Pierre de Lauzun est un financier, haut fonctionnaire français qui a eu plusieurs fonctions des ministères, dans des banques ou des associations professionnels. Il est aujourd’hui engagé dans différentes associations catholiques. En 2020, il avait publié un article dans la revue dans la Revue thomiste sur saint Thomas d’Aquin et l’économie.
L’objet de cet article est de faire le point sur les passages de saint Thomas qui visent des questions que nous voyons de nos jours comme économiques, et d’examiner quelles leçons peuvent en être tirées. Il va de soi que cette catégorie n’existait pas comme telle du temps de Thomas. En outre, l’état d’avancement de l’économie était bien sûr éloigné de ce que nous connaissons depuis, ce qui limitait la contribution qu’il lui était possible d’apporter. En revanche, comme on le verra, il a apporté sa pierre de façon significative dans l’immense effort alors accompli par la scolastique, posant les bases de ce qui sera plus tard l’économie politique….
Un point préalable. L’économie a pour objet ce qu’on appelle des biens, vus sous l’angle des moyens à déployer pour les produire ou les obtenir, ce qui suppose qu’on les désire d’une façon ou d’une autre, en les intégrant à un ordre de fins. Or saint Thomas distingue trois sortes de biens, en relation avec l’homme : le bien honnête (aimé en lui-même et pour lui-même, la vérité par exemple), le bien délectable, et le bien utile. Ce dernier est recherché en vue d’un autre bien, de façon instrumentale ; parmi eux, on trouve notamment les biens nécessaires à notre vie matérielle. Ces biens ne sont que des auxiliaires dans la mesure où l’abondance matérielle ne peut être la fin ultime de l’homme. Les biens matériels relèvent de l’analyse économique. Si pour chercher Dieu je vais faire une retraite dans un monastère, donc en vue du bien par excellence, je vais déployer des moyens économiques : train, frais de séjour, achat de livres etc. Ce n’est pas le bien visé qui entre dans le champ de l’économie : ce sont les biens utiles qui sont légitimement recherchés pour l’obtenir. Ceci éclaire la tentation que l’économie peut exercer : la considération exclusive de ces biens utiles, voire surtout la considération de tous les biens comme si c’étaient des biens utiles. On rappellera ici le rôle central de l’utilitarisme dans le champ de l’économie…
Trois familles de thèmes économiques font l’objet d’analyses de saint Thomas : 1) des notions générales ayant une dimension économique (la propriété, la justice, le travail), 2) la question de la justice des échanges, 3) la question du taux d’intérêt ou usure. Ces analyses ont un objectif fondamentalement normatif, mais elles ont le mérite d’étudier les faits économiques sous-jacents, avant de se prononcer sur le plan moral. La notion de justice est au centre de cette réflexion.