Paix Liturgique continue sa série de portraits d’évêques hétérodoxes ou plus encore, en Belgique et ailleurs, avec Mgr Terlinden, archevêque de Bruxelles-Malines depuis peu, primat de Belgique et préposé à l’enterrement de première classe d’une église belge en très grand déclin, voire en quasi-extinction.
“Tout juste nommé archevêque de Bruxelles-Malines, le 22 juin 2023, et donc propulsé à la tête de l’Église catholique en Belgique (primat de Belgique, grand chancelier de l’Université catholique de Louvain-la-Neuve et de la Katholieke Universiteit Leuven et élu en outre président de la Conférence épiscopale de Belgique), Mgr Luc Terlinden, ex-vicaire général du même diocèse, poulain des très progressistes cardinaux Godfried Daneels (décédé en 2019) et Jozef de Kesel, a été adoubé par les médias et les globalistes comme celui qui apporterait un « coup de jeune » à l’Église catholique en Belgique. Ce fut bien le cas, c’est-à-dire qu’il préside désormais les évolutions « jeunes », autrement dit mortifères engagées dans le diocèse de Maline-Bruxelles et dans Belgique en général.
Mgr Terlinden, francophone, succède selon l’usage à un néerlandophone, Mgr de Kesel (auparavant : Mgr Léonard, francophone, qui succédait au cardinal Danneels, néerlandophone). Le nouvel archevêque fait partie des Fraternités sacerdotales Charles de Foucauld et depuis son enfance, il fréquente assidument le scoutisme. Il a choisi comme devise épiscopal : Fratelli tutti.
Terlinden, un petit Danneels
A peine nommé, il donne des gages en déroulant son programme dans Vatican News : Faut-il s’attendre à une rupture avec le très progressiste cardinal De Kesel? Non, car Mgr Terlinden partage «beaucoup de son analyse, notamment sur la place de l’Église dans la société d’aujourd’hui et de sa mission». Il faut rappeler que son mentor Josef de Kesel avait mis en place en 2022 avec les autres évêques flamands dont Mgr Bonny (Anvers) une liturgique pour bénir les couples de même sexe.
Mais il reconnaît avoir «des accents propres», à savoir « une expérience pastorale sur le terrain » et toc, pour de Kesel). Son ministère, Mgr Terlinden l’assumera dans le contexte d’une société belge beaucoup plus sécularisée, et d’une Église «beaucoup plus humble» mais qui a «pourtant sa place».« On sera crédible, comme le dit Charles de Foucault, si l’on développe un apostolat de la bonté, si l’on se montre fondamentalement bon, fidèles à l’Évangile, tout en ne masquant pas notre message et ses exigences» estime-t-il. «Notre crédibilité passera par cet accord entre ce que nous disons et ce que nous faisons», insiste-t-il.
Dans Dimanche, Vincent Delcorps commente ainsi sa nomination : « Une chose est certaine : la nomination de Luc Terlinden est un signal fort du pape François. Un double signal même. Le pape donne sa bénédiction au style largement adopté par l’Église de Belgique depuis plusieurs décennies. Un style qui se caractérise par une proximité avec l’Évangile, mais aussi par de l’humilité, de l’ouverture, une volonté de dialoguer avec la société – et de se laisser interpeller par elle. Entre Godfried Danneels, Jozef De Kesel et Luc Terlinden, la filiation est évidente. C’est toute cette lignée qui se voit aujourd’hui saluée. » Quant à Mgr André Léonard il subit une damnatio memoriae : le pauvre primat de Belgique, ratzinguérien s’il en fût, qui recevait une tarte au plâtre sur la figure lors de chacune de ces conférence, a-t-il vraiment existé ?
La lignée qui est saluée par le pape est celle de la faillite de l’Église belge – début 2024 il reste 32 séminaristes pour toute la Belgique, 15 pour les cinq diocèses flamands et 17 pour les diocèses wallons, alors qu’en 2000 le seul diocèse de Namur comptait 30 séminaristes. En 1957, juste avant le Concile Vatican II il y avait 1485 séminaristes en Belgique. La vie consacrée s’est aussi effondrée, avec un âge moyen de 80 ans pour les religieux début 2024.
