Dom Guéranger nous invite à réfléchir ce jour sur l’évangile de la résurrection de Lazare :
Parcourons avec espérance cet admirable récit qui nous raconte ce que Jésus opère dans les âmes ; rappelons-nous ce qu’il a fait en faveur de la nôtre, et conjurons-le d’avoir enfin pitié de nos Pénitents, qui, en si grand nombre, par toute la terre, se disposent à recevoir ce pardon qui doit leur rendre la vie. Aujourd’hui ce n’est plus une mère qui demande la résurrection de son fils ; ce sont deux sœurs qui implorent cette grâce pour un frère chéri ; l’Église, par cet exemple, nous engage à prier pour nos frères. Mais suivons la sublime narration de notre Évangile.
Lazare a d’abord été malade et languissant ; enfin il est mort. Le pécheur commence par se laisser aller à la tiédeur, à l’indifférence, et bientôt il reçoit la blessure mortelle. Jésus n’a pas voulu guérir l’infirmité de Lazare ; pour rendre ses ennemis inexcusables, il veut opérer un prodige éclatant aux portes même de Jérusalem. Il veut prouver qu’il est le maître de la vie à ceux-là même qui, dans quelques jours, seront scandalisés de sa mort. Au sens moral, Dieu juge quelquefois à propos, dans sa sagesse, d’abandonner à elle-même une âme ingrate, bien qu’il prévoie qu’elle tombera dans le péché. Il la relèvera plus tard ; et la confusion qu’elle ressentira de sa chute servira à la maintenir dans l’humilité qui l’eût préservée.
Les deux sœurs, Marthe et Marie, apparaissent ici avec leurs caractères si tranchés ; toutes deux éplorées, toutes deux unanimes dans leur confiance. A Marthe, Jésus annonce qu’il est lui-même la Résurrection et la Vie, et que celui qui croit en lui ne mourra point de cette mort qui est la seule à craindre ; mais quand il voit les pleurs de Marie, de celle dont il connaissait tout l’amour, il frémit, il se trouble. La mort, châtiment du péché de l’homme, source de tant de larmes, émeut son cœur divin. Arrivé en face du tombeau qui recèle le corps de Lazare son ami, il verse des pleurs : sanctifiant ainsi les larmes que l’affection chrétienne nous arrache sur la tombe de ceux qui nous furent chers. Mais le moment est venu de lever la pierre, d’étaler au grand jour l’affreux triomphe de la mort. Lazare est là depuis quatre jours : c’est le pécheur envieilli dans son péché. N’importe : Jésus ne repousse pas ce spectacle. D’une voix qui commande a toute créature et qui épouvante l’enfer, il crie : Lazare, sors dehors ! et le cadavre s’élance hors du sépulcre. Le mort a entendu la voix ; mais ses membres sont encore enchaînés, son visage est voilé ; il ne peut agir ; la lumière n’a pas lui encore à ses yeux. Jésus commande qu’on le délie ; et par son ordre, des mains humaines rendent aux membres de Lazare la liberté, à ses yeux la vue du soleil. C’est jusqu’à la fin l’histoire du pécheur réconcilié. La voix seule de Jésus pouvait l’appeler à la conversion, émouvoir son cœur, l’amener à confesser son péché ; mais Jésus réserve à la main de ses prêtres de le délier, de l’éclairer, de lui rendre le mouvement. Grâces immortelles au Sauveur qui, par ce prodige opère dans les jours mêmes où nous sommes, mit le comble à la fureur de ses ennemis, et se dévoua par ce dernier bienfait à toute la rage qu’ils avaient conçue contre lui. Désormais il ne s’éloignera plus de Jérusalem ; Béthanie, où il vient d’accomplir le miracle, n’en est qu’à quelques pas. Dans neuf jours, la ville infidèle verra le triomphe pacifique du fils de David ; il retournera ensuite chez ses amis de Béthanie ; mais bientôt il rentrera dans la ville pour y consommer le sacrifice dont les mérites infinis sont le principe de la résurrection du pécheur.
Cet espoir consolant porta les premiers chrétiens à multiplier sur les peintures des Catacombes l’image de Lazare rappelé à la vie ; et ce type de la réconciliation de l’âme pécheresse, sculpté pareillement sur le marbre des sarcophages des IVe et Ve siècles, se reproduisit jusque sur les verrières de nos cathédrales. L’ancienne France honorait ce symbole de la résurrection spirituelle par une pieuse coutume qui s’est conservée dans l’insigne abbaye de la Trinité de Vendôme, jusqu’au renversement de nos institutions catholiques. Chaque année, en ce jour, un criminel condamné par la justice humaine était amené à l’Église Abbatiale. Il avait la corde au cou et tenait à la main une torche du poids de trente-trois livres, en mémoire des années du divin Libérateur. Les moines faisaient une procession à laquelle le criminel assistait humblement, ainsi qu’au sermon qui la suivait. On le conduisait ensuite au pied de l’autel, où l’Abbé, après une exhortation, lui enjoignait pour pénitence le pèlerinage de Saint-Martin de Tours. Il lui ôtait ensuite du cou la corde qu’il avait portée jusqu’à ce moment, et il le déclarait libre. Cet usage liturgique, si chrétien et si touchant, remontait à Louis de Bourbon, comte de Vendôme, qui, en 1426, durant sa captivité en Angleterre, avait fait le vœu, si Dieu lui rendait la liberté, d’établir dans l’Église de la Trinité, comme monument de sa reconnaissance, cet hommage annuel au Christ qui délivra Lazare du tombeau. Le Ciel agréant la piété du prince, celui-ci ne tarda pas à recevoir la grâce qu’il implorait avec tant de foi.
Nous prierons aujourd’hui pour la conversion des pécheurs, en empruntant cette touchante prière au Pontifical Romain, dans la réconciliation des pénitents.