Le rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase) désigne incontestablement des comportements criminels gravissimes. Et il n’est pas davantage contestable qu’un certain nombre d’évêques de France, jusque dans un passé récent, n’ont pas puni les coupables par des sanctions proportionnées. Ils l’on fait souvent par de simples mutations, comme ils avaient pris l’habitude – laxiste – de le faire dans les cas d’autres fautes contre le sixième commandement.
Ceci dit, toute personne sensée s’interroge sur la méthode d’investigation plus qu’étrange de la Ciase qui, ayant fait apposer des affiches appelant à témoignage dans les paroisses, a réalisé 153 auditions et reçu 2.819 courriers et mails de personnes plaignantes, soit 3.000 plaintes environ. Mais selon des méthodes « statistiques », elle a multiplié par 100 et décidé d’évaluer à 300.000 le nombre de victimes de clercs et de religieux et laïcs au service de l’Église depuis 1950.
L’épiscopat français tétanisé est cloué au pilori et poussé au suicide moral et matériel par un matraquage médiatique, dont on peut penser sans verser dans le complotisme qu’il est quelque peu organisé. Il prépare deux mesures stupéfiantes :
1°/ Comme l’idée en avait été lancée en son sein lors de sa réunion de mars dernier, il s’apprête à créer un tribunal pénal canonique d’exception pour la France entière, qui aura compétence pour juger de telles affaires. La raison est la méfiance vis-à-vis de la capacité des tribunaux diocésains, ou interdiocésains, les officialités.
Le problème est que ces crimes contre mineurs entrent dans la catégorie dite des delicta graviora, qui sont de la compétence de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi depuis la constitution Pastor Bonus du 28 juin 1988, inspirée par le cardinal Ratzinger (avec un délai de prescription qui a été porté à 20 ans, lequel, comme tous les délais de prescription dans l’Église, peut être allongé par décision romaine, à la demande de l’évêque). Généralement, l’évêque ou le supérieur d’institut religieux qui a reçu une signalisation, une notitia, ouvre une enquête préliminaire et, si l’affaire lui paraît sérieuse, porte l’affaire devant la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Celle-ci, habituellement, donne pouvoir au tribunal diocésain ou à celui de l’institut religieux de juger de la cause, se réservant ensuite d’approuver ou d’infirmer la décision (qui est souvent une exclusion du coupable de la cléricature, dite « réduction à l’état laïc »).
Il semble donc que, si la Conférence des Évêques institue ce tribunal canonique national – ou plus exactement en demande l’institution à Rome – la Congrégation pour la Doctrine de la Foi délèguera désormais la compétence de rendre la décision à ce tribunal, suivie d’approbation ou d’infirmation de sa part. Sauf que le recueil des preuves et témoignages sera rendu particulièrement difficile par cette délocalisation et qu’il faudra nécessairement que, par des commissions rogatoires, le tribunal national demande l’aide des tribunaux diocésains. Bref, on prépare une formidable usine à gaz, très coûteuse en temps, en argent (locaux, personnel de greffe), en juges. Or, rares se font les canonistes, dont ce tribunal nouveau fera une certaine consommation, sans pour autant qu’on puisse dégarnir les officialités qui croulent déjà sous les causes matrimoniales.
2°/ Et surtout, pour répondre au dictat principal de la Ciase et de l’opinion publique » orchestrée par les médias, l’épiscopat organise l’indemnisation des victimes. Mais par qui ?
Va-t-on alors décider que les victimes pourront demander, pour des crimes commis par clercs déjà condamnés ou par ceux qui vont l’être dans le futur, des indemnités semblables au pretium doloris obligeant « celui par la faute duquel [le dommage] est arrivé à le réparer », comme le dit le Code civil ?
Non pas ! Ce sera ici l’Église qui réparera. La Ciase estime en effet qu’elle a une « responsabilité systémique » dans ces crimes et qu’elle doit assumer cette responsabilité, c’est-à-dire essentiellement verser des indemnités aux victimes. L’Église, et pas les prédateurs soupçonnés, dont, il est vrai, un certain nombre sont morts, mais qui ont laissé des héritiers. Et pourquoi l’Éducation nationale, les associations sportives, les familles, au sein desquelles 51% de ces crimes se commettent, n’ont-elles pas quant à elles de « responsabilité systémique » ?
Qui plus est la Ciase considère dans son rapport – avec quelle autorité judiciaire ? –que les 3.000 plaintes dont elle a été informée et qu’elle a multiplié « statistiquement » par cent sont toutes recevables. Autrement dit que tous les plaignants sont des victimes dont la cause aurait été jugée selon les règles du droit et en tenant compte des droits de la défense. Comme c’est vraiment trop fort, la Ciase a imaginé qu’une sorte de commission pourra tenir lieu de tribunal imposant à l’Église de France de payer des indemnités : « Le mécanisme d’indemnisation devra être confié à un organe indépendant, extérieur à l’Église, chargé de la triple mission d’accueillir les personnes victimes, d’offrir une médiation entre elles, les agresseurs et les institutions dont ils relèvent, et d’arbitrer les différends qui ne peuvent être résolus de manière amiable ».
Et les évêques d’obéir, le petit doigt sur la couture du pantalon de clergyman. La Conférence des évêques de France et la Conférence des religieux et religieuses en France (CORREF) ont ainsi travaillé à la création de deux organismes, chacun piloté par une personnalité indépendante « de très haut niveau ». Ces deux instances auront donc un véritable pouvoir juridictionnel, tombé du ciel ou d’ailleurs, qui leur permettra :
- D’identifier avec autorité les victimes de faits criminels ;
- Et de leur accorder avec non moins d’autorité des indemnités à régler par l’É
Le montant total des réparations est déjà estimé, on ne sait trop comment, en millions d’euros. En mars dernier, la CEF avait déjà annoncé la création d’un fonds pour recueillir ces sommes en appelant… aux dons des fidèles. Il est vrai que Ciase préfère quant à elle que les indemnisations se fassent à partir du patrimoine de l’Église, dont de nombreux diocèses sont réduits ou presque à la faillite et ont déjà vendu leurs « bijoux de famille ».
Il n’importe : l’Église paiera, comme on le voulait pour l’Allemagne après la Grande Guerre ! L’Allemagne n’a payé que de manière insignifiante, mais l’Église de France, elle, sera ruinée, ruinée dans ses biens après l’avoir été dans son catéchisme, dans sa liturgie. Par l’incurie de ses pasteurs.