À l’occasion de son ordination épiscopale, comme on dit aujourd’hui (si on est classique, on dit « consécration », et si tradi, « sacre »), Mgr Luc Terlinden a désigné son modèle, non pas un prêtre-ouvrier, mais un curé-ouvrier (ça se fait en Belgique), Émile Vandenbussche (1930-2014) comme son modèle, ce qui, du point de vue de la vie spirituelle n’était au reste pas un mauvais choix : l’abbé Vandenbussche était une figure semblable à celle du P. Loew, en France. Né le 27 juin 1930 à Anderlecht, Émile Vandenbussche fait partie des dernières grandes « années d’ordination » du séminaire archidiocésain, alors unitaire [unique pour les flamands et les wallons]. La tradition voulait que les premiers du collège choisissent la prêtrise diocésaine. Le cardinal Van Roey l’a ordonné prêtre le 26 décembre 1955. Bruxellois typique, il a travaillé dans l’aumônerie paroissiale bruxelloise tout au long de sa carrière sacerdotale.
D’abord comme vicaire paroissial au Sacré-Cœur à Anderlecht (1955-1959), puis à Sainte-Alène à Saint-Gilles (1959-1964). En 1963, il est chargé de fonder une nouvelle paroisse dans les quartiers populaires de Saint-Gilles. À l’époque, il y avait beaucoup de pauvreté et le quartier était caractérisé par l’arrivée d’étrangers, un phénomène nouveau à l’époque”, raconte Mgr Herman Cosijns, qui l’a bien connu.
Il y a construit une église moderne en solidarité avec les travailleurs espagnols et portugais. Il était important pour lui de valoriser les personnes vivant dans ces conditions. La paroisse a été baptisée Jésus-Travaileur/Jesus Worker, un nom spécial. « Émile Vandenbussche était postconciliaire, mais ne pouvait être qualifié de progressiste. (…) C’était un homme de prière et de foi vécue, un véritable homme intérieur qui vivait de sa vie de prière. »
En 1981, Vandenbussche est nommé doyen de Schaerbeek-Nord et curé de Saint-Servais ; non pas le Schaerbeek bourgeois, mais les quartiers ouvriers métissés, bientôt connus et reconnus pour les problèmes causés par la concentration de nouveaux arrivants. De 1976 à 1983, il est en même temps responsable de la formation pastorale au séminaire diocésain. A partir de 2000, devenu aveugle, il se retira dans une maison de retraite.
Mais surtout, lors de son installation comme archevêque de Malines-Bruxelles, Mgr Luc Terlinden a rendu hommage à un autre soutien, particulièrement controversé depuis quelques mois outre-Quiévrain, pour avoir mal géré des affaires de pédophilie : « Je veux remercier mes prédécesseurs qui, chacun avec son charisme propre, ont été de véritables bergers. Je pense en particulier au cardinal Godfried Danneels, qui s’est engagé avec passion pour Dieu et pour les hommes, et qui reste pour moi un exemple. »
Comme le rappelle Benoit et Moi le 25 janvier 2024, « la Conférence épiscopale belge, aujourd’hui présidée par Mgr Luc Terlinden, a été dirigée pendant dix-huit ans, de 1961 à 1979, par le cardinal Leo Jozef Suenens [on dit normalement Léon-Joseph Suenens], puis pendant plus de trente ans, de 1979 à 2010, par le cardinal Godfried Danneels (1933-2019). Le cardinal primat de Belgique, Léon-Joseph Suenens (1904-1996), a été le fer de lance de la protestation contre l’encyclique Humanæ vitæ de Paul VI en 1968. Quand Suenens a pris sa retraite en 1979, il a nommé comme successeur l’archevêque, qu’il a consacré, Godfried Danneels, qui a poursuivi sa ligne ultra-progressiste.
Le cardinal Danneels, archevêque de Malines-Bruxelles, a été le principal dirigeant de ce groupe, appelé la « mafia de Saint-Gall », qui a soutenu la candidature de l’archevêque de Buenos Aires Jorge Mario Bergoglio lors de deux conclaves. Il a échoué en 2005, il a réussi huit ans plus tard, en 2013. Au total, entre Suenens et Danneels, l’Église belge a été dirigée pendant cinquante ans par deux cardinaux qui l’ont dévastée. »
Or, l’attitude du cardinal Danneels, décédé en 2019, mais mis en cause en 2010 – son domicile et son palais archiépiscopal sont fouillés, son ordinateur est saisi mais il échappe à l’inculpation – notamment pour ne pas avoir encouragé l’évêque de Bruges Mgr Roger Vangheluwe à démissionner suite aux abus qu’il a commis, est à nouveau attaquée frontalement par les médias flamands à travers le documentaire Godvergeten qui met à nu l’important rôle qu’il a joué des années durant pour dissimuler la pédophilie et les abus au sein du clergé belge.
