Le 30 août dernier, la Haute Cour du Karnataka a rejeté les poursuites contre six des douze personnes accusées d’avoir été impliquées dans l’assassinat, le 1er avril 2013, du P. K. J. Thomas. Recteur du séminaire pontifical Saint-Pierre de Bangalore, le prêtre catholique avait été retrouvé mort dans les locaux du séminaire, après avoir été sauvagement battu à coup de barres de fer, dans la nuit de Pâques. Les relaxés sont quatre prêtres catholiques et deux laïcs, dont une femme, tous impliqués dans la défense des prêtres catholiques kannadas qui avaient été arrêtés les mois suivants le meurtre du P. Thomas.
Selon la décision rendue par la Haute Cour du Karnataka, la police n’a pas réussi à réunir suffisamment de preuves, permettant l’inculpation de ces six personnes pour complicité dans l’assassinat du P. K. J. Thomas. C’est donc la requête signée par les six personnes inculpées qui prévaut. Dans cette requête, les six inculpés clament leur innocence, expliquant que leurs noms ont été mentionnés uniquement parce qu’ils s’étaient mobilisés pour aider leurs confrères accusés dans l’assassinat du recteur du séminaire. « Même les fortes suspicions qui entourent les prévenus du fait de leur animosité manifeste envers le recteur du séminaire ne peuvent suffire à prouver qu’ils sont impliqués dans ce meurtre », a tranché la Haute Cour.
Des rapports de police peu convaincants
Auparavant, la police avait inculpé douze personnes. Parmi les six personnes restant inculpées, deux prêtres catholiques sont toujours incarcérés, deux personnes sont en fuite, et un prêtre est décédé en mars dernier.
Selon les différents rapports de la police criminelle de Bangalore, le mobile du crime s’explique par des rivalités internes à l’institution. Les personnes inculpées tenaient le recteur responsable du non-avancement de certaines personnes dans la hiérarchie du séminaire. Les prêtres du Karnataka qui s’expriment en langue kannada auraient été désavantagés par rapport aux prêtres tamoulophones, originaires du Tamil Nadu. Une querelle au sujet de la détention des titres de propriété du séminaire aurait également joué un rôle dans ce meurtre.
Parmi les six personnes relaxées, toutes impliquées dans la cause des prêtres catholiques kannadas qui revendiquent davantage de responsabilités au sein de l’archidiocèse de Bangalore, le P. A. Thomas, président de la Conférence des prêtres catholiques kannadas. Selon un rapport de la police, certains de ces prévenus avaient, à plusieurs reprises, fait pression sur Mgr Bernard Moras, archevêque de Bangalore, et sur le P. K. J. Thomas, recteur du séminaire pontifical de Bangalore, pour placer à des postes à responsabilités des prêtres kannadas. Avant le meurtre du recteur, la police avait d’ailleurs été sollicitée par l’archidiocèse lui-même, pour apporter une surveillance policière, lors d’importants événements religieux comme les ordinations épiscopales ou les fêtes liturgiques, par crainte de violences interethniques.
Un moyen de faire taire les divisions ?
Pour Rita Rini, laïque récemment disculpée et éditrice d’un mensuel en langue kannada, « tout le monde sait que ce sont ceux qui ne parlent pas la langue kannada qui dominent l’administration de l’Eglise », a-t-elle déclaré à l’agence Ucanews, ajoutant que ce sont des personnes de l’archidiocèse « anti-kannadas » qui les ont accusées de ce meurtre.
Pour le P. A. Thomas, la décision de la Haute Cour « témoigne que ces accusations ont été montées de toutes pièces, alors que nous militions seulement pour promouvoir notre langue maternelle ». Mais précise-t-il, « ce qui est sûr c’est que des personnes innocentes ont souffert de ces accusations. Nous nous battions pour une cause au sein de l’Eglise, et on a voulu réduire au silence notre opposition à l’injustice, en prenant une revanche sur nous ».
Des relaxes sous pression des groupes pro-kannadas ?
Du côté de la famille de la victime, « il est essentiel de présenter les assassins devant la justice ». Néanmoins d’après Joyson Mathew, cousin du recteur assassiné, originaire du Kerala, « cet objectif semble devenir une tâche ardue avec toutes ces complications ». « Nous craignons que des pressions politiques et financières de groupes kannadas ne viennent entraver le travail de la justice dans cette affaire criminelle. Il est surprenant que la Haute Cour ait statué sur l’innocence de ces personnes, alors qu’il n’y a pas encore eu de procès », a-t-il confié à l’agence Ucanews.
A l’archevêché de Bangalore, le P. Antony Swami, porte-parole de l’archevêque, a déclaré que l’Eglise catholique ne commente pas une décision de justice car « elle fait confiance à la police criminelle et au système judiciaire ».
Le Saint Peter’s Institute, séminaire pontifical depuis 1962, a été fondé en 1778 par les Pères des Missions Etrangères de Paris pour former le clergé diocésain du quart sud-est de l’Inde. Installé à l’origine à Pondichéry, il a été déplacé en 1934 à Bangalore, au Karnataka, et placé sous l’autorité de l’archevêque de Bangalore (Mgr Bernard Moras en est aujourd’hui le chancelier). Avec des enseignements dispensés en trois langues (kannada, tamoul et anglais), il accueille des étudiants destinés à devenir prêtres au Tamil Nadu aussi bien qu’au Karnataka. Depuis des décennies, certains cercles nationalistes pro-kannada réclament que le séminaire soit placé sous la direction exclusive des évêques du Karnataka et n’accueille que des séminaristes issus de cet Etat. Le meurtre du P. Thomas a profondément ébranlé cette institution majeure de l’Eglise catholique en Inde.
Source : Eglises d’Asie