Extrait d’un essai de Mgr Michel Schooyans, consacré à l’éclipse de la morale catholique, publié en italien par la Nuova Bussola Quotidiana et traduit par notre consoeur du site web « Benoît et moi ».
Mgr Schooyans est professeur émérite de l’Université de Louvain-la-Neuve (Belgique), membre de l’Académie pontificale des sciences sociales et consultant du Conseil Pontifical pour la Famille. Il est l’auteur de nombreux ouvrages et essais sur la bioéthique, la démographie, les politiques mondiales des Nations Unies.
A la demande personnelle de Jean-Paul II, qui l’a voulu comme collaborateur du Saint-Siège, il a aussi écrit une Via Crucis pour les familles (2001) :
« Les discussions qui ont eu lieu à l’occasion du Synode sur la famille ont mis en évidence la détermination avec laquelle un groupe de pasteurs et théologiens n’hésite pas à saper la cohésion doctrinale de l’Église.
Ce groupe fonctionne à la manière d’un parti puissant, international, riche, organisé et discipliné. Les membres actifs du parti ont un accès facile aux médias; souvent ils interviennent ouvertement. Ils opèrent avec le soutien de quelques-unes des plus hautes autorités de l’Eglise. L’objectif principal de ces militants est la morale chrétienne, à laquelle est reprochée une sévérité incompatible avec les «valeurs» de notre temps.
Il faut avant tout trouver des parcours qui mènent l’Eglise selon le bon plaisir [de chacun], réconciliant son enseignement moral avec les passions humaines. La solution proposée par les néo-casuistes commence par la remise en cause de la morale de base, puis avec l’occultation de la lumière naturelle de la raison. Les références à la morale chrétienne révélée dans l’ Ecriture et dans les enseignements de Jésus sont détournées de leur sens originel. Les préceptes de la raison sont considérés comme discutables à l’infini: le probabilisme entraîne des obligations. La primauté doit être donnée à la volonté de ceux qui sont assez puissants pour imposer leur volonté. On n’hésitera pas à se faire appuyer par les incrédules (cf. 2 Co 6, 14).
Cette morale volontariste sera assez large pour se mettre au service du pouvoir politique, de l’Etat, mais aussi du marché, de la haute finance, de la justice, etc.. Concrètement, il faudra plaire aux leaders politiques corrompus, aux champions de l’évasion fiscale et de l’usure, aux médecins avorteurs, aux marchands industriels de pilules, aux avocats prêts à défendre les cas les moins défendables, aux agronomes enrichis par les produits transgéniques , etc. (ndt: tout en affichant pour la galerie l’exact contraire, comme le fait constamment le Pape). La nouvelle morale s’étendra donc insidieusement dans les médias, dans les familles, dans les écoles, les universités, les hôpitaux, les tribunaux.
Ainsi s’est formé un corps social qui refuse de donner la première place à la recherche de la vérité , mais très actif partout où il y a des consciences à gouverner, des assassins à rassurer, des canailles à libérer, de riches citoyens à qui plaire. Grâce à ce réseau, les néo-casuistes peuvent exercer leur contrôle sur les engrenages de l’Eglise, influencer le choix des candidats aux hautes fonctions, tisser des alliances qui menacent l’existence même de l’Eglise.
VERS UNE RELIGION DU PIÉTISME?
- Ce qui est le plus inquiétant chez les casuistes, c’est le désintérêt pour la vérité. Chez eux, nous trouvons un relativisme, voire même un scepticisme qui fait en sorte qu’en matière de morale, on doit agir selon la règle la plus probable. Nous devons choisir la règle qui, dans telle circonstance, est censée être la plus agréable à cette personne, à ce directeur spirituel, à ce public. Cela vaut pour la Cité, comme pour les hommes. Chacun doit faire son choix, non pas selon la vérité, mais en fonction des circonstances. Les meilleures lois sont celles qui plaisent le plus et plaisent au plus grand nombre. Nous assistons ainsi à l’expansion d’une religion du piétisme, ou même à un utilitarisme individualiste, puique le souci de plaire aux autres n’arrête pas le souci de se plaire à soi-même.