La « révélation » par la télé flamande d’un « trafic » portant sur 30.000 enfants « arrachés » à leurs mères isolées entre 1945 et 1980 pour être confis pour adoption à des familles, sous la houlette de congrégations religieuses qui s’occupaient de la protection de l’enfance, a permis aux parlementaires belges d’investiguer eux-mêmes sur les abus sexuels du clergé, dans l’optique notamment de réduire les financements publics du culte catholique.
Pour le lobby LGBT dans l’Église, ma non troppo
Comme vicaire général du diocèse de Malines-Bruxelles il avait mis en œuvre en 2022 la liturgie inventée par les évêques flamands, le cardinal Jozef de Kesel en tête, pour bénir les couples de même sexe.
Comme le rappelle La Porte latine, ce processus est conduit par un homosexuel : « Le communiqué a coïncidé avec la mise en place d’un « point de contact » intitulé « Homosexualité et foi » inclus dans le service interdiocésain de la pastorale familiale. Ce « point de contact » a été placé sous la responsabilité de Willy Bombeek, porte-parole de l’enseignement catholique en Flandre de 1999 à 2017, qui a coordonné la mise en place d’un groupe de travail sur le sujet.
Ce Bombeek affirme que « l’expérience sexuelle est aussi un droit pour les LGBT dans la mesure où elle se déroule au sein d’une relation fidèle et durable » : revendication qu’il a présentée au cardinal De Kesel en février 2020. Bombeek ne se cache d’ailleurs pas. Il a qualifié l’initiative de « révolutionnaire ». Il a ainsi déclaré : « Je suis moi-même croyant et homosexuel. C’est pourquoi les évêques m’ont demandé d’assumer cette mission. Je pense qu’il est important que l’Église ait spécifiquement voulu nommer un croyant LGBT à ce poste. »
La conférence épiscopale belge qu’il dirige a bien entendu soutenu Fiducia Supplicans qu’elle avait anticipée – c’est une des rares avec celles d’Allemagne et d’Autriche. Mais Mgr Terlinden ne s’est jamais exprimé directement, laissant le très pro-LGBT Mgr Bonny, d’Anvers, laisser éclater sa joie, ainsi que le porte-parole du cardinal Jozef de Kesel, Mgr Geert de Kerpel : « Il s’agit d’une très grande avancée parce qu’elle émane de l’organe suprême de l’Église et parce qu’elle dit aussi explicitement que les couples de même sexe peuvent donc recevoir la bénédiction. (…) Comme les évêques flamands se sont prononcés en faveur de cette mesure, elle était déjà possible ici en Flandre. Le fait que le Vatican confirme maintenant cette position est une grande aide. Et pour l’ensemble de l’Église mondiale, c’est un grand pas en avant. »
Il faut cependant remarquer que, fait étrange pour un évêque si progressiste, il est rigoureusement absent du moteur de recherche du lobby catholique pro-LGBT américain New Ways Ministries. C’est que sa position en ce domaine reste prudente. Elle ressemble un peu à sa position « modérée » au sujet de l’avortement. Le 24 juin 2023, il déclarait dans La Libre Belgique, dans une interview menée lors de sa nomination : « On ne peut pas banaliser l’avortement. Je dis cela à titre personnel, non pas pour condamner ou ramener à la maison, mais parce que j’ai rencontré trop de personnes, mères et médecins, qui souffraient de grandes souffrances liées à un avortement. Cependant, notre parole ne sera crédible que si nous nous rapprochons des réalités les plus douloureuses. Cela n’aurait aucun sens de s’opposer à l’avortement si nous ne nous engageons pas concrètement à soutenir les mères qui rencontrent des difficultés dans leur grossesse. »
Ordonner des hommes mariés, mais pour quels fidèles ?
A peine nommé, Luc Terlinden a affirmé être favorable à l’ordination d’hommes mariés, sous prétexte que c’est la pratique dans les Églises chrétiennes orientales : « Dans les Églises d’Orient, ils connaissent aujourd’hui des prêtres mariés et des prêtres célibataires et ils y voient une richesse. Je crois qu’on a à gagner à accueillir cette expérience. »
Le 24 juin 2023, il plaide pour « plus de transparence » dans la prise de décision de l’Église sur le célibat sacerdotal : « Face à la question de l’ordination des hommes mariés, on ne peut pas partir avec des a priori en disant ‘jamais cela ! » Il récidive en juillet sur RTL Belgique : « il n’est pas question de faire sécession [avec Rome], mais ce sont des questions sur lesquelles on peut parler », tout en reprenant l’argument des Églises orientales.
