Dans la dernière lettre aux Amis Monastère Sainte Madeleine du Barroux (n° 182, Juin 2022), Dom Louis-Marie, abbé, nous livre sa réflexion sur la maladie et la nécessité pour une abbaye comme Sainte-Madeleine de garder tous ses frères “dans les murs” jusqu’au bout quel que soit leur état de santé.
Un moine peut tomber malade. Trois fois, la communauté a été touchée par le coronavirus. Nous avons eu le covid alpha, puis le bêta et enfin l’omicron. À la première vague, nous n’avions pas encore d’infirmerie. Nous avons dû fermer l’hôtellerie et essayer de confiner les malades autant que possible. Mais, peine perdue, les frères confinés devenaient de plus en plus nombreux, alors nous avons abandonné ces mesures devenues insupportables. À la deuxième vague, l’infirmerie était en cours de finition, et nous avons réagi de la même manière qu’au moment de la première. De plus, comme nous vivons en étroite proximité, la propagation du virus a été si rapide que toute mesure s’est finalement révélée insuffisante. À la troisième vague, l’infirmerie était enfin prête, et nous avons eu beaucoup plus de facilité à affronter cette dernière épidémie qui fut, il faut l’avouer, bénigne. Nous n’avons eu aucun décès à déplorer, mais ce virus a tué un grand nombre de personnes, dont des amis de l’abbaye et des membres de la famille de certains Frères. Je pense particulièrement à la mère du Père Luc, Mme Artur, qui est partie vers la maison du Père de façon très brusque.
Face à cette épidémie, nous avons suivi la Règle : nous avons pris soin des malades, et je tiens à féliciter nos moines infirmiers qui ont dû faire face à cette épidémie en étant eux-mêmes malades. Il y a grand mérite à soigner un Frère malade. Un ami du monastère qui a eu un cancer, il y a quelques années, me disait en regardant sa femme : « Un malade est un combattant, celui qui soigne le malade est un guerrier. »
Voilà la raison pour laquelle nous devions absolument construire une infirmerie : pour donner aux infirmiers les moyens de mener ce combat. La communauté est encore assez jeune mais un moine, même s’il est jeune, peut tomber malade. Et avec l’âge, les choses ne s’arrangent pas. Comme le dit le psaume 89, « sous ton courroux tous nos jours déclinent, nous consommons nos jours comme un soupir. Le temps de nos années fait 70 ans, 80 si la vigueur y est. Mais leur grand nombre n’est que peine et mécompte… »
Nous voulons garder nos Frères au monastère jusqu’au bout, jusqu’à l’ultime seconde, afin qu’ils puissent se présenter devant le Seigneur entourés de la prière et de l’affection de toute la communauté. La présence d’une infirmerie à l’abbaye nous assure donc que les droits de Dieu seront respectés parfaitement. Le Tout-Puissant reste l’unique maître de la vie et de la mort. S’attribuer ce droit de vie et de mort sur soi-même, ou sur un autre, est une offense très grave qui mérite de soi la damnation éternelle. Bien sûr, le Seigneur tient compte des dispositions personnelles d’ignorance ou de faiblesse, mais la chose en elle-même est un péché qui conduit à la mort spirituelle de celui qui y succombe et de la société tout entière, qui tombe dans une barbarie pavée de bonnes intentions.
De nos jours, cette tentation est devenue grande. Très grande même. Des chrétiens atteints de maladies graves, accompagnées de souffrance physique et psychologique le disent eux-mêmes : s’ils n’avaient pas la foi, ils auraient succombé à la tentation d’abréger leur souffrance par la mort. Jésus, voyant le chemin suivi par notre société, crie à son Père encore et encore : « Père pardonne-leur, parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font. »
Quant à nous, nous savons, par grâce de Dieu. La foi, la philosophie réaliste, le bon sens, nous inclinent à respecter le droit de Dieu, à prendre les moyens d’aider nos frères malades, non seulement en essayant de soulager leur souffrance, mais surtout en les aidant à genoux à offrir ce qu’ils supportent en sacrifice pour le salut des âmes. Un jour, un malade a dit à un moine qu’il souffrait terriblement de la solitude. Qu’il se sentait abandonné de Dieu. Et le moine, avec toute la délicatesse possible, lui a répondu que, par ce qu’il vivait, Jésus était un peu moins seul au Golgotha. « Pouvez-vous entendre cela ? » a-t-il ensuite demandé. « Oui ! » a répondu avec beaucoup d’humilité le malade. Nous sommes vraiment des vases d’argile capables, par la grâce de Dieu, de porter un grand trésor.
Dom Louis-Marie, o. s. b.,
abbé
” S’attribuer ce droit de vie et de mort sur soi-même, ou sur un autre, est une offense très grave qui mérite de soi la damnation éternelle.”
Au moins, c’est clair comme de l’eau de roche et rafraîchissant !