Mgr Christophe Pierre, 77 ans, est l’autre Français qui vient d’être créé cardinal par le pape François. Il a travaillé pour le Saint-Siège dans neuf pays du monde, dont les États-Unis, où il est toujours nonce apostolique, à la suite de Mgr Vigano. Il a été interrogé dans le Figaro :
[…] Ce pape argentin donne l’impression de ne pas faire de différence entre l’immigration entre le sud et le nord du continent américain et les migrations africaines vers l’Europe et la question sous-jacente de l’islam…
Cela fait quinze ans que les gouvernements tentent de mettre en place une politique migratoire sans y parvenir, mais il y a aussi un problème de maturité politique vis-à-vis du registre d’intervention du pape. Il faut que nous nous efforcions de voir le pape et ce qu’il dit dans son propre registre et non selon une catégorie politique. Sur l’immigration, il alerte les consciences en disant aux politiques : « Vous ne pouvez pas laisser mourir des gens en mer ». Il faut que les politiques considèrent ses interventions pour ce qu’elles sont et non comme celles d’un homme politique.
La France, où la laïcité est souvent crispée, a-t-elle quelque chose à apprendre des États-Unis, où la religion fait partie intégrante de la culture ?
Là-bas, les catholiques se sont battus pour obtenir la liberté religieuse dans un contexte d’oppression. La jurisprudence de la Cour suprême tient d’ailleurs toujours la liberté religieuse comme un concept fondamental alors que, en France, la laïcité s’est construite comme un concept négatif contre l’influence de l’Église catholique. Vu des États-Unis, il semble que l’Église de France oublierait la joie de l’Évangile. Les fidèles en ont assez de nos problématiques qui laissent penser que l’Église est définitivement condamnée parce que certains prêtres sont des pédocriminels. Il y a toujours le risque de penser qu’un problème particulier sera résolu en changeant les structures de l’Église. Il me semble que le pape François estime que l’enjeu du synode est de permettre aux personnes et aux églises de retrouver la joie de l’Évangile, la clé de tout.
Pourquoi François semble-t-il mal compris aux États-Unis ?
Il ne faut rien exagérer. Permettez-moi de vous donner une réponse à plusieurs niveaux. Il faut bien reconnaître qu’il n’est pas facile pour un Nord-Américain de comprendre l’Amérique latine, sa culture et sa diversité. Il y a beaucoup de préjugés. Il est vrai que certains pensent que, parce qu’il est latino-américain, le pape François ne comprend pas les États-Unis. En réalité, cela n’est pas vrai. Ensuite, il faut saisir que l’Église catholique américaine a dû se construire avec des personnes qui voulaient partager le rêve américain où l’objectif était essentiellement d’avoir une vie meilleure, marquée par la réussite et l’argent.
Il faut reconnaître que l’Église a eu aux États-Unis, en deux siècles, une croissance phénoménale. Regardez le nombre d’églises et de structures d’éducation et de santé : 230 universités catholiques, un réseau d’écoles à tous les niveaux. Les catholiques sont extrêmement généreux, pas seulement pour eux-mêmes mais pour les pauvres, qu’ils assistent chez eux et dans le monde entier. Cependant, cela n’empêche pas le progrès de la sécularisation et la difficulté d’évangéliser aujourd’hui dans un contexte d’une culture qui change. Le pape voit ce problème avec beaucoup de lucidité. Il est vrai que, parfois, il n’est pas compris. Sur ce plan, il me semble que les catholiques américains doivent l’écouter et comprendre. Tel est d’ailleurs l’essentiel de mon effort comme nonce apostolique.