Il n’aura pas fallu quinze jours pour qu’un attentat d’une gravité inédite dans le pays vienne démentir une fatwa du Conseil des oulémas du Bangladesh, qui dénonçait le terrorisme comme « contraire à l’islam ».
En réaction aux nombreuses actions meurtrières qui ont visé ces derniers mois des blogueurs, des membres des minorités religieuses et des étrangers, le Jamaiatul Ulema (Conseil des oulémas) avait publié le 18 juin dernier une fatwa intitulée « Fatwa pour la paix et le bien-être de l’humanité ». Le texte avait reçu le soutien de quelques 100 000 responsables musulmans, religieux et savants de l’islam bangladais. « Le monde ne souffre que trop de ces militants qui fondent leur action sur une mauvaise interprétation de l’islam. Pour éradiquer le terrorisme, nous devons réveiller les consciences. Nous mènerons des sessions d’études dans les mosquées partout à travers le pays. Le gouvernement et les médias doivent relayer et soutenir nos efforts », avait déclaré le 17 juin Maolana Fariduddin Masoud, un religieux respecté. L’initiative avait été favorablement accueillie par les responsables religieux des minorités. Theophil Nokrek, secrétaire de la Commission ‘Justice et Paix’ de la Conférence des évêques catholiques du Bangladesh, avait ainsi déclaré : « C’est bien de voir les religieux musulmans redire que (…) torturer ou tuer au nom de la religion est contraire à l’islam. »
L’attentat commis à Dacca ce 1er juillet n’aura pas laissé le temps aux oulémas de faire passer leur message.
Dans un pays où les chrétiens ne représentent pas 0,5 % de la population, Mgr Gervas Rozario, président de la Commission ‘Justice et Paix’ de la Conférence des évêques catholiques du Bangladesh, a eu ces propos : « Aucune personne saine d’esprit, aucune religion ne peut tolérer l’horreur d’un tel massacre. Je n’ai pas de mots pour condamner un tel acte, barbare et haineux. (…). Les bons musulmans doivent maintenant prendre fermement position pour sauver l’islam des griffes du terrorisme ».
Pour autant, la réponse des autorités, et du Premier ministre en particulier, à l’attentat ne fait pas l’unanimité dans le pays. Comme lors des actions précédemment menées au Bangladesh qui ont été revendiquées par l’organisation Etat islamique, la police et les ministres en charge des affaires de sécurités ont affirmé que les terroristes du Holey Artisan Bakery appartenaient à un groupe bangladais.« Ils sont membres du Jamaeytul Mujahdeen Bangladesh », un groupe djihadiste interdit depuis plus d’une décennie, a déclaré le ministre de l’Intérieur, Asaduzzaman Khan, le 3 juillet au matin. Une façon de dire que l’organisation Etat islamique n’avait pas pu prendre pied dans le pays et que les actions répétées des islamistes étaient à mettre au compte du Jamaat-e Islami, le parti islamiste allié du BNP (Parti nationaliste du Bangladesh), l’adversaire historique de la Ligue Awami, actuellement au pouvoir.
Selon un éditorialiste du Dhaka Tribune, le gouvernement ne peut toutefois plus « se réfugier dans le déni, sauf à ruiner définitivement sa crédibilité ». Des voix s’élèvent par ailleurs pour dénoncer l’inefficacité des mesures prises ces dernières semaines par le gouvernement. Avant même l’attentat de Dacca, les forces de police avaient lancé une vaste action contre les milieux de l’islamisme militant. Depuis le 11 juin dernier, près de 12 000 personnes ont ainsi été interpellées, et un peu moins de deux cents d’entre elles ont été placées en détention. Une action d’une ampleur inédite mais dénoncée par beaucoup au Bangladesh comme inefficace contre le terrorisme structuré, politiquement orientée (parmi les personnes visées figure bon nombre d’opposants à la Ligue Awami) et meurtrière (le 30 juin, une ONG locale de défense des droits de l’homme, Ain-o-Salish Kendra, a publié un rapport où l’on peut lire que, ces six derniers mois, 79 personnes sont mortes alors qu’elles étaient détenues par la police ou ont été tuées lors de leur interpellation dans ce qui ressemble à des exécutions extrajudiciaires).
Dans l’attente d’une réponse gouvernementale sérieuse à la menace terroriste, que celle-ci soit commanditée par l’organisation Etat islamique ou issue de formations locales, les minorités religieuses ne cachent plus leurs craintes.
« Il y a de sérieuses raisons pour les chrétiens d’avoir peur en ce moment au Bangladesh car [les militants islamistes] s’en prennent aux non-musulmans », souligne pour sa part William Proloy Samadder, vice-président de l’Eglise baptiste du Bangladesh.
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