Paul Carpenter, chercheur en sciences religieuses à l’École pratique des hautes études, spécialiste des réseaux catholiques franco-américains, a été interrogé dans La Croix sur le soutien d’une partie des catholiques américains à Donald Trump pour la prochaine élection présidentielle et l’influence croissance des jeunes conservateurs catholiques sur la droite américaine.
Comment Trump a-t-il réussi à séduire une partie de l’électorat catholique ?
Au début de sa campagne en 2016, il a eu des difficultés à gagner sa légitimité auprès de la frange chrétienne des Républicains, notamment à cause de sa vie personnelle controversée. Pour compenser, il a adopté une position beaucoup plus ferme contre l’avortement, que n’importe quel candidat républicain avant lui. Cette posture a rassuré la base évangélique et une partie des catholiques. Cela a renforcé son crédit auprès des électeurs pro-vie.
Quels sont les thèmes spécifiques qui rapprochent ou éloignent les catholiques de Trump ?
L’avortement reste le thème le plus complexe et controversé. Il est structurant pour ceux qui considèrent leur foi comme la principale cause politique à défendre, généralement de sensibilité conservatrice. Récemment, Trump a adopté une position plus nuancée sur cette question, ce qui a provoqué des réactions mitigées dans les milieux pro-vie.
La question migratoire est également révélatrice des divisions au sein de l’Église. Les traditionalistes sont plutôt contre l’immigration, tandis que ceux qui suivent la ligne du pape François y sont plus favorables.
Quelle est la position de l’épiscopat américain vis-à-vis de Trump ? A-t-il une influence sur l’opinion des fidèles ?
L’essentiel de l’épiscopat américain se situe dans la lignée de Jean-Paul II et de Benoît XVI : plutôt conservateur mais accommodant avec les principes de la démocratie libérale américaine. Il existe des figures marquantes à gauche, comme l’archevêque de Chicago ou Mgr McElroy à San Diego, et à droite, comme le cardinal Burke ou Mgr Cordileone, l’archevêque de San Francisco. Cependant, l’influence directe de l’épiscopat sur le vote des fidèles semble limitée. Aucun évêque n’a donné de consignes de vote ouvertement.
On a récemment assisté au ralliement à Trump de deux figures catholiques importantes : J. D. Vance, choisi comme vice-président par Donald Trump, et Robert F. Kennedy Jr. Comment faut-il lire ces soutiens ?
Les parcours de Vance et Kennedy sont très révélateurs de l’évolution du catholicisme américain et de sa place dans la société. Ils symbolisent deux ères différentes de l’histoire de l’Église catholique aux États-Unis.
Le catholicisme n’est pas un élément saillant du personnage public de Robert F. Kennedy. Il incarne une approche plus ancienne, très culturelle, dans la filiation de celle de son oncle, John F. Kennedy, premier président catholique américain, qui avait ouvertement déclaré que sa foi n’influerait pas sur ses décisions politiques. C’était l’ère du cafeteria catholicism, un catholicisme très sécularisé où l’on choisissait les aspects de la foi qui nous convenaient.
J. D. Vance, en revanche, représente une nouvelle génération de l’élite catholique. Pour lui, la foi peut directement informer la gestion des affaires publiques. Son parcours est intéressant : issu d’un milieu modeste, il a connu une ascension fulgurante jusqu’à Yale, puis s’est fait connaître par son livre Hillbilly Elegy, dans lequel il se fait le traducteur culturel de l’Amérique profonde pour les élites progressistes, sonnées par l’élection de Donald Trump en 2016. Initialement critique de Trump, il s’est progressivement rapproché de lui.
En 2019, il se convertit au catholicisme. Vance incarne un catholicisme beaucoup plus politisé, qui assume de vouloir transformer la société, s’inscrivant dans ce qu’on nomme « le conservatisme de bien commun ». C’est un changement profond dans la manière dont les catholiques envisagent leur rôle dans la sphère publique américaine.
Il représente aussi un mouvement plus large au sein de la droite américaine : l’émergence d’intellectuels catholiques qui remettent en question les fondements du libéralisme politique. On parle de « post-libéralisme ». Ce courant est particulièrement populaire parmi les jeunes conservateurs, et on observe même des conversions en masse au catholicisme dans certains milieux universitaires conservateurs. […]
Les catholiques ont toujours été influents dans le monde intellectuel américain, mais ce qui est nouveau, c’est leur prédominance dans certains cercles conservateurs. Par exemple, la Heritage Foundation, l’un des think tanks les plus importants de la droite américaine, est maintenant dirigée par Kevin Roberts établissant des liens entre l’ancienne garde de la droite et les milieux post-libéraux.
La jeune droite américaine est aujourd’hui dominée par les intellectuels catholiques. Mais il est important de noter que si cette influence est croissante, elle ne se traduit pas encore nécessairement au niveau de l’état-major de la campagne de Trump, qui compte peu de catholiques. Cependant, des figures comme Vance commencent à occuper des postes clés.
Cette influence se fait particulièrement sentir chez les jeunes générations. Par exemple, parmi les stagiaires des sénateurs républicains, âgés de 20 à 35 ans, une part croissante est constituée de catholiques, et une grande partie d’entre eux est constituée des convertis. C’est une première dans l’histoire des États-Unis.