L’Union Lex Orandi a publié récemment une analyse de l’Instrumentum Laboris (à télécharger ici). Son président, Philippe Darantière, a été interrogé dans L’Homme Nouveau. Extraits :
Votre collectif vient de publier un guide de lecture de l’Instrumentum Laboris (IL), l’outil de travail, destiné à la première session du Synode. En quoi cela vous paraissait-il nécessaire et à qui est-il destiné ?
Il a nous a semblé nécessaire qu’un travail collaboratif soit mené pour essayer de dégager les aspects les plus problématiques du processus synodal. L’intention était de pouvoir le communiquer aux évêques français – Mgr Joly, Mgr Eychenne, Mgr Rougé et Mgr Bertrand– élus par la Conférence des évêques de France pour assister à la première session plénière à Rome. Nous avons donc envoyé un exemplaire aux quatre évêques français et à Mgr Aveline, invités par le Pape. Nous avons choisi de nous adresser exclusivement aux évêques et non pas aux autres personnalités invitées au synode, même ayant le droit de vote, car étant les successeurs des apôtres c’est à eux que revient la charge d’exprimer la foi traditionnelle de l’Eglise.
Ce guide de lecture est également mis à la disposition des membres du clergé, des religieux mais aussi des fidèles. De nombreuses personnes ont été surprises en juin dernier, au moment de la publication du document, et la presse a rapidement réagit comme Jean-Marie Guénois pointant dans Le Figaro les propositions les plus radicales émises dans l’IL. Ces propositions s’avèrent d’ailleurs être plus une direction imposée qu’une série d’interrogations et portent davantage sur le « comment faire » plutôt que sur la justification ou bien la cohérence avec le magistère traditionnel de l’Eglise.
Vous dites que « l’IL ne reprend pas la tradition des synodes ». En quoi se différencie-t-il ?
L’articulation du processus synodal en étapes diocésaines, nationales puis continentales pour aboutir à l’Assemblée générale en deux sessions en 2023 et 2024 est une première différence. La nouvelle composition de cette assemblée synodale comprenant aujourd’hui « non-évêques » avec droit de vote, soit des membres du clergé, des religieux et des laïcs, s’oppose par ailleurs au principe même d’un synode d’évêques érigé par Paul VI dans Apostolica sollicitudo (Motu proprio de 1965) et confirmé sous Jean-Paul II dans le code de droit canon de 1983.
En outre, les synodes tels qu’ils ont été conçus jusqu’à présent avaient pour objet de traiter d’une question doctrinale ou pastorale, alors que celui-ci se donne pour mission de restructurer entièrement l’Église pour la transformer en une église synodale.
L’objet même de ce Synode représente-t-il donc une rupture avec l’enseignement traditionnel de l’Eglise ?
Oui, l’Église a une constitution hiérarchique instituée par le Christ lui-même lorsqu’il a confié à saint Pierre son église. Il a confié aux apôtres et à leurs successeurs des missions précises, en particulier celle de perpétuer les sacrements qu’il avait institués. Les propositions faites dans l’IL sur une église venant du bas, avec une hiérarchie devant être apprenante du peuple de Dieu renversent complètement l’ordre hiérarchique qui est pourtant de source divine.
Le terme « synodalité » est omniprésent dans les documents officiels. Comment le définiriez-vous et que révèle-t-il du processus synodal ?
Dans le terme de synodalité, utilisé plus de 100 fois dans l’IL, il y a plusieurs aspects ambigus. Le terme existe depuis longtemps, et dans la plus haute antiquité les synodes avaient une fonction quasi équivalente à celle des conciles. Dans les premiers siècles de l’Église, les deux termes étaient utilisés pour une même réalité. Les églises orientales ont d’ailleurs gardé une structure synodale. Pour l’Église latine l’évolution s’est faite de façon différente avec des conciles généraux et des conciles à vocation œcuméniques, plus espacés dans le temps.
Il y a dans le Synode actuel, la reprise d’une perspective globale échappant à la structure établie par Paul VI. Il s’agit de faire reposer l’Église catholique sur le principe d’un fonctionnement synodal. Cette configuration intègre dorénavant le peuple des baptisés, la terminologie est donc abusive car historiquement aucun synode n’a été constitué par les fidèles eux-mêmes. Seule la hiérarchie de l’Église était réunie en Synode.
La « conversation dans l’esprit » est la nouvelle méthode de discussion du Synode. Elle vous semble inspirée de ce qu’on appelle la « dynamique des groupes ». Quel est ce procédé et quels en sont les risques ?
Il y a effectivement dans cette méthode des aspects très troublants. Elle est censée permettre au Synode de « se déployer » mais elle peut exercer une forme de pression sur les participants. Le processus permet à chacun de s’exprimer librement, et tous doivent accueillir en silence sans émettre de jugement ou bien débattre. Ensuite, un autre tour de table consiste à faire s’exprimer les participants sur ce qu’ils ont retenus des différentes interventions, tout ceci étant destiné à aboutir à un consensus. L’orientation générale de ces discussions est celle du changement collectif.
Une expression dans l’IL dit bien que s’il n’y a aucun pas en avant dans une direction précise, souvent inattendue, menant à une action concrète, il ne s’agira pas d’une conversation dans l’Esprit. Ils décrètent, à la place de l’Esprit Saint avant même qu’il se soit manifesté, que le critère de sa présence dans les débats est l’action, la transformation. Il n’est pourtant pas du tout acquis que l’Esprit Saint ait pu provoquer ce changement.
Ensuite, il y a des mécanismes psycho-sociaux mis en œuvre s’apparentant aux techniques de dynamiques de groupes mises en relief par le psychologue américain Kurt Lewin (1890-1947). Ce sont des techniques visant à influencer le fonctionnement d’un groupe social. L’enjeu est de promouvoir des changements selon une méthode non directive, diminuant les résistances. Il repose sur notamment des effets de conformité. Face à la difficulté de défendre un point de vue divergent de celui du groupe, l’effet de conformité agit par la recherche de sécurité de l’individu, qui finit par se conformer à l’opinion générale émise plutôt que de risquer le rejet du groupe.
Même s’il y a ce présupposé de l’action de l’Esprit Saint dans une assemblée de membres de l’Église, ce qui est en soi parfaitement louable, il ne faut pas oublier l’exemple de saint Athanase (296-373). Ce Patriarche d’Alexandrie a fait l’objet de trois condamnations d’assemblées d’évêques sous l’influence de l’arianisme alors que lui-même était champion de l’orthodoxie de la foi catholique. Un seul avait raison contre tous. Le processus synodal, avec ou sans conversation dans l’Esprit, n’est donc pas le gage d’un magistère authentique.