- Dans le but de plaire, les casuistes doivent être à la mode, être attentifs aux nouveautés. Les Pères de l’Église des générations précédentes et les grands théologiens du passé, y compris récent, sont présentés comme inadapté à la situation actuelle de l’Eglise; ils seraient dépassés. Pour ces casuistes, la tradition de l’Eglise devrait être en quelque sorte filtrée et soumise à une remise en question radicale. Nous – assurent avec gravité les néocasuistes – nous savons ce que l’Eglise d’aujourd’hui doit faire pour plaire à tout le monde (cf. Jn 9). Le désir de plaire vise particulièrement les gagnants (là encore, en donnant habilement le change, ndt). La nouvelle morale sociale et politique doit prendre un soin particulier de ces personnes. Ils ont un niveau de vie à protéger ou à améliorer; ils doivent maintenir leur rang. Et tant pis pour les pauvres qui n’ont pas les mêmes charges mondaines! Certes, il faudra aussi faire plaisir aux pauvres, mais il faut reconnaître qu’ils sont moins «intéressants» que les personnes influentes. Tout le monde ne peut pas être gagnant!
La morale de casuistes ressemble finalement à une gnose distillée dans les cercles sélectionnés, à une connaissance pour ainsi dire ésotérique qui s’adresse à une minorité de personnes qui ne ressentent nullement le besoin d’être sauvé de la Croix de Jésus. Le pélagianisme a rarement été aussi florissant.
- La morale traditionnelle de l’Eglise a toujours reconnu qu’il y a des actes objectivement mauvais. Cette même théologie morale reconnaît aussi, et depuis longtemps, l’importance des circonstances. Cela signifie que pour la qualification d’un acte, on doit tenir compte des circonstances dans lesquelles l’acte a été commis et le degré de responsabilité; c’est ce que les moralistes appellent l’imputabilité. Les casuistes d’aujourd’hui procèdent de la même manière que leurs prédécesseurs: ils minimisent l’importance de la morale traditionnelle et amplifier démesurément le rôle des circonstances. Tout de suite après, la conscience est menée vers l’erreur parce qu’elle se laisse tromper par le désir de plaire.
Comme on peut le constater dans les médias, les casuistes sont souvent fascinés par un monde destiné à disparaître. Ils ont trop souvent oublié qu’avec Jésus, un monde nouveau a déjà commencé. Rappelons l’élément central de l’ histoire humaine: «L’ancien a disparu, voici qu’il y a une nouvelle réalité» (Ap 21, 5). Écoutons à nouveau saint Paul: «Laissez-vous renouveler par la transformation spirituelle de votre pensée. Revêtez-vous de l’homme nouveau, créé, selon Dieu, dans la justice et la sainteté conformes à la vérité» (Eph 4: 22-23).
- L’action des casuistes d’aujourd’hui ne touche pas seulement l’enseignement moral de l’Eglise. Cette action touche aussi toute la théologie dogmatique et en particulier la question du magistère. Ce point est souvent trop peu souligné.
L’unité de l’Église est en danger partout où l’on suggère des projets parfois démagogiques, visant à la décentralisation, largement inspirées par la Réforme luthérienne. Dépendre des princes de ce monde plutôt qu’au renforcement de l’ unité autour du Bon Pasteur!
La sainteté de l’Église est en danger là où les casuistes exploitent la faiblesse des hommes et prêchent une dévotion facile et oublieuse de la Croix.
La catholicité est en danger là où l’Eglise s’aventure sur le chemin de Babel et sous-estime l’effusion de l’Esprit Saint, le don des langues. N’est-ce plus lui, l’Esprit, qui rassemble la diversité de ceux qu’unit la même foi en Jésus le Fils de Dieu?
La nature apostolique de l’Église est en danger là où, au nom d’une exemption mal comprise, une communauté, un «parti» se sont libérés de la juridiction de l’évêque et sont considérés comme dépendre directement du Pape. Beaucoup de néocasuistes sont exemptés. Comment douter que cette exemption porte atteinte au collège tout entier des évêques? ».
Ref. sur le site de la nuova bussola quotidiana : Il partito ricco e potente che nella Chiesa vuole smantellare la morale in nome del pietismo
Source Belgicatho