Très logiquement ce point de vue est repris par les évêques de Belgique qui ont signé mi-février 2024 une proposition pour la deuxième session du synode sur la synodalité, à l’automne prochain, où ils font litière des positions traditionnelles de l’Église sur le sacerdoce en plaidant au contraire pour l’ordination des femmes et d’hommes mariés.
Comme l’explique alors Riposte Catholique, « les évêques de Belgique estiment que “l’’ordination des ‘viri probati’ ne doit pas être universellement obligatoire ou interdite”. Malgré cette phrase alambiquée, c’est bien la remise en cause du célibat des prêtres que les évêques belges proposent dans le cadre de la prochaine assemblée générale du synode sur la synodalité. La proposition a été émise dans le cadre d’“un projet de texte dans lequel ils formulent trois priorités” qui seront “à discuter au niveau de l’Église universelle”.
On notera aussi des affirmations filandreuses ou sirupeuses : “l’Église devrait avoir le courage de mettre sa Tradition/ses traditions en conversation avec les connaissances actuelles de la recherche théologique, philosophique et scientifique.” Elles “ne doivent pas être abordées de manière statique mais dynamique”. Enfin, les évêques plaident aussi pour la mise en place d’un diaconat féminin. »
Et début mars, Luc Terlinden affirme, toute honte bue, sur RCF, que ces propositions ultra-progressistes sont en réalité… traditionnelles ! Il suffit pour cela de déformer la notion du mot Tradition, en inventant la « tradition vivante » qui se plie à toutes les idées bien en cours et aux lobbies : « ordonner des hommes mariés cela se fait depuis 2000 ans dans l’Église orientale et le diaconat féminin a existé dans le temps. De ce point de vue, ce n’est pas progressiste. Ce n’est pas très progressiste, c’est redécouvrir ses traditions. »
Mais des prêtres mariés pour desservir quels fidèles ? Le rapport annuel de 2018 de l’Église catholique en Belgique laissait entendre la disparition à court terme de la vie monastique dans la partie flamande du diocèse de Maline-Bruxelles : « Dans le Brabant flamand et à Malines seuls 5.5% des religieux ont moins de 60 ans. » Le diocèse comptait alors 629 paroisses (sur un total de 3846 en Belgique – elles sont 3613 en 2022), 131 employés laïcs – près de la moitié des 278 employés des diocèses belges. En 2021 le même diocèse compte 431 prêtres pour 573 paroisses, 1280 religieux et 1204 religieuses majoritairement âgés de plus de 80 ans. En 2009 le même diocèse comptait 629 prêtres (et la Belgique, 3659 au total).
En janvier 2023, comme vicaire général du diocèse de Maline-Bruxelles il affirmait que même dans le diocèse de la capitale, l’Église devra réduire le nombre de messes et de paroisses, comme le relève Belgicatho : « l’Église devra choisir ses fronts, note en substance Luc Terlinden, vicaire général de l’archidiocèse de Malines-Bruxelles. La réflexion sur l’organisation des paroisses ira donc de pair avec une lente, mais “inéluctable”, réduction du nombre de clochers. Le système des unités pastorales qui regroupent quatre ou cinq clochers est transitoire. Bien que trouver une nouvelle affectation pour un lieu de culte ne soit pas toujours facile, “certains fermeront et nous allons vers la mise en avant de plusieurs grands pôles missionnaires. Nous ne pourrons plus tenir le maillage territorial qui s’est tissé ces derniers siècles. »
Il ne restera donc plus que quelques ultimes paroisses, dont les curés seront de braves catholiques, des retraités pour la plupart, qui se seront fait ordonner prêtres.
Tout le monde sait très bien que, depuis 1945, nous subissons les conséquences d’une crise anthropologique et civilisationnelle, ou les répercussions d’une mutation sans précédent, en ce qui concerne les motivations et les priorités, notamment culturelles et sociétales.
L’Eglise catholique est l’une des victimes de cette aggravation de la sécularisation par la post-modernité, mais le fait est que bon nombre de cardinaux et d’évêques voudraient que l’Eglise catholique soit puis reste une victime complaisante et consentante de cette mutation.
Et comme ces clercs savent pertinemment qu’ils n’ont aucun compte à rendre, en direction des fidèles, c’est la moindre des choses qu’ils s’en donnent à coeur joie pour faire éluder ou occulter un échec, celui du Concile, et une faillite, celle de l’après-Concile, au moyen d’un pontificat porteur de thématiques particulièrement propices à une attitude acritique, car amnésique, de bien des fidèles, face aux pontificats situés entre la fin des années 1950 et le début des années 2020.