Dans le numéro 143 du Printemps 2019, la revue Catholica évoque notamment ce qui a été appelé la déclaration d’Abu Dhabi (extrait ci dessous)
La récente Déclaration commune « sur la fraternité humaine pour la paix du monde et la coexistence commune », signée le 4 février 2019 à Abu Dhabi par le pape François et Amhed el-Tayeb, grand imam de l’Université Al-Azhar, a elle aussi été longuement préparée, une année durant pour le détail de la démarche, depuis plus longtemps encore du point de vue de la substance.
Une déclaration de ce genre pourrait, à première vue, être considérée comme une tentative diplomatique destinée à calmer les esprits en un moment de tensions extrêmes : une sorte de pacte raisonnable entre dépositaires d’une certaine autorité morale sur une partie non négligeable de l’humanité. Dans le contexte présent d’un monde musulman traversé par le courant du retour à l’origine, le fait qu’un imam célèbre consente à une telle démarche pourrait même être jugé comme un acte courageux, à moins qu’il ne paraisse plutôt constituer une manœuvre intelligente. Ahmed el-Tayeb est connu pour concilier un rapport étroit avec le régime du maréchal al-Sissi et négocier avec la tendance salafiste dominante au sein de son université. Quelle que soit l’interprétation que l’on puisse donner à cet acte par rapport aux complexes rapports intra-musulmans, il reste à le comprendre du point de vue de l’histoire récente de l’Église, et plus précisément de la mise en œuvre de la « réforme » bergoglienne.
Remarquons tout d’abord que la Déclaration commune dépasse le statut de texte purement pratique pour s’élever au niveau d’un énoncé de principes. Il ne s’agit donc pas d’un acte comme il peut en être produit lorsque un ensemble de dignitaires ou représentants religieux déclarent en commun condamner un attentat, ou réclament le respect d’une certaine décence dans la vie publique, et toutes choses semblables. Pas non plus d’un pacte constitutionnellement établi, comme celui qui répartit les statuts respectifs des chrétiens, musulmans et druzes au Liban. Dans un tel cas, chacun garde pour lui ses considérations religieuses mais partage avec les autres parties une même intention relative à un objet bien déterminé. La Déclaration commune va bien plus loin, dans la mesure où elle formule des principes communs. On s’abstiendra ici de juger ces derniers au point de vue de l’islam, mais avant de les considérer sous l’angle de la continuité ou de la nouveauté doctrinales catholiques, on cherchera d’abord à en comprendre les prémisses.
L’événement, qui avait donc fait l’objet d’une longue préparation, a été placé dès le début sous le vocable de la « fraternité ». L’introduction de ce terme semble être datée d’un tweet (@.Pontifex_fr) du 2 mai 2017, ainsi rédigé : « Cultivons la fraternité : c’est la collaboration qui aide à bâtir des sociétés meilleures et pacifiques. » Le message urbi et orbi de Noël dernier est revenu sur ce concept : « Fraternité entre les personnes de chaque nation et culture. Fraternité entre les personnes de religions différentes, mais capables de se respecter et d’écouter l’autre. Fraternité entre les personnes de religions différentes. » La répétition étonne, mais elle marque l’insistance sur les deux termes : le pluralisme religieux, et la fraternité apte à l’accepter et le transcender. Le 31 janvier 2019, avant le voyage à Abu Dhabi, le pape François déclare : « Je remercie mon ami et cher frère le grand imam d’Al-Azhar, Ahmed Al-Tayeb, et tous ceux qui ont collaboré à la préparation de la rencontre, pour leur courage et leur volonté d’affirmer que la foi en Dieu ne divise pas mais unit, rapproche dans la distinction, éloigne de l’hostilité et de l’aversion. Je suis heureux de cette occasion qui m’est offerte par le Seigneur pour écrire, sur votre chère terre, une nouvelle page de l’histoire des relations entre les religions, en confirmant que nous sommes frères tout en étant différents. » Le thème se précise donc, dans la continuité, en comprenant le mot « foi » dans le sens de « croyance » ou de « conviction » et non dans le sens spécifique propre à la dogmatique catholique (l’adhésion à la Parole de Dieu révélée en Jésus-Christ, Verbe incarné). Le 4 février, après la signature du document, un message sur facebook le confirme : « Le document sur la Fraternité humaine que j’ai signé aujourd’hui à Abu Dhabi avec mon frère le Grand Imam d’Al-Azhar invite toutes les personnes qui portent dans le cœur la foi en Dieu et la foi dans la fraternité humaine, à s’unir et à travailler ensemble. »
