vous le dis, essaieront d’y entrer, mais n’y parviendront pas » (Lc 13,13).