La dernière lettre de Paix Liturgique évoque la démission de Mgr Ravel :
Dans son communiqué du 20 avril 2023, Mgr Ravel, évêque de Strasbourg depuis 2017, annonce qu’il a remis à Rome sa démission de ses fonctions. Il ne donne pas les raisons qui l’ont conduit à se défaire de sa charge. Il se contente, en préambule de son court exposé, de l’aphorisme suivant : « la paix étant le bien suprême, etc… », le reste se déroulant à l’avenant.
On ne saura rien de plus, mais recevoir de Mgr Ravel lui-même l’aveu que sa façon d’être archevêque à Strasbourg compromet la paix de son diocèse, et ceci sans qu’aucun mea culpa contristé n’en authentifie le regret, c’est, pour les plus anciens d’entre nous, ressentir comme une gifle, à l’opposé de la Madeleine de Proust, le goût mortel des procès staliniens.
Mgr Ravel avait reçu des ordres. Il a réfléchi, puis s’est exécuté. Nonobstant, se dit-il ici et là, l’amical soutien du président de la République, incitant l’évêque concordataire à se maintenir. Qui donc le prélat démissionnaire dérangeait-il, et de quelle façon l’exercice de ses responsabilités contrevenait il aux dispositions constitutionnelles de Lumen Gentium (ch. III, 18/27) ?
Si quelque casserole bien sordide, ou quelque dommage cruellement injuste pouvait être imputé à l’ancien évêque aux armées, la mise à l’écart eût été compréhensible, voire souhaitable. En réalité, c’est la valse des préfets qui s’installe sous le pape régnant, et la Valse mélancolique de Maurice Ravel n’apaise pas nos représentations tourmentées.
Le fait du Prince, en somme. Rien de nouveau sinon dans l‘Eglise, où, longtemps, l’adage « promoveatur ut amoveatur » a permis le déplacement d’un ministre sans mortifier publiquement le déplacé, puisque promu. Agé de 65 ans, Mgr Ravel a mis un genou en terre. En sera-t-il remercié ?
Gageons qu’il s’agit d’un galop d’entrainement. Mais d’entrainement à quoi ? A tester la tolérance des medias français aux voies de fait romaines. Un coup d’essai a été tenté, il y a deux ans, à Pontcallec : une modeste moniale dominicaine se voyait raptée, puis exilée, et ses vœux pluri décennaux relevés, sans l’ombre d’un procès qualifié. Aucune faute canonique n’a été instruite à l’encontre de Mère Marie Ferréol. Tout au plus lui reproche-t-on d‘exister, et d’être ce qu’elle est. Les medias se sont-ils embrasés contre cet abus ?
Le dossier de Mgr Ravel est-il significativement plus chargé ? Pourquoi se soumettre, tout en affichant sa tranquillité de conscience, au risque d’encourager le mépris dans lequel le Pape régnant tient les prérogatives épiscopales, telles que définies par Vatican II, alors que l’évêque de Rome se targue d’en être l’interprète le plus lucide ?
En concédant sa démission, au nom de la paix, bien suprême, Mgr Ravel crée un précédent, et tend à fragiliser la situation de la véritable bête noire du pape argentin, Mgr Rey. Le jeu de rôles devient alors une hypothèse fort plausible. Si l’évêque de Fréjus-Toulon, qui a le courage de refuser la démission que Rome réclame pour « faute » d’éclatante réussite dans le diocèse du Var, c’est que la paix, sobriquet de son sabordage personnel, n’est pas à ses yeux le bien suprême. Il n’empêche. Un bonnet de va-t’en guerre, c’est un coup de Jarnac. Telle est l’imposture de Ravel. Si la paix exige de tendre son col à l’épée de l’ennemi, sans exiger un procès équitable, nos diocèses et nos familles sont livrées aux bêtes sauvages. La paix, disait Saint Augustin, c’est la tranquillité de l’Ordre. Pas la chasse aux canards déclarés boiteux.
Victime consentante, Mgr Ravel, ou expert assumé du billard à trois bandes ? Selon la nouvelle affectation de notre pacifiste affiché, la réponse suivra. Tout est bon, à vrai dire, pour fragiliser la résistance du colosse de Fréjus-Toulon, que la dialectique de l’agneau sacrifié et le piège de l’unité de façade ne rendent pas dupe. La haine bergoglienne à l’encontre d’évêques fidèles au Sacerdoce plénier qui leur a été conféré procède du fait que ces derniers ne confondent pas l’arche du Salut des âmes et des sociétés avec les salles polyvalentes de la fraternité universelle. De la gestion du troupeau, Lumen Gentium les déclare comptables devant le Seigneur Lui-même. Pas devant des auditeurs de passage ou des agents d’influence.
Pour neutraliser, ou tenter de le faire, le retour saisissant de la terre provençale à la Foi de toujours, et à la lex orandi qui l’exprime de façon optimale, un évêque coadjuteur (auxiliaire avec droit de succession) serait envisagé, façon Bergoglio/ Quarracino à Buenos Aires, mutatis mutandis. L’évêque de Langres aurait été approché à cette fin. Celui que Golias nomme « le glandeur » (sic !) aura-t-il la trempe requise pour affaiblir le madré titulaire ? Nul besoin de vaticination sur ce point. Une telle nomination porteuse de guerre civile serait a priori une insulte à la charité, tout autant qu’à l’amitié sacerdotale. Le Pontife romain boutefeu répondrait des dégâts éventuels. Et l’ambitieux complice perçu comme la marionnette d’intérêts supérieurs à ceux des fidèles varois risque fort, et gros, dans l’aventure. N’excluons pas prématurément une entente bienvenue. Cela s’est vu.