Le document lui-même forme un texte assez court. Il reprend largement les mêmes idées, qui opèrent comme une extension du concept de « pluriunité », ou d’ « unité dans la diversité » jusqu’alors réservé au seul œcuménisme entre dénominations chrétiennes. Certaines formules n’étonnent pas de la part du pape François, mais surprennent de celle d’un savant islamique réputé. Ainsi ces affirmations, par ailleurs notoirement contredites en théorie comme en fait, du moins quant au devoir de combattre l’infidèle, à plus forte raison l’abandon de l’islam : « […] les religions n’incitent jamais à la guerre et ne sollicitent pas des sentiments de haine, d’hostilité, d’extrémisme, ni n’invitent à la violence ou à l’effusion de sang » ; « La liberté est un droit de toute personne : chacune jouit de la liberté de croyance, de pensée, d’expression et d’action. Le pluralisme et les diversités de religion, de couleur, de sexe, de race et de langue sont une sage volonté divine, par laquelle Dieu a créé les êtres humains. »
La dernière affirmation est déjà absurde dans l’islam, à plus forte raison dans le christianisme. C’est d’ailleurs ce qu’ils ont en commun et qui pose le problème fondamental de la vérité de l’un à l’exclusion nécessaire de l’autre. Qui peut, toute ignorance invincible mise à part, soutenir l’affirmation selon laquelle la diversité des religions – donc du vrai et du faux – serait l’expression du vouloir divin et signe de sa Sagesse ? Une telle pensée relève, au bas mot, du relativisme pur et simple. Peut-être que le grand imam pratiqua en l’espèce une taqiyya (mensonge légitime), bien que celle-ci ne lui soit permise, en principe, au musulman que lorsqu’il s’agit d’échapper à une menace de la part des infidèles. Pour ce qui est du pape François, les choses sont différentes, car le projet paraît bien venir de plus loin.
L’article complet ‘Mutations substantielles’ est disponible sur le site
Catholica est une revue internationale de culture dont les thèmes de réflexion touchent à la fois le politique et le religieux. Le premier numéro de cette revue est paru en mars 1987, période marquée par une conjoncture favorable. En effet le processus de désagrégation de l’empire soviétique commençait, avec la perspective entrevue et vérifiée ultérieurement, de disqualifier intellectuellement le communisme, puis le marxisme, et jusqu’au mythe de la Révolution française. Parallèlement un autre mythe commençait à se fissurer, à l’intérieur de l’Eglise cette fois. A la suite de l’Entretien sur la foi du cardinal Ratzinger, le futur Pape Benoît XVI, il était alors reconnu que le concile Vatican II n’avait pas produit les fruits bénéfiques que l’on pouvait ‘attendre. Après de longues années, le moment était favorable à une ouverture sur les deux terrains, si entremêlés, de la culture et de la foi.
C’est de loin la plus documentée, la plus intelligente et la plus profonde analyse qui ait été faite sur le sujet, dommage qu’elle soit communiquée si tard sur RC.
Je veux parler de l’article en son entier auquel il faut se référer. Car l’extrait peut apparaître comme très ‘conservateur’; il est très réducteur du propos de l’auteur et ne vise pas sa visée profonde.
Il eut été bon d’indiquer qu’il s’agissait d’un extrait. Et de mentionner les ‘notes’ du texte afin de respecter l’auteur.
La présentation de la revue Catholica m’étonne et s’exprime plutôt sur un mode madiranesque : a-t-elle été créée en vue de disqualifier intellectuellement le communisme ? je n’en suis pas sûr. Je pense qu’on peut parler plus véritablement d’une revue de haut niveau s’intéressant à tout ce qui ressort de la politique et de la religion. Bref, l’essentiel.