Neuf mois seulement après la fin de la politique de l’enfant unique, une ville du Hubei encourage les membres du Parti communiste à avoir un second enfant « pour donner l’exemple ». La ville de Yichang se distingue par son zèle à suivre les directives du Parti. Il y a six ans, la ville était célébrée dans la presse officielle pour son taux de fécondité exceptionnellement bas : 0,72 enfant par femme en âge de procréer. Le 18 septembre, la Commission du planning familial de Yichang a publié une lettre engageant les membres du Parti à procréer, alors que la Chine est désormais confrontée au vieillissement rapide de sa population.
« Nous engageons tous les membres du Parti et de la Ligue de la jeunesse communiste (…), surtout les cadres de tous niveaux, à se tenir à l’avant-poste et à prendre un haut degré de responsabilité dans l’avenir heureux du pays, le bien-être du peuple, et leur propre descendance, en mettant sérieusement en pratique le sens de « la politique des deux enfants ». Nous les invitons à agir pour montrer l’exemple en répondant à l’appel du Parti », énonce le communiqué. « Les jeunes camarades doivent commencer par eux-mêmes, et les camarades plus âgés doivent éduquer et superviser leurs enfants », poursuit le texte.
« Maintenant, vous voulez forcer les gens à avoir un deuxième enfant ! »
Repéré par la presse chinoise quelques jours plus tard, l’appel n’a pas manqué de susciter les réactions d’internautes choqués par ce virage à 180 degrés. « A l’époque (de la politique de l’enfant unique), vous avez distribué des amendes à tout va, vous avez tabassé des gens, détruit des maisons, confisqué des troupeaux, forcé des gens à avorter. Et maintenant, vous voulez forcer les gens à avoir un deuxième enfant ! », s’indigne un internaute du Guangxi, cité par le New York Times. Un autre, habitant Pékin, ironise : « Si les prix de l’immobilier baissent de moitié, revenez me parler d’un deuxième enfant ! »
En fin de semaine dernière, le texte a finalement été retiré du site Internet de la ville Yichang, signe de la grande sensibilité du sujet en Chine. La politique de l’enfant unique a été lancée à la fin des années 1970 par le gouvernement de Deng Xiaoping, alors que le pays avait vu sa population multipliée par deux lors des décennies de sa transition démographique (1950-1980), et elle a été appliquée avec force dans tout le pays, via un système administratif implacable et la collaboration d’habitants prêts à dénoncer leurs voisins en cas de seconde grossesse, pour obtenir une faible récompense. L’ampleur de ce système et le nombre des emplois induits explique peut-être la lenteur du pouvoir à mettre fin, en octobre 2015, à la politique de l’enfant unique, malgré les avertissements des démographes. Car la population chinoise en âge de travailler a commencé à baisser dès 2010 et des économistes ont souligné le danger que le pays courait à « être vieux avant d’être riche », autrement dit que le pays ne vieillisse trop vite avant que le niveau de vie général de la population n’aie rejoint celui des pays développés. La politique de limitation des naissances n’a par ailleurs pas été abandonnée à proprement parler, les couples restant aujourd’hui limités à deux enfants.
Encore en 2010, la ville de Yichang, qui compte 4 millions d’habitants, avait été célébrée pour son efficacité à faire appliquer la politique de l’enfant unique. Pourtant, avec un indice de fécondité à 0,72 enfant par femme en âge de procréer, l’un des plus bas de Chine, Yichang est aujourd’hui confrontée à un vieillissement accéléré de sa population. Avec 1,18 enfant par femme, la moyenne nationale est également bien loin du taux de renouvellement des générations, à 2,1 enfants par femme. D’autres villes, telle Shanghai, affichent des taux presque aussi bas, mais Yichang n’a pas l’attractivité de la capitale économique du pays. La ville semble en avoir pris conscience : « Si ce taux reste aussi bas, cela va créer de graves problèmes, et menacer notre économie et le bonheur des masses », prévient le communiqué. A la lecture de certaines phrases, on se demande comment interpréter le texte : critique très peu voilée de la politique de Pékin, ou le zèle aveugle ? « Les conséquences directes, ce sont des familles en danger, avec un seul enfant, une société vieillissante, le manque de main d’œuvre et une urbanisation à la traîne », mettent en garde les édiles de Yichang.
Les enfants coûtent chers
Traditionnellement en Chine et en l’absence d’un système suffisamment performant et universel de retraite, les enfants prennent en charge leurs parents vieillissants. Mais la politique de l’enfant unique a rendu cette prise en charge très difficile. Les démographes chinois parlent de pyramide inversée pesant sur les jeunes parce qu’un enfant unique pourrait avoir la charge de deux parents et de quatre grands-parents. D’après la Banque mondiale, la Chine est aujourd’hui le pays qui connaît le vieillissement le plus rapide au monde. D’ici à 2050, 40 % de la population pourrait avoir plus de 60 ans, contre 16,1 % en 2015, d’après l’institution. Malgré l’abandon de la politique de l’enfant unique, la Chine va devoir revoir en profondeur la prise en charge de la dépendance liée au grand âge. La Chine aurait besoin de construire 3,4 millions de maisons de retraites dans les cinq prochaines années. Aujourd’hui, seuls 2 % des personnes âgées dépendantes ont des places en maison de retraite.
Or, même aujourd’hui que la politique de l’enfant unique a été officiellement abandonnée, la plupart des jeunes couples chinois ne sont pas prêts à avoir un deuxième enfant. Car les enfants coûtent cher. Héritage d’années de politique antinataliste, le système chinois ne prévoit évidemment pas d’allocations familiales. De plus, les infrastructures sont insuffisantes, notamment pour la prise en charge de la petite enfance : pas de crèche, ni d’école maternelle. L’éducation gratuite et obligatoire commence à 7 ans. Avant cet âge, le jardin d’enfant est payant et peut coûter jusqu’à 1 000 euros par mois dans les grandes villes. Le niveau très aléatoire des établissements scolaires pousse les parents à déménager près des meilleures écoles, autour desquelles le prix de l’immobilier s’envole, ou carrément à chercher des alternatives (écoles internationales ou privées). Les écoles sont en général gratuites, mais les parents qui le peuvent paient des institutions privées pour donner des cours supplémentaires à leurs enfants.
Source : Eglises d’Asie