Dans sa dernière lettre aux Amis du Monastère, Dom Louis-Marie, abbé de Sainte-Madeleine du Barroux, évoque ce temps de Carême pour lequel il nous faut conserver la clef qui ouvre les portes du ciel :
Un accident est vite arrivé. Récemment, un Frère de la communauté est allé broyer des branches dans les bois. Et tout à coup, il aperçut une petite lanière jaune sortir de la terrible machine. Son cœur s’est arrêté un instant. Terrifié, il a mis la main à la poche. Les clés n’étaient plus là. Il a fallu qu’il se rende à l’évidence. Ses clés, autrefois liées à cette lanière jaune, avaient dû s’agripper à une branche, puis étaient passées dans le broyeur. Et quelles clés ! Des clés qui ouvraient toutes les portes du monastère. Le Frère imprudent ne pouvait plus désormais entrer dans le cloître. Il a passé la journée suivante à remuer en vain le tas de broyats. Son chef d’emploi lui raconta qu’un jour un râteau était passé dans le broyeur, et qu’il en était ressorti de la limaille.
Ce petit accident n’est pas grave, mais il peut nous donner une leçon de vie beaucoup plus décisive. Notre-Seigneur lui-même a, en effet, parlé des clés du royaume de Dieu, car le royaume peut être ouvert ou fermé. Voulons-nous vraiment entrer dans ce royaume ? Quelle est cette clé qui ouvre les portes de la vie éternelle ?
Le carême est un temps propice à la recherche de cette clé. Un temps au cours duquel il est bon de retourner le tas de notre vie turbulente afin de chercher et chercher encore.
Évidemment, personne ne rentre dans le royaume de Dieu avec une clé matérielle. Mais c’est quand même une clé objective. Nous ne pourrons pas prétendre entrer uniquement avec de bons sentiments ou des excuses, ou pis encore, avec des récriminations victimaires. Le Seigneur nous a montré le chemin, et la clé universelle qui ouvre toutes les portes du royaume est d’imiter son exemple par des actes concrets, et de s’entraîner à lui ressembler de plus en plus. La clé est là. La clé se forme petit à petit par la conversion, par un changement de comportement et par l’acquisition des vertus. Le carême n’est pas seulement un temps de pénitence. C’est aussi un saint temps de purification, comme le dit saint Benoît, où l’on répare ses infidélités de l’année. Mais c’est surtout un « temps d’entraînement » comme le soulignait Pie XII dans l’admonition aux fidèles de la sainte Nuit de Pâques, avant le renouvellement des promesses du baptême.
Le carême donne une orientation à toute notre vie. Avec l’aide de la grâce de Dieu, la sainte quarantaine offre l’opportunité de former en nous la clé du royaume. Et vous savez que pour faire une clé il est bien nécessaire de la passer à la meule !
Alors courage, chers amis ! Prenez de bonnes résolutions. Comme les années passées, je vous livre quelques conseils tirés de la Règle de saint Benoît. Choisissez un livre spirituel que vous vous engagerez à lire en entier avant Pâques. Écrivez sur une belle feuille vos résolutions de prières, de jeûne, d’aumônes afin de vous les rappeler si, ce qu’à Dieu ne plaise, vous les négligiez.
N’oubliez pas que Dieu réalise en votre cœur la clé du royaume, et tout particulièrement au cours de ce saint temps. Croyez que vous pouvez changer. Sachez que vous changerez le monde d’abord en changeant votre propre cœur. Et sachez que cette clé n’est pas que pour vous. C’est une clé qui pourra servir à d’autres, à tant d’autres qui veulent si peu se convertir au Seigneur ou qui veulent convertir le Seigneur au monde.
La reine Esther se prépara deux fois avant de se présenter devant le grand roi Assuérus. La première fois, ce fut lors de la grande élection de la nouvelle reine. Elle usa pendant une année de crèmes et d’onguents. La deuxième fois, ce fut au moment d’intercéder en faveur de tout son peuple : elle se prépara par le jeûne, la pénitence et la prière. Le Saint-Esprit lui-même dit que jamais elle ne fut plus splendide. Sa beauté conquit le grand roi, qui l’exauça. Et la clé de la reine magnifique devint alors un « passe général »…
Dom Louis-Maeie, osb, abbé