Dans Sedes Sapientiae, l’abbé Díaz-Patri répond, dans un article de 16 pages, à des questions soulevées par le motu proprio Traditionis Custodes : en 1570, saint Pie V a-t-il imposé un missel unique ? Le missel romain a-t-il connu dans l’histoire la coexistence de diverses « formes » ? Une enquête aux résultats surprenants.
Qui est l’abbé Díaz-Patri ? Né à Buenos Aires, licencié en philosophie, l’abbé Gabriel Díaz-Patri a fait des études de lettres classiques et médiévales. Il s’est spécialisé dans la musicologie et l’étude des liturgies latine, arménienne et russe notamment. Installé en Europe depuis plus de vingt ans, il a occupé pendant de nombreuses années la charge de curé de la paroisse catholique russe de la Sainte Trinité à Paris. Il prépare actuellement un livre sur les différentes éditions du missel romain, avant et après l’édition de saint Pie V en 1570, fruit de recherches menées depuis près de quinze ans.
Le motu proprio Traditionis Custodes du pape François, restreignant drastiquement l’usage de la liturgie traditionnelle, a soulevé un débat. Certains théologiens ont expliqué la décision du pape ainsi :
«Un principe de la liturgie romaine veut qu’un seul missel soit en vigueur de façon ordinaire dans tous les territoires et églises de rite romain ; et la publication d’un missel romain par saint Pie V, en 1570, semble illustrer ce principe.»
D’autres théologiens ont avancé que la diversité liturgique est un fait qui s’impose au législateur et que celui-ci ne peut changer à son gré.
Qui a raison ? En se limitant à l’aspect historique, l’abbé Díaz-Patri arrive à la conclusion que, hier comme aujourd’hui, le rite romain a connu la coexistence simultanée de diverses formes qu’on peut qualifier d’ordinaires.
Arguments historiques
Ni durant l’Antiquité et le haut Moyen Âge, ni à Rome même (au XIIIesiècle, on y voit coexister quatre variantes liturgiques), ni à l’époque moderne, on ne trouve un principe d’unicité du rite romain. Saint Pie V n’énonce nulle part un tel principe: au contraire, le cas le plus remarquable de la coexistence de « formes » diverses dans le rite romain a été sans doute celui établi par Pie V lui-même. Juste après avoir promulgué son Missale Romanum pour l’Église universelle, ce pape interdit l’usage de ce missel dans les royaumes d’Espagne (incluant une immense partie de l’univers catholique, avec les colonies du Nouveau-Monde), afin de respecter les variantes liturgiques espagnoles existant à cette époque.
Le concile Vatican II n’a pas mis fin au principe de diversité. Même après la réforme de Paul VI, deux formes « ordinaires » du rite romain ont vu le jour : la forme zaïroise du rite romain, et la forme anglo-catholique (celle du groupe des anglicans passés au catholicisme sous Benoît XVI).
Pour conclure
La « réforme » liturgique promue par le concile de Trente et complétée par saint Pie V se limitait essentiellement à établir une édition «authentique» d’un rite déjà existant et largement utilisé. La nouveauté a consisté, plus qu’en une « réforme du missel », en un changement dans l’organisation de la discipline liturgique : à partir du concile de Trente le pape a peu à peu assumé un contrôle plus direct de la liturgie pour l’ensemble de l’Église latine, alors qu’auparavant ce domaine était principalement laissé à la coutume et au contrôle des évêques et autres supérieurs.
L’auteur conclut :
« l’unification du missel romain… ne fut jamais un principe absolu, mais connut, et connaît encore, d’importantes exceptions. »