Mgr Rey doit donc faire l’objet de tous les soutiens, et refuser l’abus pontifical consistant à le priver d’un procès canonique équitable, si matière pénale il y a. Son équilibre personnel, et la cohérence perçue par ses ouailles est à ce prix.
Le tribunal canonique compétent, saisi dans les formes requises, ne pourrait manquer de se référer à la Constitution Dogmatique Lumen Gentium, et aux attributions dévolues par Vatican II aux Ordinaires, à commencer par la prérogative de l’appel au sacerdoce. A défaut, l’avocat de la Défense s’en chargerait. Sinon, l’Eglise cesserait d’être un Etat de Droit Canonique, en vue du salut des âmes, pour devenir la chasse gardée d’un autocrate, et un avatar indigne de la Cité de la Peur.
Au-delà même de la personne de Mgr Rey, formé par la Communauté de l’Emmanuel, et, au fil des ans, redécouvrant les vertus de l’usus antiquor, c’est le retour à une liturgie déclarée périmée qui est intolérable à l’évêque de Rome. Que ceux qui ont connu et pratiqué le nouvel Ordo se tournent vers le rite qui fut désigné comme extraordinaire, percevant à l’usage sa cohérence surprenante et la fécondité subséquente, telle est l’abomination de la désolation pour les promoteurs d’un renouveau fictif, d’une accablante stérilité, mais toujours officiellement tabou.
Lorsque Lumen Gentium (18/27) hypostasie les évêques comme « vicaires et délégués du Christ », leur confère « l’autorité et le pouvoir sacré », leur confirme « un pouvoir propre, ordinaire et immédiat, qu’ils exercent personnellement au nom du Christ », en communion avec le Pontife Romain, faut-il comprendre que ces attendus prestigieux ont été affirmés pour encadrer la réforme en cours, avec une autorité maximale au service des nouveautés ? Ou s’agissait-il d’abord de consoler les Ordinaires de ne pas jouir d’une infaillibilité que seule l’élection au Siège de Pierre conférerait à l’un, et un seul d’entre eux, selon, et depuis, Vatican I ?
Point d’alarme :
« Bien que pris isolément les évêques ne jouissent pas de la prérogative de l’infaillibilité pontificale, cependant quand, même dispersés dans le monde, mais gardant le lien de la communion entre eux et avec le successeur de Pierre, ils enseignent « authentiquement » les choses de la foi et des mœurs, et s’accordent pour enseigner une doctrine comme devant être tenue définitivement, ils proposent infailliblement la doctrine du Christ. »
A vrai dire, et quoiqu’il ait fallu treize ans (1982/1995) à l’Eglise « qui est en France » pour s’émouvoir des outrances assez peu christiques, et moins encore infaillibles, de Mgr Gaillot, ce privilège de l’unité n’a pas échappé à la Conférence des Evêques de France.
Au cours de l’assemblée plénière de Lourdes en 2012, Mgr Eric de Moulins-Beaufort en avait officiellement remanié l’esprit, à moins qu’il n’en ait subtilement exploité la faille, que voici : Dieu garantit les affirmations unifiées d’aujourd’hui, pour aujourd’hui. D’où l’astreinte à l’uniformité. Sus aux « manquements à l’unité », car l’Esprit fait connaître ce que Dieu veut pour aujourd’hui, et ce que Dieu veut pour aujourd’hui, c’est ce que l’épiscopat unifié affirme en Son nom…Il fallait oser, et ils l’ont fait. L’acte d’accusation a gagné en sobriété, mais aussi en extension. Manquement à l’unité ? Nonobstant et subséquemment verbalisons.
Lorsque Descartes, dans ses « Méditations » puis dans « le Discours de la Méthode », affirme que Dieu garantit l’évidence des idées claires et distinctes, il ne s’agit que de l’évidence d’un seul, produite par la substance réflexive du sujet pensant. D’où l’individualisme de ceux qui ont rejeté les idées reçues, c’est-à-dire partagées…Tout au contraire, le dépôt de la Foi est confié à l’Eglise, en vue du salut de chacun. Mais le dépôt n’est pas livré au seul consensus actuel des ministres actuels. La Foi catholique est reçue des apôtres, et la gnose du pape régnant est sans valeur si elle ne s’accorde aux définitions préalables et pérennes. Pour le dire autrement, l’uniformité « spatiale » d’aujourd’hui, n’est rien sans la fidélité aux vingt siècles d’unité historique. Descartes, il est vrai, admet qu’une pensée reçue, c’est-à-dire pensée par autrui, peut devenir, après critique méthodique, une pensée personnelle, par appropriation. La CEF ne peut prendre ce risque. Penser seul, quel orgueil…
Lorsque quelques dissidents font nombre pour exiger un Ordinaire plus conforme à leur goût, les émissaires auditeurs ne pourraient-ils commencer par leur faire découvrir les dispositions du paragraphe 25 :
« les évêques, enseignant en communion avec le Pontife Romain, doivent être vénérés partout comme les témoins de la vérité divine et catholique ; les fidèles doivent s’accorder avec le sentiment de leur évêque exprimé au nom du Christ, sur la foi et les mœurs, et y adhérer avec l’hommage religieux de l’esprit. »
Cela pourrait arriver, mais rien de tel n’arrive. Force est de reconnaître que la praxis de la Rome bergoglienne enterre Vatican II avec plus d’efficacité qu’un disciple de feu l’abbé de Nantes. Le tabou est contourné, ignoré, piétiné. Il faut donc statuer sur un regain de la constitution conciliaire, ou sa caducité, sauf à rendre nul tout jugement et voie de fait pris sans s’y adosser. Dans cette attente Prions pour que Mgr Rey légitime sa résistance, le Droit Canon à la main, avec l’aide de son presbyterium, servant ainsi l’Eglise réelle, contre les folies de l’Eglise légale.