« Réconcilie-loi d’abord avec ton frère ». (Évangile).
La liturgie de ce Dimanche est consacrée au pardon des injures et, comme Dimanche dernier, deux éléments y concourent : la lecture de l’histoire de David qui se continue au Bréviaire et celle d’un passage d’une des Épîtres de l’Apôtre Saint Pierre dont la fête se célèbre à cette époque. La semaine du 5e Dimanche après la Pentecôte était en effet autrefois appelée semaine après la fête des. Apôtres.
Lorsque David eut remporté sa victoire sur Goliath, (v. Dimanche précédent.), Israël revint triomphant dans ses villes et chanta au son des tambourins et des triangles : « Saül a tué ses mille et David ses dix mille ! » Le roi Saül fut alors irrité et la jalousie le mordit au cœur. Il se disait : « Mille à moi et dix mille à David : David est-il donc au-dessus de moi ? Que lui manque-t-il encore, sinon d’être rot à ma place ». Depuis ce jour, il le regarda d’un mauvais œil, comme s’il devinait que David avait été choisi par Dieu. Aussi la jalousie rendit-elle Saül criminel. Deux fois, tandis que David jouait de la harpe pour apaiser ses fureurs, il lança contre lui son javelot et deux fois David évita le coup avec agilité et le javelot alla se fixer en vibrant dans la muraille. Alors Saül l’envoya combattre, espérant qu’il se ferait tuer. Mais David, victorieux revint sain et sauf à la tête des armées(Int., Grad., All., Post). Saül alors s’exaspéra et poursuivit David. Un soir il entra dans une caverne profonde et ténébreuse. Or David s’y trouvait. Un de ses compagnons dit à ce dernier : « C’est le roi : le Seigneur te le livre, voici le moment de le frapper de ta lance ». Mais David répondit : « Jamais je ne frapperai celui qui a reçu l’onction sainte ». Il coupa seulement de son épée un gland du manteau de Saül et sortit. Au jour levant, il montra de loin à Saül le gland de son manteau. Et Saül pleura, disant : « Mon fils David, tu es meilleur que moi ».
Une autre fois encore, David le surprit de nuit en plein sommeil, sa lance fixée en terre à son chevet. Il ne lui prit que sa lance et son gobelet. Et Saül le bénit de nouveau, mais ne continua pas moins de le poursuivre. Plus tard les Philistins recommencèrent la guerre et les Israélites furent défaits. Saül alors se donna la mort en se jetant sur son épée. Quand David apprit la disparition de Saül, il ne s’en réjouit point mais il se déchira les habits, il fit tuer l’Amalécite qui, s’attribuant le prétendu mérite d’avoir tué l’ennemi de David, lui annonça cette mort en lui apportant la couronne de Saül et il chanta ce cantique funèbre : « Montagnes de Gelboé, qu’il n’y ait plus sur vous ni rosée, ni pluie, ni champs de prémices ! Car sur vous sont tombés les héros d’Israël, Saül et Jonathas, aimables pendant la vie et que la mort n’a point séparés l’un de l’autre ».
« Pourquoi, demande S. Grégoire, David qui n’a pas même rendu le mal pour le mal, apprenant que Saül et Jonathas avalent succombé dans le combat, proféra-t-il contre les montagnes de Gelboé ces paroles de malédiction ? En quoi les collines de Gelboé ont-elles donc été coupables de la mort de Saül, pour que, ne recevant plus ni rosée ni pluie, toute leur verdoyante végétation devienne aridité, conformément au souhait de malheur ? Saül, que l’onction n’empêche point de mourir, est la figure de notre Médiateur en son trépas et les monts de Gelboé, nom qui signifie cours d’eau, représentent les Juifs aux cœurs superbes qui s’écoulent en un flux de convoitises terrestres. Le Roi, l’Oint véritable, a perdu la vie du corps au milieu d’eux ; et c’est pour cela que, privés de toute rosée de grâce, ils sont dans la stérilité. Ces âmes superbes ne donnent pas de fruits, car elles demeurent infidèles à la venue du Rédempteur et tandis que la Sainte Église, dès le début, s’est montrée précocement féconde par la multitude des Nations qu’elle a engendrées, c’est à peine si, dans les derniers temps, elle recueillera quelques Juifs ramassés comme une tardive récolte et des fruits d’arrière saison » (2e Nocturne).
Une grande leçon de charité se dégage de toutes ces considérations, car comme David a épargné son ennemi Saül et lui a rendu le bien pour le mal, Dieu pardonne aussi aux Juifs puisque, malgré leur infidélité, il est toujours prêt à les accueillir dans le royaume dont le Christ, leur victime, est le roi. On comprend dès lors la raison du choix de l’Épitre et de l’Évangile de ce jour qui prêchent le grand devoir du pardon des injures. « Soyez donc unis de cœur dans la prière, ne rendant point le mal pour le mal, ni l’injure pour l’injure », dit l’Épitre. « Si tu présentes ton offrande à l’autel, dit l’Évangile, et que tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande devant l’autel et va d’abord te réconcilier avec ton frère. » — David, oint roi sur Israël par les vieillards à Hébron, prit la citadelle de Sion, qui devint sa cité, et y plaça l’arche de Dieu dans le sanctuaire (Com.). Ce fut la récompense de sa grande charité, cette vertu indispensable pour que le culte rendu par tes hommes dans ses saints parvis soit agréé de Dieu (id.) Et c’est pour cela que l’Épître et l’Évangile remarquent que c’est surtout lorsque nous nous réunissons dans la prière qu’il faut que nous soyons unis de cœur.
Sans doute, comme le montrent l’histoire de Saül et la messe d’aujourd’hui, la justice divine a ses droits, mais, si elle exprime une sentence qui est un jugement final, ce n’est qu’après que Dieu a vainement épuisé tous les moyens inspirés par son amour. Le meilleur moyen d’arriver à posséder cette charité, c’est d’aimer Dieu, de désirer les biens éternels (Or.) et la possession du bonheur (Ép.) dans les palais célestes (Com.) où l’on n’entre que par la pratique continuelle de cette belle vertu.
Dom Gaspar Lefebvre, osb