Dans son article du numéro 159 (Eté-automne 2024) de la revue Catholica, Bernard Dumont évoque la question de la sécularisation et comment l’Eglise doit y faire face :
Il semble que la formule choisie comme titre du premier de ses Carnets de route par Emmanuel Mounier, en 1950, ait pénétré bien des esprits avant même le concile : Feu la chrétienté. Ce fut la période au cours de laquelle « tantôt en douceur, tantôt dans les douleurs, on passa de l’idéologie missionnaire à une idéologie tiers-mondiste. [ … ] Ainsi donc s’était accomplie la métamorphose: de l’établissement de la Cité de Dieu, utopie de la première phase, en passant par la présence de Dieu dans la cité des hommes, objectif de la deuxième phase, on est arrivé à l’aménagement de la cité des hommes ». Au terme du tableau qui vient d’être rapidement dressé, un constat s’impose. La doctrine constante de l’Église concernant la dignité de l’ordre politique naturel et son rapport à la vie de la grâce ne sont plus clairement perçus depuis le changement de paradigme conciliaire. Certes, la liberté de professer la religion du Christ peut être entravée, les persécutions sont même dans sa nature profonde. Mais sa fonction prophétique la conduit à témoigner face au monde, et souvent contre le monde, des exigences et des finalités de l’ordre politique, de la vérité, de la justice, de l’honneur rendu au Créateur. En 1997, les évêques français semblaient encore le professer, dans le rapport présenté par l’un des leurs, Mgr Dagens, intitulé Proposer la foi dans la société actuelle, où l’on pouvait lire : « Nous ne pouvons pas nous résigner à une totale privatisation de notre foi, comme si l’expérience chrétienne devait rester enfouie dans le secret des cœurs, sans prise sur le réel du monde et de la société. Notre Église n’est pas une secte.» En écho inversé, le président de la Conférence des évêques de France, Mgr de Moulins- Beaufort, a été dernièrement amené à préciser sa pensée, de la manière suivante : « S’il y a une question centrale, c’est une question de théologie politique et de rapport au monde. Le décret de Vatican II sur la liberté religieuse est très clair. Le Christ n’est pas venu bâtir des nations catholiques mais il est venu fonder l’Église. Ce n’est pas la même chose. À force de traîner la nostalgie d’un État catholique, on perd notre énergie pour l’évangélisation »
Indirectement, la perte de sens où conduit la sécularisation en son état actuel et la mise en évidence des processus qui l’ont produite impliquent une profonde reconsidération de telles assertions, toute caricature polémique écartée. Et en premier lieu, de se poser la question de la vérité, ou de l’erreur, d’une formule comme celle qui suit, alors adressée au monde plongé dans la guerre mondiale : « De la forme donnée à la société, en harmonie ou non avec les lois divines, dépend et s’infiltre le bien ou le mal des âmes, c’est-à-dire, si les hommes, appelés tous à être vivifiés par la grâce du Christ, respireront dans les contingences terrestres du cours de leur vie l’air sain et vivifiant de la vérité et des vertus morales, ou le microbe morbide et souvent mortel de l’erreur et de la dépravation »