L’abbé Claude Barthe, dans la lettre Res Novae – Perspectives Romaines du 1er avril 2022 (repris par Paix Liturgique), fait une synthèse du contexte ecclésial actuel où les conservateurs sont marginalisés par des textes souvent contradictoires.
Au XIXe siècle, dans le système politique français, s’était dessinée la situation paradoxale suivante : les partisans les plus fermes de la Restauration monarchique, ennemis dans le principe des libertés modernes apportées par la Révolution, ont cependant prôné en permanence la liberté. Ils ont en somme réclamé, non sans risques, qu’on leur laisse un espace de vie et d’expression : liberté de la presse, liberté de l’enseignement (mais ils n’ont cependant pas su profiter des occasions que cet espace leur donnait pour retourner l’ordre des choses).
Toutes choses égales, dans le système ecclésial de XXIe siècle… D’un point de vue catholique, la perspective à poursuivre est, à terme, celle d’une « restauration » plus profonde que celle qu’a voulue Joseph Ratzinger/Benoît XVI : un retour, pour réamorcer une mission active, à un magistère de pleine autorité, départageant au nom du Christ le vrai du faux sur toutes les questions controversées de morale familiale, d’œcuménisme, etc. Départageant, non seulement ce qui est catholique de ce qui ne l’est pas, mais ceux qui sont catholiques de ceux qui se disent catholiques et ne le sont pas : car il est dévastateur pour la visibilité de l’Église qu’on ne sache plus où est le dehors et où est le dedans d’une Église minée par un schisme latent, ou plutôt submergée par une sorte de néo-catholicisme sans dogme.
Mais, de manière plus immédiate, il semble qu’on ne puisse obtenir qu’un desserrement du despotisme idéologique – pas seulement de celui, genre baroud d’honneur conciliaire, du présent pontificat –, mais de celui plus profond qui pèse sur l’Église depuis que lui a été imposée une manière molle de croire et de prier. Despotisme qui fait qu’au nom de la « communion », il faut se soumettre peu ou prou à un Concile et à une réforme liturgique posés comme nouvelles Tables de la Loi.
Le moyen serait qu’un pontificat de transition donnât une pleine liberté à toutes les forces vives de l’Église. Si l’on s’en tient au paysage français, mais qui peut par analogie servir de grille d’analyse dans toute l’Église, le catholicisme qui aujourd’hui « fonctionne », c’est-à-dire qui remplit les églises de fidèles, notamment de jeunes, de familles nombreuses, qui produit des vocations sacerdotales et religieuses, qui provoque des conversions, se résume à deux grande aires. D’une part, celle qu’on pourrait qualifier de nouveau conservatisme, avec la communauté de l’Emmanuel, la Communauté Saint-Martin (100 séminaristes actuellement, [soit un séminaire plus important que tous les séminaires diocésains français, ou peu s’en faut – NDLR] la Communauté Saint-Jean, des monastères de religieux et religieuses contemplatifs florissants. Ailleurs dans le monde, ce seront des communautés religieuses, des diocèses vigoureux, certains séminaires. Et d’autre part, le monde traditionaliste, avec ses deux composantes l’une « officielle », l’autre lefebvriste, ses lieux de culte (450 environ en France), ses écoles, ses séminaires (en 2020, 15% des prêtres français ordonnés appartenaient aux communautés traditionnelles). On objectera qu’un « laisser faire, laisser passer », fût-ce en faveur de ce qui produit des fruits de la mission, est lui aussi plein de risques de dérives. Aussi bien n’est-il à souhaiter qu’aussi longtemps qu’on restera dans des zones magistérielles grises et incertaines.
Tout le monde a cependant conscience, soit pour le désirer, soit pour le craindre (cf. les motivations de Traditionis custodes), que c’est au monde traditionnel, en raison de son poids symbolique, que cette pleine liberté de vivre et de grandir peut donner le plus de possibilités pour aider les prélats qui s’y décideront à « renverser la table ».
“la Communauté Saint-Martin (100 séminaristes actuellement, soit plus que tous les séminaires diocésains français réunis), ”
Il est évident qu il y a largement plus que 100 séminaristes dans tous les séminaires diocésains réunis (le nombre devrait être environ de 700).